n°116 - mai / juin 2012

FRANCE – La fragile interdiction du MON810 en 2012

Par Christophe NOISETTE, Pauline VERRIERE

Publié le 27/04/2012

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Depuis 2008, la culture du maïs MON810 était interdite en France. Mais en novembre 2011, le Conseil d’État annulait cette interdiction, suite à la décision de la Cour de Justice de l’UE [1]. Mars 2012 : la France prend un nouvel arrêté d’interdiction. Inf’OGM fait le point sur ce nouveau « moratoire » français.

Le 16 mars 2012, la France prend un nouvel arrêté d’interdiction de mise en culture du maïs MON810, après avoir notifié à la Commission européenne ses arguments et lui avoir demandé une réévaluation du MON810. A l’appui de sa décision, elle argue notamment que l’instance scientifique de l’UE chargée d’évaluer les demandes d’autorisation d’OGM, l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (AESA), a proposé de nouvelles lignes directrices d’évaluation des risques, dont les exigences n’ont pu être prises en compte dans l’avis de l’AESA sur le renouvellement d’autorisation du maïs MON810. La France met également en avant un avis de l’AESA portant sur les impacts du maïs Bt11 sur l’environnement, considérant que ces résultats sont également valables pour le MON810.

Une justification scientifique incomplète

Mais cet arrêté du ministère de l’Agriculture est critiqué. Ainsi, de nombreuses associations et syndicats agricoles et apicoles ont fortement regretté que le ministère de l’Agriculture n’ait pas utilisé l’interdiction de commercialiser du miel contenant du pollen de MON810 à l’appui de cette décision. Si, menacés d’être contaminés, les apiculteurs déménagent leurs ruchers des zones de production de maïs, les conséquences ne seront pas qu’économiques : c’est l’ensemble de la biodiversité cultivée et sauvage qui risque d’en souffrir. De son côté, le Comité Scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies regrette de ne pas avoir été saisi par le gouvernement pour construire son argumentaire en faveur d’un moratoire [2]. Selon son président, M. Dhainaut, plusieurs avis du HCB ont été ignorés, d’autres ont été tronqués. Cependant, l’avis du HCB n’est donné qu’à titre consultatif.

L’arrêté fait également l’objet de deux recours devant le Conseil d’État, l’un déposé par l’AGPM (Association Générale des Producteurs de Maïs), l’Union Française des Semenciers et la Fédération nationale de la production de semences de maïs et de sorgho, et l’autre par deux exploitants agricoles. Les premières n’ont déposé qu’un simple recours, sans demander une annulation en urgence, probablement échaudées par le refus du Conseil d’État qui n’avait pas reconnu l’urgence en 2008. Les exploitants, eux, ont aussi souhaité attaquer en urgence (audience prévue le 7 mai) et tenteront de faire valoir le manque à gagner lié à l’achat de semences GM, devenues illégales du fait de l’interdiction. Étant donné les annonces préalables du gouvernement, on peut douter de la validité de cet argument.

De son côté, l’Union Nationale d’Apiculture Française s’est jointe à l’affaire en soutien à l’interdiction. D’autres associations et syndicats envisagent aussi de s’y joindre.

Le Conseil d’État ne se prononcera pas avant plusieurs mois sur la validité des arguments scientifiques justifiant l’arrêté. En attendant, l’interdiction de mise en culture de maïs MON810 est effective, même si l’arrêté pose de nombreuses questions pratiques. Notamment la question du statut des semis réalisés avant le 18 mars, date de publication au JO. En effet, l’arrêté interdit « la mise en culture » et non la culture, et le risque est grand qu’avec une telle formulation, soient considérés comme légaux les semis réalisés avant le 18 mars.

Interdiction française : à chacun son interprétation

Bien qu’il ait été difficile d’obtenir des réponses rapides du ministère de l’Agriculture, ce dernier répond finalement assez clairement : pour lui, les cultures de maïs MON810 sont illégales, peu importe la date des semis, qu’ils soient réalisés avant ou après la publication de l’arrêté, et, s’ils sont découverts, ils seront détruits. Le registre national de cultures de PGM ne sera donc pas mis à jour : celles-ci n’étant pas légales, aucune déclaration officielle n’est en effet attendue.

Pourtant, parmi les Directions Régionales de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt (DRAAF), services déconcentrés du ministère de l’Agriculture, une très grande confusion règne, entre absence d’information et interprétation hasardeuse des textes. La DRAAF Aquitaine, qui n’a pas reçu de consigne particulière de la part du ministère, fera comme à son habitude une vingtaine de tests sur son territoire ; la DRAAF Rhône-Alpes, quant à elle, préfère botter en touche et s’en remet au ministère de l’Agriculture pour nos questions. De son côté, la DRAAF Midi-Pyrénées considère que les semis réalisés avant le 18 mars sont légaux et donne jusqu’au 15 mai aux agriculteurs pour que ceux-ci déclarent officiellement leurs cultures [3]. « Ce ne sont pas eux [les DRAAF] qui rédigent les arrêtés, et ils ne sont pas les services juridiques du ministère de l’Agriculture », rétorque le ministère en réponse à nos questions sur cette confusion. Dans ce cas, pourquoi le ministère n’informe-t-il pas ses services de la marche à suivre ? Réponse simple du ministère : « Ce n’est pas comme cela que ça marche, les DRAAF peuvent nous poser des questions si elles le souhaitent, nous ne sommes pas là pour leur faire une lecture de textes ». Dommage que la DRAAF Midi-Pyrénées n’ait pas pensé à interroger le ministère à ce propos…

D’autant que plusieurs agriculteurs ont écrit et revendiqué des semis « militants », comme Vincent Ménard sur Facebook ou des personnes anonymes sur le forum d’Inf’OGM.

Sous la pression citoyenne et l’approche des élections, le ministère a pris a minima un arrêté d’interdiction mais il semble peu enclin à en acter les conséquences et à clarifier la situation. Aux agriculteurs de se débrouiller entre eux.

Si l’avenir de l’arrêté est incertain au niveau français, il l’est également au niveau européen. La demande de la France doit en effet passer en procédure de comitologie, pour savoir si elle peut être maintenue. Rappelons que les précédents moratoires ont été validés par les autres Etats membres. Mais depuis, la procédure a évolué [4] : la nouvelle mesure d’urgence va-t-elle en faire les frais ? L’AESA devrait donner son avis sur cette interdiction d’ici juin, les États membres devant se prononcer dans la foulée.

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