Oxitec vient de recevoir une nouvelle subvention de la fondation Bill et Melinda Gates de 4,8 millions de dollars [1] pour « lancer le développement d’une solution « Friendly™ » pour la tique bleue asiatique, Rhipicephalus microplus » [2]. Par « Friendly », que l’on peut traduire en français par « sympathique » ou « amicale », il faut en réalité entendre « génétiquement modifié ». Cette aide fait suite à une première, obtenue en 2021, d’un montant de 1,5 millions de dollars [3]. Elle avait servi à financer un projet de faisabilité visant à déterminer si la technologie d’Oxitec utilisée précédemment sur les moustiques et autres insectes pouvait être utilisée pour lutter contre cette tique. C’est la première fois qu’Oxitec tente d’appliquer sa technologie brevetée à un acarien (classe des arachnides).
Dans ce nouveau projet, Oxitec travaille avec Clinglobal [4], un fournisseur de services de santé animale, et avec l’Institut britannique Roslin qui mettra notamment à disposition de l’entreprise son « Centre de recherche et d’imagerie sur les grands animaux » [5]. Nouer des partenariats en amont est une des nouvelles stratégies d’Oxitec. Au Brésil, elle travaille avec Fundação MT, une entreprise agricole brésilienne, pour diffuser ses Spodoptera frugiperda (en français, le Légionnaire d’automne) transgéniques [6].
Les tiques sont des parasites qui se nourrissent du sang du bétail, ce qui en soi est problématique économiquement, mais par ailleurs elles transmettent aussi plusieurs maladies dont la babésiose. Il semblerait que cet arachnide entraine des pertes qui se chiffrent en milliards de dollars chaque année. Or, au cours des dernières années, cette tique, originaire d’Asie, s’est répandue dans le monde entier, du fait notamment des mouvements plus importants du bétail [7]. Oxitec, sans donner de source, évoque que cette tique couterait 3,2 milliards de dollars par an, rien qu’au Brésil [8].
Les tiques sont, elles aussi, devenues résistantes à la plupart des pesticides chimiques actuellement utilisés. Ainsi, Oxitec affirme que face à l’absence d’outil de lutte, la diffusion de tiques mâles stériles permettra de limiter, voire de supprimer, la population de ce parasite. Oxitec vend alors sa stratégie comme une alternative biologique aux pesticides. Cependant, comme nous l’avons déjà relevé, sa stratégie se déploie toujours conjointement avec des pulvérisations de pesticides, notamment lors des lâchers de moustiques au Brésil [9].
Justine Morales, de l’Université de Liège (Belgique), a travaillé sur des alternatives aux pesticides dans la gestion de cette tique en Nouvelle Calédonie. Elle résume la situation ainsi : « Cependant, ces méthodes requièrent souvent une connaissance parfaite du cycle du parasite par les éleveurs et parfois même un bouleversement dans leurs habitudes d’élevage ancrées depuis plusieurs dizaines d’années. Ainsi, des stratégies sont intéressantes et peuvent être efficaces dans la lutte contre Rhipicephalus microplus mais elles sont parfois difficiles à mettre en place »[Morales, J., « La gestion de Rhipicephalus microplus dans les élevages de Nouvelle-Calédonie », Université de Liège, Médecine vétérinaire,2020.]]. Parmi les pistes que la chercheuse explore et analyse, l’une semble prometteuse et écologique mais mérite une façon nouvelle de s’organiser : elle soutient que « la gestion des pâturages permet de lutter intelligemment contre l’infestation des bovins par les tiques ». Une équipe mexicaine montrait, elle, que la mise au repos d’une prairie pendant 45 jours permettait de diminuer fortement la présence de tiques sur les veaux [10]. Cet avis n’est pas unanimement partagé. Un article publié en 2020, qui s’appuie sur une expérience de terrain réalisée au Brésil [11], conclut que « le pâturage tournant n’est pas un moyen efficace de lutte contre R. microplus ». Au final, peu d’études se sont intéressées à cette technique.
La Fondation Bill et Melinda Gates est un des principaux bailleurs d’Oxitec. Récemment ils l’ont soutenue à hauteur de 18 millions de dollars pour des lâchers expérimentaux de moustiques Anopheles à Djibouti [12].