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ETATS-UNIS – La diplomatie au service des OGM

Par Christophe NOISETTE

Publié le 21/05/2013

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En 2010, quand ont été publiés, sur le site Wikileaks, des milliers de « câbles » étasuniens [1], la diplomatie de ce pays s’est révélée être au service des industries nationales et notamment de la promotion des plantes génétiquement modifiées (PGM). Inf’OGM écrivait alors : « Au Vatican, à Madrid, à Paris, mais aussi à Rome, au Caire, etc., les ambassades des États-Unis cherchent à imposer les PGM : c’est ce que nous confirment les dernières fuites obtenues par Wikileaks ». Ce rôle de lobbyiste qu’a endossé le Département d’État étasunien vient, à nouveau, d’être confirmé par une étude approfondie menée par l’ONG Food and Water Watch. Cette dernière a en effet sélectionné les 926 câbles diplomatiques destinés à quelques 113 pays entre 2005 et 2009 qui contenaient le mot « biotech » ou « GMO ».

Food and Water Watch explique, en préambule, qu’en 2009 aux États-Unis, le taux d’adoption des variétés transgéniques de soja, maïs et coton dépassait les 80%. Le marché des PGM dans ce pays était ainsi quasi saturé. Au niveau mondial, de même, en 17 ans, le marché des PGM se limitait globalement à quatre pays (États-Unis, Canada, Brésil et Argentine). L’industrie des OGM avait alors deux choix pour survivre : développer de nouvelles PGM ou conquérir de nouveaux pays. Le Département d’État a donc choisi clairement de soutenir une politique d’ouverture des marchés aux OGM sur l’ensemble du globe. Et l’administration Obama a mené exactement la même politique que celle menée sous George Bush, voire a été plus prolixe étant donné que le nombre de câbles « biotech » a augmenté de façon impressionnante entre 2005 (106 câbles) et 2009 (254 câbles).

« User la résistance » des peuples

Tout d’abord, Food and Water Watch souligne que les États-Unis reconnaissent clairement qu’il existe une opposition aux OGM, dans l’Union européenne mais aussi dans certains pays en développement. Un des buts de la diplomatie étasunienne est donc de tout mettre en œuvre pour réduire, voire éliminer cette opposition. Ainsi, le rapport révèle qu’en dépit des efforts de l’ambassade des États-Unis en Hongrie pour « user la résistance de la Hongrie  », le public n’a montré « aucun signe de changement d’état d’esprit par rapport au moratoire sur le maïs transgénique ». Dans un autre câble, le Département d’État reconnaît le poids global de l’opinion européenne et avoue avoir essayé d’en limiter l’influence.

Les moyens mis en œuvre par le département d’État étasunien sont très importants et divers. Ainsi, les câbles nous apprennent que « au Pérou et en Roumanie, le gouvernement étasunien a aidé à la création de nouvelles ONG pro-biotech  ». Les médias sont aussi largement mobilisés pour vanter les mérites des OGM et diffuser les messages de propagande. Le rapport estime que 6% des câbles (destinés à 21 pays) visent délibérément la promotion des OGM dans les médias. En 2005, le Consulat des États-Unis à Milan a organisé une visite dans quatre villes pro-OGM qui s’est traduite par quatre pages d’interviews dans le magazine L’Espresso et quelques reportages télé… En 2006, c’est en Égypte que le département d’État organise une table ronde avec des journalistes qui, là encore, se convertit efficacement en articles. Un interview télé est même diffusé sept fois. En Slovénie, c’est un pamphlet en langue nationale qui est édité pour vanter les bienfaits des biotechnologies végétales. L’ambassade en Colombie, elle, a proposé la diffusion de quelques spots radios qui mettent en avant des experts favorables aux OGM. A Hong-Kong, le consulat a envoyé un DVD de propagande à chaque « high school ». Dernier exemple présenté dans le rapport de Food and Water Watch, l’ambassade de Zambie a proposé la diffusion de documentaires télé aux heures de grande écoute. La stratégie est la même indépendamment du pays.

Chic, luxe et voyages d’affaire « tous frais payés »

La diplomatie s’est aussi immiscée dans les colloques en les organisant, les finançant, ou en plaçant comme intervenants ses experts. Ainsi, selon l’ONG Food and Water Watch, « les responsables du département d’État et des experts invités ont participé à 169 événements publics dans 52 pays entre 2005 et 2009  ». Un des buts est bien entendu d’influencer les politiques nationales pour qu’elles soient plus permissives avec les plantes GM. Le rapport mentionne un câble de 2008, en provenance de l’ambassade au Mozambique : « Notre atelier a permis une plus grande ouverture aux biotechnologies et visait les responsables au plus haut niveau en charge des politiques sur les biotech ». Au Yémen, un atelier devait être « un catalyseur de la législation sur les OGM pour qu’elle considère la position étasunienne ». Ces évènements peuvent aussi être des opérations de séduction en tant que telles, comme cette rencontre organisée à Venise, en 2005, avec Andrea Bocelli, un ténor italien très célèbre. En Slovaquie, l’ambassade a financé et co-organisé une conférence sur les biotechnologies dans la ville thermale de Piestany. Le chic et le luxe sont utilisés régulièrement pour favoriser leur opération de propagande et de lobby.

Une autre technique, connue elle aussi depuis des lustres : les voyages d’affaire « tous frais payés » aux États-Unis, au cœur de l’empire des OGM. Ces voyages sont à destination des journalistes, élus mais aussi des scientifiques ou des responsables administratifs. Le département d’État a organisé ou sponsorisé 28 voyages pour des personnes clés de 17 pays entre 2005 et 2009.

Un lobbyiste étasunien rencontre le HCB

En France, Jack Bobo, conseil pour les biotechnologies au Département d’Etat, a récemment rencontré des membres du Haut conseil sur les Biotechnologies (HCB), à l’exclusion du vice-président (représentant France Nature Environnement (FNE) dans cette institution). Malgré les protestations officielles de FNE, aucun compte-rendu de la rencontre n’a été fourni. Jack Bobo est aussi intervenu en faveur des biotechnologies végétales en Hongrie, Thaïlande, Roumanie ainsi qu’au Vatican, comme l’a souligné Wikileaks.

Le rapport de Food and Water Watch souligne que le département d’État a fait pression, via les ambassades et autres agences, sur les politiques nationales pour dénoncer les lois trop restrictives, et pousser des lois favorables à l’importation ou à la culture des plantes transgéniques.

En 2006 et en 2008, le département d’État a fait pression sur la Pologne, en soulignant clairement qu’un moratoire sur les importations ou une loi trop restrictive sur les OGM auraient des répercussions sur les intérêts commerciaux entre ce pays et les États-Unis. De même, en Turquie, le département d’État a estimé que la proposition de loi pourrait faire perdre un million de dollars aux exportateurs de produits GM. Il a donc cherché des alliés pour qu’elle soit retirée. Au Nicaragua, suite à une campagne orchestrée par les États-Unis, c’est une loi jugée « anti-OGM » qui tombe, en Thaïlande, l’ambassade organise un lobby pour que soit annulé le moratoire sur les essais en champs de papayes GM. En 2005, l’ambassade en Afrique du Sud suggérait à Monsanto et à Pionner de proposer des candidats qualifiés pour des postes alors vacants dans l’administration sud-africaine en charge de biotechnologies. Au Burkina-Faso, l’ambassadeur a réussi à convaincre le Premier ministre de donner à Monsanto une autorisation non pas, comme prévu, pour un an, mais pour cinq ans, pour commercialiser son coton Bt GM.

Deux crédos : breveter et ne pas étiqueter

D’autres câbles montrent que les États-Unis agissent pour éviter que des pays rendent obligatoire l’étiquetage des produits contenant des OGM. C’est un point qui revient régulièrement dans les câbles dépouillés par l’ONG. 11,6% des câbles en provenance de 42 pays évoquent cette question de l’étiquetage. L’autre thème récurrent dans les câbles est la propriété intellectuelle. Le département d’État a influencé de nombreuses lois, notamment dans certains pays du Sud, pour créer un climat juridique favorable aux brevets. C’est 7% des câbles retenus qui traitaient de questions liées à la propriété intellectuelle. En 2007, l’ambassade demande expressément au gouvernement ukrainien de poursuivre les contre-façons. Quant à l’Argentine, pays qui cultive du soja GM sur des millions d’hectares sans reconnaître les brevets de Monsanto, on se doute que l’ambassade a tout fait pour que cette entreprise puisse toucher des royalties sur ces semences. Plusieurs câbles évoquent les négociations que l’ambassade a menées, en 2005 et en 2007, des voyages d’affaire organisés aux États-Unis en 2008 ou une demande explicite de soutien faite par Monsanto à l’ambassade. Au final, «  l’Argentine a autorisé Monsanto à breveter ses nouvelles générations de soja GM en 2011, mais Monsanto avait déjà sécurisé le paiement de ses royalties en exigeant des agriculteurs qu’ils signent des contrats individuels en achetant leurs semences ».

Ce rapport démontre donc clairement que le gouvernement des États-Unis a eu, et continue d’avoir, un rôle de lobbyiste, transformant ses diplomates en véritables VRP de l’industrie semencière et des OGM. Et tout cela, financé par de l’argent public. Or, en agissant ainsi, les États-Unis vont délibérément contre les souverainetés nationales et les souhaits des peuples. Peu leur importe. L’économie capitaliste a besoin de nouveaux marchés et donc le gouvernement participe, sciemment, à l’ouverture de nouvelles frontières.

Et si cette attitude est critiquable en soi, n’oublions pas aussi de balayer devant notre porte : il n’est en effet pas rare, dans le domaine du nucléaire, que le gouvernement français se comporte de façon identique avec les pays étrangers, en vantant le bienfait de ses centrales…

[1Note : FWW n’a pris en compte que les câbles traitant des biotech agricoles et non pharmaceutiques. Wikileaks a révélé 250 000 câbles diplomatiques envoyés entre 2005 et 2009, ce qui ne représente que 10% de l’ensemble de ces câbles sur cette période.

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