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FRANCE – L’exception agricole quasi obtenue pour la loi contrefaçons

Par Frédéric PRAT

Publié le 27/01/2014

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Pour lutter de façon accrue contre la contrefaçon (cf. encadré ci-dessous), une loi est en cours de discussion en France [1] : proposée par le sénateur socialiste Richard Yung, elle a été amendée et votée par le Sénat le 20 novembre 2013, après le retrait ou le rejet de nombreux amendements socialistes, centristes, écologistes et communistes visant à exclure les semences, les animaux et les préparations naturelles produits à la ferme pour les besoins de la ferme. L’Assemblée nationale devrait se prononcer le 4 février. Cette loi pourrait aussi servir à poursuivre les agriculteurs en cas de multiplication de semences et d’animaux ou d’élaboration de préparations naturelles dans leurs fermes. Une récente action de la Confédération paysanne dans les locaux du GNIS [2] devrait bloquer cette perspective.

Dans la soirée du 21 janvier, une cinquantaine de paysans de la Confédération Paysanne ont investi pacifiquement les locaux du GNIS, afin d’interpeler cette interprofession et le gouvernement sur les conséquences de cette loi pour les agriculteurs. Si douze d’entre eux avaient décidé d’entamer une grève de la faim jusqu’aux discussions du 4 février à l’Assemblée nationale, ils ont cependant décidé de suspendre leur mouvement le soir même, tant la réaction du gouvernement, via son ministère de l’Agriculture, a été rapide. Ce dernier s’est en effet engagé à présenter « un amendement afin que les semences de ferme ne soient plus concernées par la loi contre les contrefaçons » [3]. Joint par le journal en ligne Basta Mag, le cabinet du ministre de l’Agriculture indique que « le sujet semences va en effet être retiré de la proposition de loi contrefaçons par amendement gouvernemental, de façon à pouvoir être discuté en Loi d’avenir agricole. Notre position est claire : nous souhaitons exclure les semences de ferme du champ de la contrefaçon » [4]. Paradoxalement, le gouvernement semble sûr du soutien de sa majorité dont de nombreux membres ont déjà réclamé une telle évolution, alors qu’un amendement similaire avait été rejeté au Sénat. Le gouvernement n’a cependant pas encore indiqué le libellé exact de sa proposition.

Pour la Confédération paysanne, le risque était grand qu’« avec cette loi, les paysans qui voudront produire leur propre semence [soient] sous la menace constante de poursuites en contrefaçon, saisie, voire destruction, de leurs récoltes ». Soulagé, le syndicat annonce cependant qu’il restera vigilant et mobilisé pendant le vote de ce texte. Car pour le moment, d’après Patrick de Kochko, du Réseau semences paysannes, « la reproduction des semences, animaux, des ferments ou levures à la ferme est toujours soumise à la réglementation qui régit la reproduction frauduleuse d’un objet ou d’une monnaie, puisque notre amendement [5] en ce sens a été repoussé lors des votes en première lecture au Sénat de la même loi, puis de la Loi d’avenir agricole (LAAF) à l’Assemblée Nationale ». A noter également que l’annonce du ministère de l’agriculture intervient alors que le débat du Parlement est très proche dans le temps des élections municipales et européennes. Une concomitance de calendrier qui pourrait expliquer la rapidité de réaction à l’action de la Confédération paysanne.

Saluée par le Parti communiste français et le Front de Gauche, dont l’«  engagement est total dans la bataille contre la brevetabilité du vivant  » [6], cette action a été vivement critiquée par le GNIS qui « regrette d’avoir été pris en otage dans un débat entre la Confédération paysanne et le gouvernement [et] (…) qu’encore une fois ce syndicat utilise des moyens violents pour faire pression sur le débat démocratique » [7]. Cette interprofession semencière serait-elle donc totalement étrangère à l’intégration des obtentions végétales dans cette loi sur les contrefaçons ? Rappelons qu’elle est aussi chargée de mission de service public de contrôle des semences et d’enregistrement des variétés, et qu’elle a défendu avec acharnement la loi sur les obtentions végétales qui fait des semences de ferme des contrefaçons des semences industrielles. Pour Xavier Beulin, président de la FNSEA, « les semences doivent impérativement rester dans le champ de la contrefaçon » (voir tweet joint).

Contrefaçons : de quoi parle-t-on ?

Faux médicaments, fausses pièces de voiture, faux parfums ou autres objets de luxe griffés : la mondialisation a augmenté le nombre de contrefaçons (dont les quatre cinquièmes viennent de Chine) et, chaque année, d’après Jean-Michel Clément, député PS rapporteur de la loi contrefaçons, le manque à gagner des entreprises serait de six milliards d’euros [8], le gouvernement perd des recettes fiscales, et les consommateurs sont soumis à des objets non contrôlés et donc potentiellement dangereux. Mais si l’argument sur la sécurité sanitaire (médicaments ou pièces de voiture par exemple) est recevable, celui sur le manque à gagner (dont on se demande comment les calculs ont été réalisés) ne peut être pris pour argent comptant. Dans le domaine des semences notamment, plusieurs associations dénoncent l’illégitimité des brevets voire des COV.

Le gouvernement a décidé de renforcer la lutte contre les contrefaçons par une loi plus sévère, permettant plus de saisies et destructions douanières, et de meilleurs dédommagements aux personnes lésées. Après avoir été votée par le Sénat, la proposition de loi repassera le 4 février à l’assemblée nationale.

La confédération paysanne dénonce l’assimilation de la reproduction de semences, d’animaux et de préparation naturelles à la ferme à de la contrefaçon de produits manufacturés [9].

[2Groupement National interprofessionnel des semences

[5Amendement proposé par la Confédération paysanne : « La production à la ferme par un agriculteur de ses semences, de ses plants, de ses animaux ou de ses préparations naturelles pour les besoins de ses propres productions agricoles et fermières ne constitue pas une contrefaçon ». « La rémunération de la sélection des végétaux et des animaux destinés à l’alimentation et à l’agriculture fait l’objet de dispositifs particuliers qui ne rentrent pas dans le champ d’application des lois générales de lutte contre les contrefaçons. »

[7http://www.gnis.fr/index/action/page/id/67/cat/2/ref/1252. Pourtant, dans un tweet, Delphine Guey, responsable de la communication du Gnis, déclarait : « aucune dégradation, et ménage fait !  », ce que reconnaissaient aussi police et renseignements généraux.

[9pour les définitions de semences de ferme ou semences paysannes, cf. Inf’OGM, « Semences : définitions, lois et marché mondial », Inf’OGM, 15 novembre 2022

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