n°107 - novembre / décembre 2010Interview / débat contradictoire

EUROPE – Amflora : une autorisation illégale selon les experts français

Par Inf’OGM

Publié le 02/11/2010

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Le Haut conseil des biotechnologies (HCB) a rendu coup sur coup, en janvier 2010 et en juillet 2010, deux avis critiques sur les demandes d’autorisation commerciale respectivement d’une betterave [1] et d’une pomme de terre transgéniques [2]. La principale réserve concerne les méthodes de détection et quantification fournies par les entreprises, qualifiées de « non fiables » et « pouvant affecter la loyauté des transactions ». Inf’OGM a interviewé Yves Bertheau, spécialiste à l’Inra de la détection des OGM et membre du Comité Scientifique du HCB, pour mieux comprendre ces avis.

Dans son avis du 12 juillet 2007 sur la pomme de terre Amflora (de BASF) et celui du 7 janvier 2010 de la betterave H7-1 (de Monsanto), pourquoi le HCB écrit-il que le gène de référence utilisé n’est pas adéquat ?

YB – Le système européen impose que chaque PGM commercialisée soit détectable et traçable en fonction de l’ingrédient traduit en termes analytiques par espèce cultivée [3]. Cela implique donc que les méthodes fournies par les pétitionnaires doivent permettre de mesurer la quantité relative d’ADN transgénique présente dans un échantillon. Les normes européennes et celles du laboratoire communautaire de référence établies au Centre Commun de Recherche (CCR) notamment, décrivent donc les critères de performance d’un système de référence de l’espèce cultivée dont l’objectif sera d’établir de manière non ambiguë, la quantité relative d’ADN transgénique. Le principe de base est assez simple : comme pour toute balance classique, la quantité d’ADN transgénique sera calculée en se référant à une tare, qui sera la quantité d’ADN issue de l’espèce cultivée. On établira le pourcentage d’ADN transgénique présent dans un échantillon par l’équation : % d’ADN transgénique présent = (nombre de molécule d’ADN transgénique / nombre de molécule d’ADN de référence)*100

Le gène de référence joue donc un rôle clef. Les normes ISO 24276 et 21270 ainsi que les critères de performance ENGL [4] définissent que le gène de référence choisi doit être spécifique d’une espèce, présent en une seule ou peu de copies dans le génome, avoir une séquence qui se conserve d’une variété à l’autre et ne pas être l’objet de mutation. Ceci pour assurer une identification non ambiguë et robuste. Dans le cas de la pomme de terre et de la betterave, les gènes de référence proposés par les entreprises dans les dossiers ne sont pas spécifiques à une espèce. Celui de la betterave, par exemple, « ne permet pas de discriminer le navet ou navette […], espèce différente de la betterave » [5]. Il ne permet également pas de distinguer la betterave à sucre des betteraves potagère ou fourragère. Ce manque de spécificité du gène de référence « pourrait induire […] affecter la loyauté des transactions ». Pour la pomme de terre, le système proposé n’est tout simplement « pas fiable », pour les mêmes raisons (cf. encadré ci-dessous).

Mais concrètement, qu’est-ce que cela implique quant à la quantification ?

YB – Comme déjà indiqué, des erreurs de quantification seront possibles avec, selon les cas, des quantités surestimées ou sous-estimées. Pour prendre un exemple concret : imaginons qu’une contamination par de la betterave sucrière transgénique ait lieu dans un champ de betterave sucrière non transgénique. L’ajout de betterave fourragère par exemple permettra de baisser artificiellement la quantité d’ADN transgénique dans l’échantillon fourni car on aura augmenté le nombre de molécules d’ADN de référence dans l’équation indiquée auparavant. C’est pour cela que le HCB a parlé de loyauté des transactions affectée. Il existe des cas où à l’inverse, la quantité d’ADN transgénique pourrait être surestimée comme par exemple avec la pomme de terre pour laquelle certaines variétés ne seraient pas correctement quantifiées. Comment assurer les contrôles d’étiquetage, les mesures aux frontières ou autres contrôles douaniers dans ces conditions ? Il n’est tout simplement pas possible de quantifier correctement l’ADN transgénique présent !

Sur les autres dossiers, la même question se pose-t-elle ?

YB – Concernant la betterave et le colza, nous sommes dans ce qui s’appelle des complexes d’espèces. Il s’agit d’espèces végétales dans lesquelles les plantes différentes sont nombreuses. Pour la pomme de terre, nous sommes dans une famille plus complexe qu’initialement prévue. Pour ces trois taxons, ce problème de gène de référence adéquat est donc particulièrement important. Pour le maïs, il se pose également bien que sous une forme différente. Pour cette plante, plusieurs gènes de référence déjà connus existent et sont fiables. Mais d’autres gènes de référence connus également ne sont pas fiables car plusieurs sont l’objet de mutation (changement de séquence d’ADN) ce qui modifie notre capacité à les détecter. Un article publié en 2008 expliquait ce phénomène, article dont le titre traduit en français est clair : « Un polymorphisme sur un seul nucléotide (SNP839) dans le gène de référence adh1 affecte la quantification du maïs génétiquement modifié (Zea mays L.) » [6]. C’est pourquoi le système de référence est défini aussi précisément : utilisation d’un système spécifique à l’espèce, présent en une seule ou peu de copies dans le génome, en nombre constant, non sujet à mutation. Pour s’assurer de cette spécificité, le gène de référence utilisé doit être testé sur une vingtaine de variétés différentes, représentant la diversité génétique et géographique d’une plante. Dans certains cas, il est même demandé que les ancêtres puissent être caractérisés par le gène utilisé (exemple : la téosinte pour le maïs).

Ce qui est étonnant dans le cas du maïs, c’est que le laboratoire de référence communautaire, sis au CCR-IHCP (Institut pour la santé et la protection des consommateurs), n’a pas repris à son compte les résultats du CCR-IRMM (Institut des matériaux et mesure de référence) quant à cette méthode. Validée pour des critères de performance purement statistiques sur une seule variété de maïs, cette méthode ne répond donc plus aux exigences réglementaires mais reste pourtant en ligne et est utilisée par de nombreux laboratoires de routine. Comment un laboratoire d’analyses de routine peut-il gérer de telles « subtitlités » si le laboratoire de référence communautaire ne prend pas les choses en main ?

Au point de vue réglementaire strict, l’avis du HCB sur cette question remet donc en question la légalité de l’autorisation donnée pour la pomme de terre Amflora ainsi que l’avis donné par l’AESA dans le cadre de la demande d’autorisation de la betterave sucrière H7-1.

[1Avis du Comité scientifique du HCB sur la betterave H7-1, des entreprises Monsanto et KWS SAAT AG (Allemagne), tolérante aux herbicides à base de glyphosate, http://ogm.gouv.fr/IMG/pdf/Avis-CS-…

[2Avis du Comité scientifique du HCB sur la pomme de terre EH92-527-1 de l’entreprise BASF, avec une teneur plus forte en amylopectine et une résistance à certains antibiotiques de la famille des aminoglycosides, http://ogm.gouv.fr/IMG/pdf/Avis_CS_… 

[4 cf. document attaché à cet article

[5cf. note 1, page 17

[6« A single nucleotide polymorphism (SNP839) in the adh1 reference gene affects the quantitation of genetically modified maize (Zea mays L.) », Broothaerts, W. et al., Journal of Agricultural and Food Chemistry, 56 (19) : 8825-8831

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