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Absence d’étiquetage du miel contenant du pollen OGM : la manoeuvre de la Commission européenne

Par Christophe NOISETTE, Pauline VERRIERE

Publié le 27/01/2014

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Depuis le jugement de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) suite à l’affaire Bablock [1], c’est l’effervescence dans les couloirs de la Commission européenne… Cette dernière cherche en effet depuis un an une manière juridique de contourner la décision de la CJUE, selon laquelle le pollen est un ingrédient du miel et non un constituant. Cette définition détermine en effet l’obligation d’étiqueter ou non la présence de pollen génétiquement modifié dans un pot de miel.

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La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), interrogée sur cette question dans l’affaire Bablock a en effet précisé que le pollen, constituant naturel, devait être considéré également comme un ingrédient du miel. Et qu’à ce titre, le miel contenant plus de 0,9% de pollen GM par rapport à la quantité globale de pollen devait être étiqueté.

La Commission européenne, dans cette affaire, soutenait au contraire une distinction claire entre ingrédient et constituant naturel, et arguait que le pollen était un constituant naturel. Le 21 septembre, elle a donc décidé de proposer une modification de la directive « miel » (dite 2001/110/CE relative) [2] pour lever le flou de la législation sur le statut du pollen. A l’appui de cette modification, la Commission européenne évoque les normes du Codex alimentarius [3] servant de référence au sein de l’OMC, lesquelles considèrent le pollen en tant que constituant. « Dans la proposition de la Commission, […] le pollen est reconnu comme un constituant naturel et non comme un ingrédient, car il entre dans la ruche par l’effet de l’activité des abeilles et se trouve dans le miel indépendamment d’une éventuelle intervention de l’apiculteur. Par conséquent, le pollen étant considéré comme un constituant naturel du miel, les règles de l’Union en matière d’étiquetage qui exigent la présence d’une liste d’ingrédients ne s’appliqueraient pas » [4].

Concrètement, comme le met en avant la Commission européenne, le miel est un « produit naturel » et, à ce titre « il n’est pas fabriqué par les hommes mais par les abeilles et donc il n’est pas divisé par ingrédient », comme le souligne Frédéric Vincent, contrairement à l’avis de la CJUE [5]

Comme nous allons le voir, en demandant que le pollen ne soit pas considéré comme un ingrédient mais seulement comme un constituant du miel, la Commission européenne demande ni plus ni moins que le miel contenant du pollen génétiquement modifié ne soit pas étiqueté. C’est là son véritable objectif, mais son raisonnement pour y parvenir pose de nombreuses questions…

Pourquoi la CJUE conclut que le pollen est un ingrédient ?

Avant d’essayer de comprendre le raisonnement de la Commission européenne, arrêtons-nous d’abord sur celui de la CJUE.

Dans son arrêt, la CJUE cite l’article 3 (de la Section I : Autorisation et Surveillance) du règlement 1829/2003 et notamment son paragraphe 1 : « La présente section concerne : a. les OGM destinés à l’alimentation humaine ; b. les denrées alimentaires contenant des OGM ou consistant en de tels organismes ; c. les denrées alimentaires produites à partir d’ingrédients produits à partir d’OGM, ou contenant de tels ingrédients ».

Pour entrer dans le champ d’application du a) et b), la denrée alimentaire considérée doit correspondre à la définition d’OGM et d’organisme, c’est-à-dire être génétiquement modifiée et être capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique. Ainsi un grain de maïs GM cuit n’est plus un organisme, car il ne peut se reproduire. C’est le cas de la plupart des aliments produits à partir d’OGM. Ces produits là n’échappent pas pour autant à la réglementation (évaluation, autorisation et étiquetage), puisqu’ils entrent dans la troisième catégorie c) prévue par le règlement. Par exemple, la salade qui contient du maïs cuit GM doit être étiquetée. Certes ce maïs n’est plus juridiquement un OGM car il n’a plus la capacité de se reproduire, mais ce maïs présent dans la salade a bel et bien été élaboré à partir d’un maïs GM. 

Le raisonnement de la CJUE en détail et en citations

La CJUE note tout d’abord que le pollen « n’est pas ou n’est plus capable de transférer du matériel génétique, de sorte qu’il ne peut pas être considéré comme un OGM ». Elle continue en affirmant que « des produits tels que le miel et les compléments alimentaires à base de pollen en cause au principal sont destinés à être ingérés par l’être humain. Ils sont donc des « denrées alimentaires » au sens des articles 2, point 1, du règlement n° 1829/2003 et 2 du règlement n° 178/2002 », et donc de conclure : « Le pollen en litige au principal est issu du maïs MON810, c’est-à-dire d’un OGM. Ce pollen doit être considéré comme « produit à partir d’OGM » au sens de l’article 2, point 10, du règlement n° 1829/2003 ». Ensuite, elle en vient à la notion d’ingrédient, définie par les articles 2, point 13, du règlement n° 1829/2003 et 6, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/13 comme « toute substance […] utilisée dans la fabrication ou la préparation d’une denrée alimentaire et encore présente dans le produit fini, éventuellement sous une forme modifiée ». Or, « les pollens sont des particules solides provenant effectivement de la récolte du miel, partiellement du fait des abeilles et, principalement, par l’effet de la centrifugation réalisée par l’apiculteur ». Et de conclure ce deuxième point ainsi : « le pollen, qui entre dans la définition même du miel énoncée par la directive 2001/110, doit être considéré comme une substance « utilisée dans la fabrication ou la préparation d’une denrée alimentaire et encore présente dans le produit fini », « il doit donc également être qualifié d’« ingrédient » au sens des articles 2, point 13, du règlement n°1829/2003 et 6, paragraphe 4, sous a), de la directive 2000/13 ». Conclusion de la Cour : « Lorsqu’une substance telle que du pollen contenant de l’ADN et des protéines génétiquement modifiées n’est pas susceptible d’être considérée comme un organisme génétiquement modifié, des produits comme du miel et des compléments alimentaires contenant une telle substance constituent, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 1829/2003, « des denrées alimentaires […] contenant [des ingrédients produits à partir d’OGM] ». Pareille qualification peut être retenue indépendamment du fait de savoir si l’apport de la substance en cause a été intentionnel ou fortuit ».

Une autre conclusion serait totalement en désaccord avec la réglementation européenne et son objectif de protection de la santé humaine. Et c’est sur cela que la CJUE a basé son jugement. Finalement, peu importe de savoir si le pollen conserve sa capacité de reproduction ou non, s’il a été incorporé par l’action de l’apiculteur ou celles des abeilles. Ce qui compte, c’est la présence de matériel GM dans le miel. Ce qui est bien le cas dans cette affaire, puisque le miel de M. Bablock contenait du pollen issu de maïs GM MON810 à hauteur de 4,1% de l’ADN total du maïs [6]. Et c’est pour cela que la CJUE a déterminé juridiquement que le pollen était à la fois un constituant naturel du miel et un ingrédient (paragraphe 79 du jugement), et qu’à ce titre il devait être règlementé par le règlement 1829/2003 (article 3. 1. c). Ainsi, ce pollen produit à partir d’une PGM doit faire l’objet d’une évaluation et d’une autorisation préalable, ainsi que d’un étiquetage quand sa présence est supérieure au seuil de 0,9% de l’ensemble du pollen de la même espèce. La CJUE souligne que la distinction que la Commission européenne souhaite faire entre ingrédient et constituant « compromettrait l’objectif de protection de la santé humaine, dans la mesure où une denrée alimentaire telle que le miel échapperait à tout contrôle de son innocuité, alors même qu’elle contiendrait des quantités élevées de matériel génétiquement modifié ».

Malgré cet arrêt, la Commission européenne n’en démord pas

À la suite de cette décision, la Commission européenne a maintenu la position qu’elle avait alors exprimée devant la CJUE : elle oppose les notions d’ingrédient et de constituant naturel, et pour elle, le pollen ne peut relever que de cette seconde catégorie. Elle a alors proposé, en 2012, une modification de la directive 2001/110 sur le miel, pour retirer toute place au doute : « Le pollen, étant un constituant naturel propre au miel, n’est pas considéré comme un ingrédient ». Son objectif, clairement affiché, est l’absence d’étiquetage du miel contenant du pollen GM. 

Pourquoi ce changement de qualification juridique pourrait rendre caduque l’obligation d’étiquetage ?

La Commission européenne estime en effet que ce changement de qualification juridique changera le mode de calcul qui permet ou non de conclure à l’étiquetage. Tout d’abord, précisons que l’étiquetage des OGM se fait ingrédient par ingrédient. Voici donc son raisonnement : si le pollen était un ingrédient, alors le pourcentage de pollen GM présent dans le miel devrait être calculé par rapport à la quantité totale du pollen de la même espèce (par exemple de maïs). Mais si le pollen devient un constituant, alors la quantité de pollen GM devrait être, en théorie, calculée par rapport à l’ensemble du contenu du pot de miel. Dans ce cas, en effet, nous n’avons plus qu’un seul ingrédient. C’est ce qu’avait affirmé M. Poudelet, directeur de la Direction sécurité de la chaîne alimentaire, au sein de la Direction Générale Santé et Consommateur (DG SANCO), lors d’une interview accordée à Inf’OGM [7]. C’est également cet argumentaire que Julie Girling, rapporteure du projet de texte de la Commission européenne devant le Parlement européen, a repris à son compte : « Conformément à la réglementation sur les OGM, seul le contenu génétiquement modifié dépassant 0,9% du produit doit être étiqueté. Étant donné que le pollen n’est présent qu’à hauteur de 0,5% environ dans le miel, il ne dépasserait jamais le seuil qui nécessiterait son étiquetage ». De même le Parlement européen écrivait, avec une grosse erreur, on le verra plus bas, dans son communiqué de presse : « Le Parlement a adopté un projet définissant le pollen comme un composant naturel du miel, plutôt que comme un ingrédient, lors d’un vote ce mercredi. Cela signifie que le pollen génétiquement modifié doit être étiqueté s’il représente plus de 0,9% du miel » [8].

Comme le miel ne contient jamais plus de 0,5% de pollen, cela revient à dire que le miel échappe à tout étiquetage. En effet, le pollen GM ne pourrait jamais représenter plus de 0,9% du miel, puisque même si tout le pollen dans le miel était d’origine transgénique, il ne représenterait alors au maximum que 0,5% du miel…

Mais ce mode de calcul semble contestable. Dans l’Union européenne, il existe en effet deux types d’étiquetage. Soit le produit final contient de l’ADN transgénique : il est alors étiqueté s’il contient plus de 0,9% d’ADN modifié d’une espèce végétale par rapport à la quantité d’ADN de cette même espèce végétale dans le produit. Soit le produit final ne contient plus d’ADN, du fait de son mode de transformation, comme les huiles par exemple, alors l’étiquetage se fait sur la base d’une traçabilité documentaire. Si la matière première qui a servi pour élaborer l’huile était transgénique à plus de 0,9%, l’huile sera étiquetée.

Dans le cas qui nous intéresse ici, seul le pollen contient de l’ADN, et la part d’ADN transgénique doit être calculée par rapport à la même espèce végétale dont est issu le pollen (pollen de maïs GM par rapport à l’ensemble du pollen de maïs). Bien en peine seraient les personnes qui devraient calculer la part du pollen GM par rapport à la quantité totale de miel… C’est un peu comme si on leur demandait de calculer la part de pommes vertes, non pas par rapport à la quantité totale de pommes, mais par rapport à l’ensemble du contenu du frigo… C’est-à-dire faire un rapport entre des choses qui n’en n’ont pas.

C’est surtout contraire aux recommandations de la Commission européenne de 2004 (recommandation n°2004/787 du 4 octobre 2004) qui préconise que « les résultats de l’analyse quantitative doivent être exprimés sous forme du nombre de copies d’ADN GM rapporté au nombre de copies d’ADN spécifique du taxon cible, exprimé en pourcentage ». Le Joint Research Centre, à la demande de la Commission, a également essayé de trouver une méthode de calcul du pollen par rapport à l’ensemble du miel [9] sans pouvoir y parvenir de manière définitive.

Le changement de rapport de calcul est-il réellement la véritable raison de l’absence d’étiquetage ? C’est en tout cas ce qu’affirme la Commission.

Une autre raison, non technique mais juridique, pourrait expliquer l’acharnement de la Commission à préciser le statut du pollen dans le miel. En supprimant la possibilité de considérer le pollen comme un ingrédient, il semblerait qu’il ne rentre plus dans aucune des trois catégories de l’article 3 du règlement 1829/2003. Mais alors, le pollen GM sort-il complètement du champ d’application de ce règlement ? Et cela voudrait-il dire que le pollen GM contenu dans le miel, quel qu’il soit, ne nécessiterait aucune autorisation préalable ? Ni surveillance, ni étiquetage postérieurs ? [10] ]]

En ce qui concerne l’étiquetage, c’est l’article 12 du règlement qui définit les denrées alimentaires devant être étiquetées. Contrairement à l’article 3 (qui encadre l’autorisation et la surveillance), ce dernier considère une catégorie qui n’est ni un OGM ni un ingrédient, en tout cas dans la version française de ce règlement. Il s’agit de denrées alimentaires « produites à partir d’OGM » et non de denrées alimentaires « produites à partir d’ingrédients produits à partir d’OGM ». En retirant cette référence à la notion d’ingrédient, le pollen GM pourrait être néanmoins étiquetable et ce, malgré la modification de la directive miel. N’oublions pas que par « produit à partir d’OGM », il faut entendre « issu, en tout ou en partie, d’OGM, mais ne constituant pas en OGM et n’en contenant pas », une définition qui sied parfaitement au miel et à son pollen GM. À noter toutefois, pour simplifier les choses, que cette subtilité existe dans la version française officielle du règlement 1829/2003, mais pas dans la version anglaise, non moins officielle, de ce même texte [11]… Dans la version anglaise du règlement, l’article 3 et 12 sont strictement équivalents entre eux et à l’article 3 de la version française.

Résumons : en modifiant la directive « miel », la Commission européenne espère que le miel qui contient du pollen GM échappe à tout étiquetage. Il est possible que le mode de calcul sur lequel elle base son projet soit erroné. Mais plus probablement, cette modification pourrait avoir pour conséquence de faire sortir le pollen GM du règlement 1829/2003, au moins en ce qui concerne la section 1 (autorisation et surveillance) mais pas la section 2 (étiquetage). Tout du moins si on se réfère à la version française du règlement 1829/2003.

Pollen d’OGM non autorisé = miel renvoyé

Le porte-parole de la DG Sanco, Frédéric Vincent, souligne en revanche que si un pot de miel importé contenait, ne serait-ce qu’à l’état de traces, du pollen issu d’une plante génétiquement modifiée (PGM) non autorisée pour l’alimentation humaine dans l’UE, il sera refusé et renvoyé au pays exportateur. Selon lui, l’Argentine aurait déjà mis en place des zones géographiques spécifiques pour la production de miel destiné à l’exportation pour éviter les contaminations.

Une chose est sûre, la Commission européenne, avec son projet, est bien loin de son objectif de clarification, et la CJUE a encore de beaux jours devant elle !

[4Extrait de la proposition, disponible en anglais uniquement

[5Au paragraphe 88, de la décision du 6 septembre 2011, on peut lire : « Cette présence, au contraire, est la conséquence même d’un processus de production conscient et voulu par l’apiculteur désireux de produire la denrée alimentaire qualifiée de miel par la législation de l’Union. Elle résulte, de surcroît, pour l’essentiel, de l’action de l’apiculteur lui-même, du fait de l’opération matérielle de centrifugation à laquelle il procède aux fins de la récolte ». Et de poursuivre, au paragraphe 87 : « Enfin, il ne peut être considéré, ainsi que le suggère Monsanto pour exclure également le miel du champ d’application de ce règlement, que la présence de pollen n’est pas le résultat d’un processus de production intentionnel ».

[6Cf. le jugement de la CJUE du 6 septembre 2011, affaire C-442/09, paragraphe 36 : En 2005, la présence, d’une part, d’ADN de maïs MON 810, dans une proportion de 4,1% par rapport à l’ADN total du maïs, et, d’autre part, de protéines transgéniques (toxine Bt) a été constatée dans le pollen de maïs récolté par M. Bablok dans des ruches situées à 500 mètres des terrains du Freistaat Bayern.

[10Suite au jugement de la CJUE, et dans l’attente de l’adoption de sa proposition de modification de la directive « miel », il fallait une autorisation pour le pollen issu de maïs MON810, car l’autorisation pour le MON810 obtenue en 1998 ne couvrait pas le pollen. Monsanto a donc déposé en urgence un dossier d’autorisation pour ce pollen GM, autorisation qui a été accordée par la Commission européenne en l’absence de majorité qualifiée des États membres. Cf. [[Eric MEUNIER, « UE – Dix nouvelles autorisations d’OGM pour l’importation données par la Commission européenne », Inf’OGM, 6 novembre 2013

[11En anglais le point c) est ainsi rédigé : « food produced from or containing ingredients produced from GMOs ».

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