Actualités

PHILIPPINES – L’aubergine et le riz OGM bientôt interdits ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 06/06/2023

Partager

Le 18 avril 2023, la Cour suprême des Philippines émettait un « Writ of Kalikasan ». Ce recours légal, propre à ce pays asiatique, protège le droit constitutionnel d’une personne à un environnement sain. La Cour suprême reconnaissait alors que la culture du riz et de l’aubergine transgéniques pouvaient menacer ce droit constitutionnel. Désormais, l’affaire doit être jugée par un autre tribunal pour déterminer la nature exacte de la menace et les actions à mener pour l’éviter.

Le 18 avril 2023, la Cour suprême des Philippines considérait la plainte de plusieurs organisations de la société civile contre la culture de deux plantes transgéniques comme une question environnementale très préoccupante qui doit faire l’objet d’une évaluation approfondie. Elle émettait alors un « Writ of Kalikasan » [1] dans l’affaire GR 263565, qui opposait cette coalition menée par le syndicat agricole Masipag (Magsasaka at Siyentipiko Para sa Pag-Unlad ng Agrikultura) et plusieurs ministères [2]. Cette ordonnance, qui vise à garantir le droit à un environnement sain, permet d’enclencher une procédure juridique. La Cour a ainsi demandé au ministère de l’Agriculture, au Bureau de l’industrie végétale (the Bureau of Plant Industry), au ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles, au ministère de la Santé, à l’institut philippin de recherche sur le riz et à l’Université des Philippines (Los Baños), institutions responsables des autorisations de mise en culture commerciale de ces deux OGM, de se justifier. Leur réponse devait être envoyée à la cour sous dix jours, soit le 28 avril 2023. Malgré plusieurs requêtes, impossible de savoir si ce rapport a été envoyé, et a fortiori d’en connaître le contenu.

Cette décision est le résultat d’une procédure engagée en octobre 2022. Ensemble, ces organisations souhaitaient que la Cour suprême décrète une ordonnance temporaire de protection de l’environnement (en anglais TEPO, pour Temporary Environmental Protection Order) par rapport à deux plantes transgéniques récemment autorisées, le riz doré et l’aubergine Bt. Le TEPO vise à ordonner à leurs promoteurs de s’abstenir de disséminer commercialement le riz doré et de délivrer des permis de biosécurité pour la culture commerciale de l’aubergine Bt, de cesser les cultures commerciales du riz doré et de l’aubergine Bt, de déclarer tous les permis de biosécurité pour le riz doré et l’aubergine Bt nuls et non avenus, de réaliser des évaluations indépendantes des risques et des impacts, et d’obtenir le consentement préalable et éclairé des agriculteurs et des populations autochtones.

Des OGM suspendus en attendant la décision finale

Interrogé par Inf’OGM, Masipag nous affirme : « [l]es informations actuelles émanant de la Cour suprême n’indiquent pas que les promoteurs du projet Golden Rice sont légalement tenus de suspendre temporairement leurs activités. Jusqu’à présent, aucune décision n’a été prise concernant l’octroi du TEPO, mais étant donné que la Cour a estimé que notre requête constituait une grave préoccupation environnementale, nous espérons que les promoteurs cesseront leurs activités dans le cadre du projet de manière permanente ou jusqu’à ce que l’action en justice soit conclue ». Le syndicat ajoute : « [l]ors d’une récente conversation informelle que nous avons eue avec L’institut philippin de recherche sur le riz (Philippine Rice Research Institute qui dépend du ministère de l’Agriculture) , leur personnel a mentionné qu’ils avaient temporairement suspendu le projet pour leur permettre de répondre à l’affaire ».

« Cette décision est porteuse d’espoir pour les agriculteurs, les scientifiques, les consommateurs et les groupes de la société civile, non seulement aux Philippines, mais aussi dans d’autres pays où les cultures génétiquement modifiées sont combattues en raison des menaces qu’elles font peser sur la biodiversité, la santé des populations et les moyens de subsistance des agriculteurs », a déclaré Arnold Padilla, coordinateur du programme de souveraineté alimentaire de Pesticide Action Network Asia Pacific (PANAP) [3]. L’ONG précise également que le riz transgénique doré menace l’existence de variétés locales de riz : « aux Philippines, il s’agit notamment de variétés de riz traditionnelles et biologiques sélectionnées par les agriculteurs. Avec sa biosécurité douteuse et sa teneur en vitamine A, alors qu’il existe de nombreuses sources locales abondantes et naturelles de vitamine A, il est facile de comprendre que le riz doré ne vise pas à lutter contre la malnutrition, mais à étendre le contrôle des entreprises sur l’alimentation et l’agriculture ».

L’aubergine Bt avait déjà été condamnée par la Cour suprême

Ce n’est pas la première fois que l’aubergine Bt transgénique passe devant les tribunaux philippins. En effet, en 2015, la Cour suprême a ordonné un moratoire permanent sur les essais en champs d’aubergine transgénique, prenant acte d’une absence de consensus sur ses impacts environnementaux et considérant que le ministère de l’Agriculture n’avait pas mis en place les mécanismes nécessaires pour se conformer aux protocoles de biosécurité internationaux [4]. Elle confirmait ainsi une décision de la Cour d’appel, en 2013, faisant droit à la requête, notamment, de Greenpeace et de Masipag [5]. Cependant, en 2016, la Cour suprême était revenue sur sa décision en déclarant que l’assignation de Kalikasan avait été annulée par l’expiration des permis de biosécurité délivrés par le Bureau de l’industrie végétale et la fin des essais en plein champ de l’aubergine Bt soumis à ces permis. La décision de 2016 indiquait que les promoteurs de l’aubergine Bt n’étaient pas allés au-delà de la phase d’essai sur le terrain et n’avaient pas distribué le produit à des fins commerciales. Masipag insiste : « il est important de noter que l’annulation concerne uniquement l’expiration du permis. La Cour suprême n’est pas revenue sur sa décision de considérer les aubergines Bt comme dangereuses ».

[1La section 16 de l’article II de la Constitution philippine stipule que « l’État protège et fait progresser le droit du peuple à une écologie équilibrée et saine, en accord avec le rythme et l’harmonie de la nature ». Kalikasan est un mot philippin qui signifie « nature ».

Source Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/Writ_of_Kalikasan

[2Cour suprême des Philippines, tweet du 19 avril 2023.

[3Panap, « Hope as environmental protection case vs. Golden Rice and Bt eggplant in Philippines moves forward », 21 avril 2023.

Panap est l’un des coorganisateurs du Stop Golden Rice Network (SGRN) Asia, un réseau de plus de 30 organisations de la région Asie-Pacifique.

Actualités
Faq
A lire également