n°118 - septembre / octobre 2012

Etats-Unis : les brevets ne bloquent plus (complètement) la recherche

Par Eric MEUNIER

Publié le 08/10/2012

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Les droits de propriété industrielle seraient un des outils pour favoriser l’innovation et la recherche : cet argument, trop souvent utilisé sans avoir été réellement démontré, est pourtant remis en cause. En 2009 par exemple, E. Watz et ses collègues, entomologistes aux Etats-Unis, ont publié un article dans la revue Nature Biotechnology [1] où ils relataient des cas où des entreprises utilisaient les droits conférés par les brevets pour entraver des projets de recherche du secteur public. Quelle évolution depuis ? Résultats d’une enquête menée par Inf’OGM aux Etats-Unis.

« Aucune recherche ne peut être légalement conduite pour répondre aux nombreuses critiques impliquant ces plantes [génétiquement modifiées (PGM)] ». Ce constat était celui de 26 entomologistes étatsuniens qui, en 2009, se sont plaints auprès de l’Agence étatsunienne de protection de l’environnement de ne pouvoir avoir accès aux semences de PGM commercialisées, nécessaires à leur recherche [2]. Aux Etats-Unis, les brevets sur des gènes ou des plantes obligent les chercheurs universitaires à solliciter les entreprises qui les détiennent. Pour Christian Krupke, de l’Université de Purdue, « l’industrie est celle qui pilote l’avion ».

Quand l’entreprise décide des protocoles et des publications

Grâce aux brevets, les entreprises pouvaient bloquer un projet de recherche en refusant de fournir le matériel (semences, témoins…) aux chercheurs. Par exemple, en 2002, Paul Guept, de l’Université de Californie, n’a pu obtenir de Monsanto, Pioneer et Syngenta le matériel nécessaire pour rechercher la présence de maïs transgénique au Mexique [3] suite aux publications sur la contamination des variétés indigènes de maïs. Et si une entreprise acceptait le projet de recherche, elle pouvait le conditionner. Une première condition était d’exiger de pouvoir amender le protocole de recherche. Officiellement, les entreprises souhaitaient, par cette condition, prévenir des problèmes pouvant engager leur responsabilité, comme une contamination par exemple. Pour certains chercheurs, cela leur permettait surtout de préparer une défense en cas de résultats défavorables. Selon Elson Shield, chercheur à l’Université de Cornell, certains ont alors laissé tomber leur projet de recherche ou accepté de modifier leur protocole, quand d’autres allaient se fournir ailleurs, illégalement… La seconde condition était de travailler sous le sceau du secret et de solliciter l’accord de l’entreprise pour publier les résultats. Mais pour Beverly Dungan de l’Université du Minnesota, « lorsque vous avez des fonds publics, vous avez comme obligation que votre recherche soit publique et publiée […] Signer un accord de confidentialité est impossible pour nous » [4].

C. Krupke résume ainsi la situation : « les entreprises accumulent des montagnes de données mais il n’y a pas d’avocat du diable, de contre-études » [5]. Si les analyses toxicologiques conduites sur des PGM sont un exemple de ces entraves, il y a plus inquiétant. Un chercheur qui souhaite rester anonyme a expliqué à E. Waltz avoir travaillé, à la demande de Pioneer, sur l’analyse des impacts du maïs GM Cry34Ab1/Cry35Ab1, modifié pour tuer la chrysomèle, sur des insectes non cibles. Les résultats montraient que près de 100% des larves de coccinelle, nourries avec ce maïs, mourraient après le huitième jour de leur cycle de vie. Toujours selon ce chercheur anonyme, si Pioneer a interdit la publication de ces résultats, elle a par contre su en tirer les leçons pour constituer une demande d’autorisation sur base d’analyses étudiant les impacts durant sept jours (soit un jour de moins que les résultats non publiés !) ou avec avec un régime alimentaire des larves différent [6]. Selon le chercheur universitaire anonyme, l’administration étatsunienne, prévenue de ce biais et des résultats non publiés, a choisi de ne rien faire et a délivré l’autorisation. Si Pioneer s’est justifiée en expliquant que les constructions étudiées n’étaient pas les mêmes, le chercheur reste certain de l’arnaque.

Depuis 2009, entreprises et chercheurs négocient

La lettre des entomologistes a été le point de départ de discussions entre chercheurs et entreprises. Comme le précise à Inf’OGM Elson Shields, désormais, à la demande des chercheurs, les universités peuvent négocier et signer un accord avec chaque entreprise. De tels accords couvrent tous les projets de recherche d’une université, pour cinq ans. Les chercheurs n’ont donc plus à négocier directement avec les entreprises au cas par cas. Ils peuvent également se fournir librement dans le commerce en semences, chose impossible auparavant… Et les entreprises ne peuvent plus interdire la publication des résultats scientifiques. Mais malgré ces avancées obtenues, des zones grises persistent. Ainsi, les projets de recherche couverts par l’accord ne pourront concerner des recherches « génétiques », terme général dont l’étendue est floue, selon Elson Shields. Par ailleurs, les entreprises restent libres de signer ou non des accords avec telle ou telle université.

Mais il reste à savoir si, demain, dans un tel système, les universités ne joueront pas le rôle des entreprises sur le contrôle des projets et des résultats, du fait qu’elle sont financées par ces entreprises. Selon E. Shield, la situation observée à ce jour se résume à la demande par des universités que les expériences présentées soient refaites pour s’assurer de l’exactitude des résultats. Mais dans le futur, cela pourrait devenir un problème. Par exemple, en Europe, des chercheurs ont déjà fait face à des conflits avec leur employeur universitaire, du fait de travaux ou positions peu favorables aux OGM, à l’image de Manuela Malatesta, Arpad Pusztaï, Gilles-Eric Séralini ou Christian Vélot [7]. Toujours en Europe, si les régimes de propriété industrielle prévoient une exemption des droits des détenteurs pour la recherche, la mise en œuvre d’une telle exemption reste sujette à caution. Un volet européen de la problématique brevet / recherche sera abordé par Inf’OGM dans un prochain numéro.

[1Waltz, E., 2009, « Under Wraps », Nature Biotechnology, 27:880-882

[3cf. note 1

[4cf. note 1

[5cf. note 1

[6cf. note 1

[7Lire par exemple, « Séralini, un scientifique de plus dans la tourmente », Inf’OGM 104, mai 2010,Séralini, un scientifique de plus dans la tempête et Inf’OGM Actu 12, juillet 2008, FRANCE – Christian Vélot, un lanceur d’alerte soutenu et à soutenir  

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