Dans une série d’articles, Inf’OGM tente de débroussailler le complexe sujet des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) et leur utilisation industrielle [1]. Nous avons déjà analysé l’utilisation de ces MGM pour produire des enzymes utilisées dans les filières agro-alimentaires [2]. Les vitamines ou des additifs, comme des édulcorants ou acides aminés, peuvent également être produits industriellement via des MGM.
Moins de dossiers que pour les enzymes
Pour la période comprise entre 2005 et mi-2023, Inf’OGM a pu lire 723 demandes d’autorisations pour des molécules utilisées en filière agro-alimentaire [3]. Sur ces 723 demandes déposées dans l’Union européenne et analysées par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), une petite partie concerne des vitamines ou autres additifs. Le tableau ci-dessous résume la part de chaque dossier.
Molécule | Nb de dossiers vus | Origine OGM | Origine incertaine | Origine déclarée non OGM |
---|---|---|---|---|
Enzymes | 601 | 242 | 252 | 107 |
Vitamines | 62 | 9 | 19 | 34 |
Autres additifs | 60 | 22 | 20 | 18 |
TOTAL | 723 | 273 | 291 | 159 |
Comme nous allons le voir au travers de deux exemples, ces produits que sont les vitamines ou autres additifs sont d’importance pour la filière agro-alimentaire. Ces vitamines, acides aminés ou édulcorants sont ajoutés dans les aliments pour l’humain ou les animaux pour être directement assimilés par ces derniers. Présents dans de très nombreux produits, leur origine « produit à partir d’OGM » n’est pourtant pas renseignée auprès des transformateurs les utilisant. En 2006, les États membres de l’Union européenne décidaient en effet de rendre cet étiquetage non obligatoire [4]. Les industriels peuvent même parfois aller plus loin en évoquant que les additifs sont in fine « non OGM », alors même qu’ils ont été produit par des MGM… [5]
Deux vitamines produites par des MGM
Entre 2005 et mi-2023, l’AESA s’est penchée sur 62 demandes d’autorisation de commercialisation pour des vitamines. Ces 62 dossiers concernent 13 vitamines [6]. Si une majorité d’entre elles sont produites par synthèse chimique, cinq sont produites par des micro-organismes (les vitamines B2, B12, C, D2 et D3). Pour ces cinq cas de figure, ce sont 20 dossiers qui ont été déposés par 15 entités industrielles [7].
Une seule, la vitamine B2, fait l’objet de demandes d’autorisation pour une production industrielle utilisant des MGM. Sur les onze dossiers déposés, huit, soit la majorité des demandes déposées pour cette vitamine, font intervenir une production par MGM. Ils sont le fait de six entités industrielles [8]. Cette vitamine a une histoire particulière dans le dossier des MGM en Europe. En 2018, 20 tonnes de vitamine B2 présentes dans l’Union européenne se sont avérées contaminées par le MGM ayant servi à la produire, à savoir la bactérie transgénique B. subtilis KCCM-1045. Officiellement, la vitamine doit être exempte de toute trace d’ADN. Découverte par les autorités allemandes, cette contamination s’était répandue dans vingt États membres. Inf’OGM avait à l’époque expliqué que l’Allemagne, l’Autriche ou encore la Belgique, faisaient partie des pays vigilants sur ces importations. Ils craignaient justement des contaminations « en cas d’utilisation de micro-organismes génétiquement modifiés en milieu confiné ou de produits dérivés de ces OGM » [9].
Les additifs produits par des MGM
Les autres molécules produites par des micro-organismes GM sont divers additifs, principalement des acides aminés (les briques qui constituent les protéines), mais également des sucres, pigments ou sels. 62 demandes d’autorisation ont été déposées entre 2005 et mi-2023, dont 22 impliquent l’utilisation de MGM. Les MGM sont principalement utilisés pour produire des acides aminés mais également de l’acide lactique ou des glycosides de stéviol (utilisés comme édulcorant). Ces 22 demandes ont été déposées par neuf entités industrielles différentes [10].
Parmi les acides aminés produits par des MGM, le plus emblématique est la lysine, ou plus précisément la forme L-Lysine. Cet acide aminé est principalement utilisé par l’industrie agro-alimentaire, mais on le retrouve également dans des produits de l’industrie pharmaceutique et cosmétique [11]. Sur les six dossiers passés devant l’AESA, cinq impliquaient une production de lysine par un MGM et ces cinq dossiers avaient tous pour objectif l’alimentation animale. La lysine est essentielle au développement des humains et des animaux. Comme ils ne produisent pas naturellement cet acide aminé, ils doivent le trouver dans leur alimentation, comme par exemple les légumineuses, les œufs, etc. Dans les élevages où l’alimentation n’est pas suffisamment variée ou nutritive, cet acide aminé est apporté comme complément. Quatre entreprises ont donc demandé une autorisation pour pouvoir commercialiser une L-Lysine produite par des bactéries génétiquement modifiées [12].
Les glycosides de stéviol sont un autre exemple d’additif pouvant être produit par des MGM mais, dans leur cas, cette production est plus récente. Initialement extraite d’une plante originaire d’Amérique du Sud, la stévia (Stevia rebaudiana) est utilisée traditionnellement depuis des siècles sous forme d’herbe ou de miel. Aujourd’hui, cet édulcorant est devenu un marché très prometteur. Autorisé en France depuis 2010 sous le nom de E960, la stévia se présente comme une alternative directe à l’aspartame, lui-même alternative au sucre pour les personnes diabétiques notamment [13]. Leur production est principalement réalisée par extraction de feuille de stévia. Mais, en 2021, deux entreprises ont demandé une autorisation pour commercialiser certaines molécules de glycosides de stéviol (les Rebaudioside) produites par des levures génétiquement modifiées [14]. Une première, comme le souligne l’entreprise Amyris dans la demande d’autorisation déposée en Nouvelle-Zélande un an plus tôt qu’en Europe, en 2020 [15]. Selon cette entreprise, le principal gain à produire via des MGM est l’obtention d’une plus grande quantité que par extraction des feuilles de stévia. La rentabilité pour l’entreprise serait donc supérieure.
On notera qu’une troisième entreprise, SweeGen, ne produit pas directement la stévia à partir de MGM mais utilise dans son procédé de fabrication des enzymes produites par MGM. Ces enzymes servent à produire de la stévia à partir d’extraits de feuilles [16].
Un additif particulier
En 2019, l’Union européenne recevait une demande d’autorisation particulière par l’entreprise étasunienne Impossible Food Incorporation. Cette demande, toujours en cours de traitement par l’AESA, concerne une molécule nommée leghemoglobine, composante du « steak végétal ». Comme Inf’OGM le rapportait, cette molécule, qui se veut « très proche de l’hémoglobine, est obtenue grâce à la culture d’une levure transgénique » et l’entreprise espère qu’elle « donne la couleur rouge et le goût « ferreux » de la viande au steak végétal » [17]. L’entreprise a également démarché les États-Unis, le Canada, Hong-Kong et Singapour.