n°173 - octobre / décembre 2023

Des règles taillées sur mesure ?

Par Charlotte KRINKE

Publié le 24/10/2023, modifié le 09/01/2024

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Ces cinq dernières années, plusieurs pays ont réduit l’étendue de leur contrôle des OGM. Le but : créer un contexte favorable au développement des nouvelles techniques de modification génétique, présentées comme incontournables dans un monde climatiquement incertain, où les sols sont épuisés par la chimie, où l’eau vient à manquer… D’un pays à l’autre, les nouvelles règles présentent des caractéristiques communes.

Dans les pays occidentaux, les lois s’apparentent de plus en plus à des instruments de l’ordre économique plutôt qu’à des cadres fondant un contrat social. Il s’agit de créer des conditions favorables au développement de tel ou tel secteur jugé porteur de croissance et de progrès. Ces dernières années, plusieurs pays ont changé leurs règles encadrant les OGM. Stimuler les activités de recherche et développement, réduire la charge réglementaire et disposer de plantes soit disant plus adaptées au changement climatique, tels étaient leurs objectifs affichés. Dans les faits, les règles sont assouplies pour de nombreux OGM : ceux issus de nouvelles techniques de modification génétique, présentés comme fondamentalement différents des OGM transgéniques.

Approche « produit »

Pour obtenir des règles plus souples, l’un des principaux arguments des multinationales des biotechnologies (Bayer, Corteva, ChemChina/Syngenta, BASF) est de dire que les nouvelles techniques permettraient d’obtenir des plantes qui auraient pu apparaître spontanément dans la nature ou qui auraient pu résulter de l’application de « méthodes de sélection conventionnelles ».

Les règles qui ont la faveur des multinationales semencières ont donc logiquement pour point commun de ne s’appuyer que sur ce qui est appelé l’approche « produit ». Selon celle-ci, ce sont les caractéristiques revendiquées de l’OGM (le produit), et non la méthode qui a été utilisée pour l’obtenir, qui devraient être prises en compte pour déterminer si les règles s’appliquent à lui ou non. Cette approche repose sur le présupposé que le risque ne naît pas des différentes techniques utilisées pour réaliser la modification génétique. Elle véhicule aussi l’idée que l’OGM produit ne serait pas sujet au changement, ce qui pourtant est une caractéristique fondamentale du vivant.

L’approche « produit » est appliquée de longue date aux États-Unis et au Canada. Au Royaume-Uni post-Brexit, l’Angleterre l’applique aussi depuis peu. Une loi de mars 2023 crée ainsi une sous-catégorie d’OGM, appelés « organismes issus de sélection de précision ». Elle les définit par le fait que « chaque caractéristique de [leur] génome qui résulte de l’application de la biotechnologie moderne aurait pu résulter de procédés traditionnels ». Une équivalence supposée, hypothétique, fonde ici l’allègement substantiel des règles entourant la commercialisation et la culture de ces OGM.

Un champ d’application de plus en plus restreint

Une autre caractéristique des nouvelles règles adoptées ces dernières années au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni (pour l’Angleterre) est le recul du contrôle des autorités publiques. Ce recul est d’abord la conséquence de la restriction du champ d’application des règles. Cela se fait par le changement des définitions, comme en Angleterre, ou par le biais d’exemptions. En pratique, l’étendue des règles, et donc l’autorité de l’État, tend à se limiter aux seuls OGM transgéniques.

Aux États-Unis, par exemple, le ministère de l’Agriculture a révisé en 2020 ses règles qui encadrent, entre autres, l’importation et la culture des OGM. Il a notamment allongé la liste des plantes exemptées des règles, pour en exclure les OGM issus des nouvelles techniques. Cette liste n’est d’ailleurs pas fermée : les entreprises peuvent proposer au ministère des exemptions supplémentaires. Sont notamment exemptées, « les plantes génétiquement modifiées qui ont été modifiées pour incorporer un gène provenant du patrimoine génétique naturel du végétal [plant’s gene pool] », celles « qui présentent une substitution ciblée d’une seule paire de bases », ou encore d’autres plantes « qui auraient pu être obtenues par la sélection conventionnelle ». Parce qu’elles sont exemptées, ces plantes OGM peuvent être importées et cultivées sans autorisation ni évaluation des risques. Le ministère de l’Agriculture les assimile aux cultures conventionnelles. Il explique que les cultures conventionnelles ne sont pas sans risque mais qu’elles ont été jugées comme présentant des risques « gérables selon les normes acceptées ».

Toujours aux États-Unis, l’Agence de protection de l’environnement (EPA), également responsable en matière d’OGM à l’échelle fédérale, a récemment élargi une exemption existante pour y inclure les plantes génétiquement modifiées produisant des pesticides ou contenant un trait de tolérance aux herbicides et qui auraient pu être obtenues par des techniques de « sélection conventionnelles ». C’est le cas quand le gène « pesticide » se trouve dans une plante « sexuellement compatible ». Une expression qui vise spécifiquement à exempter les plantes génétiquement modifiées par de nouvelles techniques. Ces nouvelles règles sont entrées en vigueur le 31 juillet 2023.

Quant au Canada, les OGM y relèvent d’une réglementation sur les aliments dits « nouveaux ». En mai 2022 et 2023, des lignes directrices non contraignantes ont été adoptées pour donner une interprétation plus restreinte de la notion de « nouveauté ». Les nouvelles lignes directrices posent explicitement que les aliments ou végétaux génétiquement modifiés qui ne contiennent pas d’ADN étranger ne sont pas « nouveaux ». Sont visés les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique (appelées « techniques d’édition génique ») et les végétaux issus de techniques de « sélection conventionnelle ». Ces techniques « conventionnelles » ne se limitent pas au simple croisement, comme l’expression tendrait à le faire croire. Elles incluent des techniques comme la culture de tissus in vitro ou le sauvetage d’embryons.

Auto-détermination et procédures volontaires

La place laissée aux demandeurs (entreprises, instituts de recherche…) pour déterminer si leur OGM relève de la réglementation est une autre caractéristique marquante des règles récemment adoptées dans ces pays.

Au Canada, les entreprises peuvent ainsi déterminer, à partir de leur propre évaluation des risques, si leur végétal relève ou non de la réglementation. Depuis mai 2023, les OGM déclarés sans transgène peuvent être cultivés sans évaluation des risques sanitaires et environnementaux si les entreprises estiment qu’ils sont sans danger et ne contiennent pas d’ADN étranger. Les entreprises peuvent demander conseil à l’administration. Mais, selon les ONG, peu d’entre elles le feront. Cultiver un OGM dont l’entreprise considère qu’il n’est pas nouveau peut s’effectuer sans notification préalable. Cela veut dire que l’autorité publique se prive aussi des moyens de connaître la localisation des cultures. Les consommateurs et les agriculteurs sont, eux, privés d’information, car il n’existe pas d’obligation d’étiquetage des OGM au Canada. Pour les rassurer, le Gouvernement mise sur la transparence volontaire des entreprises.

La situation est similaire aux États-Unis. Les entreprises peuvent déterminer elles-mêmes si leur OGM relève des exemptions prévues dans les règles définies par le ministère de l’Agriculture. Elles peuvent s’adresser, là aussi de manière volontaire, à l’administration pour obtenir la confirmation que leur OGM relève d’une exemption. Le ministère tient une base de données publique des demandes volontaires de confirmation d’exemption. Mais si une entreprise a déterminé elle-même qu’une exemption s’applique, son OGM n’apparaît dans aucune base de données fédérale. Il n’y a aucune obligation de notification ni de publication dans une base de données dans un tel cas.
Une loi de 2016 a rendu obligatoire l’étiquetage des aliments contenant des OGM. Mais, en 2018, le ministère de l’Agriculture a précisé que cette obligation ne s’applique pas aux aliments contenant du matériel génétique dont la modification pourrait « se trouver dans la nature » ou être obtenue par « sélection conventionnelle », sans définir ces expressions.

L’évaluation des risques préalable : l’exception

Au Royaume-Uni, la loi de 2023 qui s’applique en Angleterre aux « organismes issus de sélection de précision » (sic) est, elle aussi, caractéristique de la faiblesse du contrôle public et des garanties pour l’environnement et les citoyens. L’élément le plus révélateur est le recul de la procédure d’autorisation préalable avec évaluation des risques sanitaires et environnementaux. Cette procédure est pourtant l’expression du principe de prévention. Or, la loi anglaise ne l’impose pas explicitement pour la culture et la commercialisation des plantes et aliments OGM qui relèvent de son champ d’application. Et elle ne crée pas non plus d’obligation d’étiquetage.

Un ensemble de règles dont la Commission européenne a pu s’inspirer pour sa proposition législative, supprimant des garanties pour de très nombreux OGM…

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