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Nouveaux OGM – L’avis contraint et biaisé du Cese

Par Charlotte KRINKE, Denis MESHAKA

Publié le 08/06/2023

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Le 24 mai, le Conseil économique social et environnemental (Cese) a rendu un avis qui porte sur de nombreux OGM issus de techniques dites nouvelles. Commandé par la Première ministre, l’avis a été rendu dans un délai très serré. Il préconise un régime juridique proche de celui actuellement applicable aux OGM. Mais il accepte le cadre biaisé posé par le gouvernement et, à travers lui, par la Commission européenne. Et avalise ce faisant le principe d’une réglementation distincte qui ferait échapper nombre d’OGM à la réglementation.

Cet été, la Commission européenne devrait publier une proposition législative qui pourrait conduire à une déréglementation de nombreux OGM dans tous les États membres [1]. C’est pour élaborer la position du gouvernement français sur ce dossier que la Première ministre, Élisabeth Borne, a saisi trois instances consultatives, dont le Conseil économique social et environnemental (Cese) [2]. Saisie le 22 février 2023, cette assemblée, qui représente les différentes voix de la société civile dite organisée au sens large (organisations professionnelles, syndicales, associations…), aura eu à peine trois mois pour se prononcer sur le sujet. Elle a adopté son avis, le 24 mai 2023, avec 80 voix pour, 19 voix contre et 25 abstentions [3].

La saisine du Cese portait sur « les attentes et les enjeux sociétaux liés aux nouvelles techniques génomiques ». Ces techniques dites nouvelles couvrent de nombreux OGM bien que la Commission européenne vise par-là la « mutagénèse dirigée » et la « cisgénèse », termes en apparence seulement plus précis. Dans son avis, le Cese reprend ces expressions sans les questionner ni, pour la « mutagénèse dirigée », en donner de définition précise. Sans donc bousculer ce cadre bancal, le Cese répond aux trois volets définis dans la saisine gouvernementale. Ces volets correspondent aux scénarios envisagés par la Commission européenne : évaluation et gestion des risques ; étiquetage et traçabilité ; prise en compte de critères de durabilité dans la réglementation.

Le Cese copie la réglementation OGM existante

Les préconisations du Cese sont fortes mais elles reprennent en grande partie les obligations prévues dans l’actuelle réglementation OGM. C’est le cas de l’évaluation des risques avant et après autorisation de mise sur le marché. Seule variation préconisée : l’évaluation avant autorisation porterait aussi sur les « modifications « hors cible » […] ou non-intentionnelles » ainsi que sur « la présence fortuite et rémanente de reliquats d’ADN du vecteur de transformation ». Le CESE admet en effet, à propos de Crispr, que « (l)’aléa ne peut […] pas disparaître complètement ». L’évaluation des risques a posteriori s’exercerait, elle, notamment à travers un réseau de « socio-vigilance ». Son rôle serait d’observer « les évolutions des pratiques agricoles, les modes de vie, la structuration des filières, le partage de la valeur et autres avantages de ces innovations entre les différentes parties prenantes (semenciers, agriculteurs, industriels, distributeurs, consommateurs, riverains, etc.) ». La socio-vigilance rappelle une disposition de l’actuelle directive de l’Union européenne sur les OGM : celle qui prévoit que la Commission doit, tous les trois ans, établir un rapport contenant une évaluation des conséquences socio-économiques des disséminations volontaires et de la mise sur le marché des OGM. Un seul rapport a été publié depuis l’entrée en vigueur de la directive en 2001, c’était en 2011 [4]. En France, le comité de biovigilance n’a jamais été très prompt à se réunir [5].

Le Cese recommande aussi une traçabilité et un étiquetage systématiques, reprenant là encore des obligations déjà prévues par l’actuelle directive européenne sur les OGM. Nombre d’acteurs demandent que ces obligations s’appliquent aux OGM issus des techniques dites nouvelles (certains acteurs de la grande distribution, organisations paysannes, associations de consommateurs et de protection de l’environnement) [6]. Mais le Cese ne précise pas les modalités techniques de la traçabilité. Il donne ainsi au gouvernement un prétexte pour ne pas se saisir de cette recommandation. Or, sans traçabilité, l’effectivité de l’obligation d’étiquetage est compromise.

Enfin, sur les critères dits de durabilité (réduction de pesticides, résistance aux stress biotiques et abiotiques…), le Cese va a l’encontre de la Commission européenne. L’exécutif européen prévoyait de créer une procédure d’autorisation allégée pour les OGM qui contribueraient « aux objectifs de durabilité ». Une telle procédure n’existe pas dans la réglementation actuelle. Le Cese inverse l’idée de la Commission en affirmant qu’« il pourrait être envisagé de ne pas autoriser les produits issus de NTG qui seraient considérés comme préjudiciables aux objectifs de durabilité ».

Au-delà de ces trois volets, le Cese émet une série de recommandations supplémentaires, dont une sur la propriété intellectuelle (voir encadré ci-dessous).

Selon Sylvain Boucherand, l’un des deux co-rapporteurs, l’avis « insiste sur les risques potentiels que l’on peut avoir liés à ces technologies, et c’est ce qui a été aussi au centre de nos préconisations ». Cette prudence vient, entre autres, « des promesses largement non tenues » des OGM. Mais l’avis s’apparente surtout à un compromis mal équilibré : il préconise un régime juridique proche de celui existant mais pour l’appliquer à une catégorie floue d’OGM dits nouveaux.

Le Cese accepte un cadre biaisé

Certes, les conditions de délai étaient défavorables à une analyse et des débats approfondis. Ces conditions sont pudiquement regrettées par le CESE lui-même dans son avis, et de manière plus directe par certains membres des groupes qui sont intervenus en séance plénière. Elles expliquent en partie le nombre inhabituellement élevé de votes contre et d’abstentions. La différence de traitement avec les autres instances consultatives saisies par la Première ministre interroge. Ainsi, pourquoi l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), instance scientifique saisie dès janvier 2021, rendra-t-elle son avis seulement en septembre 2023, soit bien après la date de publication supposée de la proposition législative de la Commission européenne ? Et pourquoi le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE), dont l’actuel président est Jean-François Delfraissy, n’a-t-il pas reçu d’impératif pour la date de rendu de son avis, pendant que le Cese devait, lui, se prononcer dans un délai très serré alors que le calendrier de la Commission européenne était déjà connu depuis un moment ?

Pour élaborer son avis, faute de temps, le Cese a auditionné et rencontré 12 personnes, dont trois travaillant à l’Anses et cinq représentant le secteur de l’industrie : celle des semences, des huiles végétales et des biotechnologies (Union française des semenciers, Fédération nationale des corps gras, Terre Inovia, Neoplants) [7]. Aucun représentant d’un syndicat agricole (à noter toutefois que le co-rapporteur, Hervé Biés Péré, est vice-président de la FNSEA) ni d’une association de protection des consommateurs ou de l’environnement, n’a été auditionné.

Cela explique peut-être, en partie, pourquoi le Cese ne questionne à aucun moment la pertinence et l’opportunité d’une nouvelle réglementation, dont l’effet très concret sera de soustraire une catégorie mal définie d’OGM à la réglementation OGM existante. Au contraire, le Cese estime qu’il est nécessaire de réfléchir sur le statut juridique de la « mutagénèse dirigée » et de la cisgénèse, regroupées sous l’expression de « NTG ». Mais il oublie de préciser que, même si elle n’est pas explicitement nommée par la réglementation OGM, la cisgénèse y est directement visée parmi les exemples de techniques de modification génétique donnant des OGM réglementés [8]. Son statut juridique n’est donc pas flou. Quant à la « mutagénèse dirigée », le Cese ne relève pas que cette expression est scientifiquement imprécise tant elle peut renvoyer à une diversité de matériel végétal utilisé et de protocoles techniques utilisés pour provoquer des mutations.

Ce malaise est encore entretenu quand le Cese soutient que « les plantes issues de NTG auraient pu en théorie être issues des mutations naturelles ou des méthodes de sélection classiques ». Ou encore que « ces NTG se distinguent des techniques de sélection classique et de génération de mutations aléatoires car elles sont ciblées. Elles aboutissent donc plus rapidement, et à moindre coût, aux modifications désirées ». Ces deux affirmations paraissent tout droit sorties des services de communication des entreprises de biotechnologies. Une position favorable aux nouvelles techniques de modification génétique était d’ailleurs défendue par le co-rapporteur, Hervé Biés-Péré, vice-président de la FNSEA. Lors de la séance plénière, il a affirmé que, face aux enjeux comme le changement climatique, « (n)ous avons aussi un formidable levier si nous savons faire confiance à la science, aux avancées permanentes permises par la recherche, aux espoirs fondés sur des plantes surdouées capables de capter l’azote de l’air, de consommer moins d’eau, de renforcer leur immunité naturelle vis-à-vis d’agresseurs connus ou inconnus à ce jour. C’est tout l’intérêt et l’objectif de la sélection végétale qui, autrefois, prenait des décennies et, aujourd’hui, peut être accélérée grâce aux progrès de la science. Je veux parler bien-sûr du fameux ciseaux génétique savamment appelé Crispr/Cas9, celui qui permet des interventions chirurgicales sur le génome afin de lui apporter les qualités attendues pour relever les défis évoqués plus haut [i.e. changement climatique] ».

Enfin, un autre malaise provient de ce que l’avis du Cese ne couvre pas les OGM issus de « mutagénèse aléatoire in vitro » (sic). Selon le Cese, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) aurait jugé, dans son arrêt de février 2023, que cette technique est exemptée du champ de la réglementation OGM. C’est la même interprétation qu’en ont la Fédération des Oléagineux et Protéagineux (FOP) et l’Union française des semenciers, organisation auditionnée par le Cese dans le cadre de ses travaux. Or, la Cour, qui n’emploie pas l’expression de « mutagénèse aléatoire in vitro », n’a pas jugé que ces OGM sont exclus de la réglementation [9]. A suivre le Cese, ces OGM ne relèvent pas de la réglementation existante et ne relèveront pas non plus de la réglementation à venir. C’est un angle mort considérable car l’expression de « mutagénèse aléatoire » est tout aussi imprécise sur le plan scientifique que celle de « mutagénèse dirigée ». En s’accommodant de ces flous dans un avis qui tente de ménager la chèvre et le chou, le Cese laisse finalement la porte ouverte à une déréglementation des OGM. 

Des préconisations peu consistantes sur la propriété intellectuelle


Le Cese plaide pour un régime de propriété intellectuelle qui « ne bride pas l’innovation et soutient l’écosystème des PME ». Mais le Cese se contente de vagues recommandations sans en préciser les modalités d’application concrètes. Et pour cause, il indique que « la question de la propriété intellectuelle n’a pas pu être réellement approfondie ». Le Cese affirme, par exemple, que les entreprises ne devraient pas limiter leurs efforts d’innovation aux quelques variétés les plus cultivées, ou encore que les aides à l’innovation devraient « permettre aux petites entreprises de financer les évaluations le cas échéant, sans rogner sur la qualité des dispositifs d’évaluation des risques ». Sur la question des brevets, le Cese se dit attaché « « à ne pas privatiser le vivant » par une extension aux organismes vivants ». On peut y voir un vœux pieux, de nombreux organismes vivants étant déjà brevetés. Une telle formulation laisse en outre le champ libre à diverses interprétations compte tenu de la complexité du sujet. Le Cese recommande de développer le Certificat d’Obtention Végétale (COV) sur les « produits issus de NTG » et de maintenir la non-brevetabilité du matériel végétal, sans soulever le problème pressant des brevets sur l’information génétique. Ceci semble faire écho aux stratégies de communication récemment adoptées par l’industrie semencière et les plateformes de licences telles que l’ACLP (Agricultural Crop Licensing Platform – plateforme de licences pour les espèces agricoles), qui – a priori curieusement – adopte une posture défavorable aux brevets [10]. Le système de « licence obligatoire à un coût raisonnable [pour les PME] », également suggéré par le Cese, va cependant à l’encontre du système de plateforme estimé peu accessible financièrement pour les petites structures. De quoi s’égarer un peu. Pour conclure, le Cese recommande de « discuter l’écosystème d’innovation et les différents dispositifs de partage pour accompagner correctement les évolutions réglementaires à venir et favoriser l’intérêt général ».

[7Les quatre autres membres sont des fonctionnaires (trois hauts fonctionnaires et un professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle). L’un d’eux est Paul Vialle, ex-président du Comité technique permanent de la Sélection des plantes cultivées (CTPS).

[10L’ACLP est une plateforme, lancée le 19 janvier 2023, qui permet aux entreprises privées membres de ce club, créé notamment par Corteva, Bayer, BASF, Syngenta et Limagrain, de décider qui, parmi les seuls membres, aurait le droit d’utiliser leur brevet.

Voir :

- le site Internet de l’ACLP.

- Robinson C., « Plant breeders’ associations and seed companies claim to oppose patents on new GMOs – but there’s a catch », GM Watch, 5 mars 2023.

- Eric MEUNIER, « Des semenciers dénoncent les brevets, mais… », Inf’OGM, 21 mars 2023.

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