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FRANCE – Nombreuses réactions après la publication d’une étude explosive sur un maïs OGM

Par Eric MEUNIER

Publié le 20/09/2012

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Pendant deux années, des rats ont été nourris avec du maïs génétiquement modifié NK603, traités ou non avec l’herbicide Roundup. Les résultats publiés dans la revue Food and Chemical Toxicology [1] font état de pathologies telles que tumeurs et dysfonctionnements rénaux importants. Paradoxalement, cette étude est publiée alors que la Commission européenne propose de ne plus requérir obligatoirement les analyses de toxicologie dans les dossiers de demande d’autorisation commerciale de plantes transgéniques. Plusieurs autorités publiques ont immédiatement annoncé la saisine d’agences d’expertise pour analyser ces résultats, analyses rarement requises, notons-le, pour les études en faveur des PGM.

La critique vis-à-vis des plantes transgéniques se déploie dans plusieurs directions : questions éthiques et épistémologiques, question du choix de société, impact des brevets et modèle agricole porté par les PGM, impacts sanitaires ou environnementaux, fonctionnement de l’expertise… Un de ces volets, celui des impacts sanitaires, vient de connaître un rebondissement avec la publication d’un article de l’équipe du Pr. Gilles-Eric Séralini, membre du Criigen et professeur de biologie moléculaire à l’Université de Caen.

L’étude a consisté à nourrir, pendant deux ans, 200 rats Sprague-Dawley, une lignée couramment utilisée pour les analyses de toxicologie et que les entreprises utilisent pour conduire leurs propres analyses [2]. Ces deux cents rats ont été répartis en dix groupes de dix rats mâles et dix groupes de dix rats femelles, conformément au protocole OCDE n°408 (Séralini respectant à la lettre ce protocole avec trois doses données dans l’expérience contrairement aux entreprises qui n’en donnent que deux, simplifiant ainsi l’expérience en réduisant les observations possibles). Chaque groupe a reçu soit du maïs non GM et de l’eau, soit du maïs NK603 (cf. encadré) à différentes doses (11%, 22% et 33%) et de l’eau, soit du maïs NK603 à différentes doses (11%, 22% et 33%) traité au RoundUp et de l’eau, soit du maïs non GM et de l’eau avec du Roundup à trois doses différentes (dont deux sous la limite maximale de résidus autorisée aux Etats-Unis). Une première originalité de cette étude est que les rats ont reçu ce régime alimentaire durant deux années et pas seulement pendant trois mois comme c’est le cas pour toutes les études présentées par les entreprises dans le cadre des dossiers d’autorisation dans l’Union européenne. Les chercheurs ont effectué des prises de sang et d’urine et des dissections pour analyser les organes (au moins dix par animaux) et les tumeurs apparues le cas échéant. Les résultats publiés montrent l’apparition de pathologies, qu’il s’agisse de tumeurs (principalement chez les femelles) ou d’atteintes rénales (principalement chez les mâles). Ces pathologies apparaissent dans les régimes alimentaires contenant le maïs NK603 traité avec le Roundup mais aussi dans ceux contenant le maïs NK603 non traité au Roundup.

Les pouvoirs publics exigent des compléments d’enquête

Le gouvernement français [3] et la Commission européenne [4] ont immédiatement annoncé avoir saisi respectivement l’Anses (puis le HCB) et l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA). Le ministre de l’Agriculture, Stéphane le Foll, a lui rappelé que « pour plus de la moitié des OGM étudiés », l’Anses estime que « les données fournies par l’industriel ne sont pas suffisantes pour conclure sur la sécurité sanitaire liée à la consommation de l’OGM » [5]. Nul doute que ces agences donneront un avis rapide sur ce dossier.

A noter que ces autorités publiques ne réagissent pas toujours avec le même zèle lorsqu’il s’agit d’études en faveur des plantes génétiquement modifiées (PGM). Dans la même veine, Gérard Pascal, toxicologue et ancien expert français de la CGB sur les OGM, considère que « si les résultats se confirment, c’est le scoop du siècle. Et dans ce cas il faudrait interdire les OGM dans le monde entier. […] Nous pensons qu’il faut nommer une commission d’enquête sur le laboratoire dans lequel les expériences ont été faites. Il faut récupérer toutes les données, les cahiers de manip, l’historique des incidents qui ont pu se produire pendant ces deux ans et analyser tout cela en profondeur » [6]. Un souci de vérification tout à fait légitime, mais jamais exprimé pour les études démontrant l’absence de problèmes et notamment celles proposées par les pétitionnaires pour demander l’autorisation de commercialisation de leur PGM ! Ainsi, la même revue Food and chemical toxicology publiait en septembre deux études, pour un maïs et un soja GM, d’analyses de toxicologie sur rats durant trois mois et concluant à l’absence de problème. Ces études n’ont pas fait l’objet de saisine ou de demande d’enquête dans les laboratoires. Ces réactions témoignent donc bien que le principe de base est que les PGM ne posent pas de problème et que la charge de la preuve doit être portée par ceux qui essayent de démontrer qu’ils posent problème. Un a priori tout à fait irrecevable.

Vers une interdiction immédiate des OGM ?

Parmi les réactions, notons également celles de l’eurodéputé José Bové et des associations comme France Nature Environnement (FNE) et Greenpeace. Pour l’eurodéputé, un moratoire doit être décrété par le commissaire John Dalli sur les plantes transgéniques autorisées à la culture, à l’importation et à l’alimentation humaine et animale. José Bové considère « qu’il est urgent de revoir rapidement tous les processus d’évaluation des OGM. Les données fournies par Monsanto et les autres multinationales sont tout simplement biaisées et ne reposent pas sur des travaux scientifiques sérieux et fiables. Les agences nationales et européennes de sécurité alimentaire doivent réaliser de nouvelles études financées par des fonds publics pour garantir aux consommateurs européens une alimentation saine » [7]. Greenpeace porte les mêmes demandes, ajoutant que l’AESA, qui « s’est distinguée depuis de nombreuses années par la proximité flagrante de ses membres avec les industriels vendant des OGM et son manque d’indépendance », doit être « profondément réformée afin de protéger les citoyens européens et cesser de servir les intérêts commerciaux exclusifs des entreprises de biotechnologie » [8]. Enfin, l’association FNE rappelle que « les protocoles d’évaluation des OGM au niveau international ont été mis en place par l’industrie agroalimentaire pour son propre usage, que ce sont ces industries elles-mêmes qui font les études d’accréditation de leurs OGM et que cette situation est inacceptable ». Elle demande la confirmation de ces résultats par d’autres expérimentations et sur d’autres plantes (notamment avec le soja tolérant au Roundup), la suspension des autorisations de mise en culture des maïs MON810 et pomme de terre Amflora et « une révision en profondeur des protocoles d’évaluation des OGM et des produits issus des nouvelles technologies de modification du vivant avec révision du Codex Alimentarius ». Elle demande également que les produits issus d’animaux nourris aux OGM soient étiquetés.

A l’inverse, l’Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV) annonce qu’il existait déjà « de nombreuses études toxicologiques qui ont évalué les effets à long terme des OGM sur la santé des animaux »  [9] et que ces études n’ont jamais révélé d’effets toxiques. Contactée par Inf’OGM pour obtenir la liste de ces études, l’AFBV nous a répondu qu’il s’agissait surtout d’une étude publiée par Ricroch que le statisticien Marc Lavielle, du comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB), avait considérée, dans un article publié dans Le Monde, comme « biaisée et orientée » [10]. Une autre étude est également avancée par l’AFBV, mais il s’agit d’une étude d’alimentarité sur porcs durant trois ans avec du maïs Bt résistant aux insectes, et non d’une analyse de toxicologie avec un maïs résistant à un herbicide [11]. Une confusion également relayée par Thomas Helscher, porte-parole de Monsanto, qui déclare « de nombreuses études des cultures biotechnologiques, revues par des comités de relecture, dont une centaine d’étude d’alimentarité ont toujours confirmé leur sécurité » [12]. Analyse d’alimentarité et de toxicologie sont suffisamment différentes pour que les deux types d’études soient pour l’instant requises par la Commission européenne dans les dossiers de demande d’autorisation.

Confondre toxicologie et alimentarité n’est déjà pas commun, mais l’argument mis en avant par Mark Tester, chercheur à l’Australian Centre for Plant Functional Genomics de l’Université d’Adelaïde, s’apparente à de la mauvaise foi. Il affirme que « si les effets sont si importants que prétendus, et si le travail est aussi pertinent pour les humains, pourquoi alors les étasuniens ne tomberaient pas comme des mouches ? »… Mais aucune étude épidémiologique n’existe aux Etats-Unis. Dès lors, comment lier nourriture à base d’OGM et santé ? [13]

Des critiques scientifiques concernant le protocole ou l’analyse statistique des résultats commencent également à émerger, critiques dont Inf’OGM fera prochainement une synthèse. Inf’OGM vous tiendra également informés de l’opinion des experts français et européens sur cette étude.

Il faut enfin rappeler qu’actuellement la Commission européenne discute avec les Etats membres un règlement fixant de nouvelles règles d’évaluation des risques liés aux PGM. Avec ce projet de règlement, la Commission européenne propose que les analyses notamment de toxicologie ne soient plus obligatoires pour obtenir une autorisation de commercialisation. Les entreprises devront « simplement » démontrer que la plante transgénique a la même composition que sa version non transgénique [14]. Une proposition qui affaiblirait une procédure existante que le gouvernement français juge déjà insuffisante, comme il le mentionne dans son communiqué de presse : « Cette étude semble confirmer l’insuffisance des études toxicologiques exigées par la règlementation communautaire en matière d’autorisation de mise sur le marché de produits transgéniques ».

Inf’OGM publiera dans les semaines à venir une brochure sur les méthodes d’évaluation des OGM telles que suivies actuellement par les experts membres des comités nationaux et européens, dévoilant ainsi un nouveau scandale.

Le maïs NK603

Ce maïs est autorisé dans l’Union européenne pour l’importation et l’alimentation animale depuis le 19 juillet 2004 et pour l’alimentation humaine depuis le 3 mars 2005. Il n’est pas autorisé pour la culture.

L’alimentation animale reste d’ailleurs à ce jour le principal débouché des PGM en Europe. Mais l’absence d’étiquetage des produits issus d’animaux nourris aux PGM empêche les citoyens de savoir ce qu’ils consomment.

Le NK603 est modifié génétiquement pour résister aux herbicides comme le Roundup à base de glyphosate. Il est commercialisé par Monsanto.

Concernant la culture, ce maïs est autorisé aux Etats-Unis, en Argentine, au Brésil, au Canada, au Japon, en Afrique du Sud et en Uruguay.

[1« Long term toxicity of a Roundup herbicide and a Roundup-tolerant genetically modified maize », Seralini et al., Food and Chemical Toxicology, 2012. L’étude a été soutenue financièrement par la Fondation Charles Léopold Mayer, l’association Ceres créée par le Président d’Auchan, Gérard Mulliez, et le ministère de la Recherche.

[2comme Monsanto pour le maïs MON810 et NK603

[3Communiqué de presse du Ministère des Affaires sociales et de la Santé, du Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, du Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt du 19 septembre 2012.

[4Challenges, 19 septembre 2012, http://www.challenges.fr/energie-et…

[5Communiqué de presse du 19 septembre 2012

[7Communiqué de presse de José Bové du 19 septembre 2012

[8Communiqué de presse de Greenpeace du 19 septembre 2012

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