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Canada – Nouveaux OGM : occasion manquée pour la transparence

Par Charlotte KRINKE

Publié le 30/05/2023

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Après les aliments, le gouvernement canadien s’en est pris aux semences issues des nouvelles techniques de modification génétique. Sans véritable débat démocratique, il admet que ces semences OGM pourront échapper à l’obligation d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux avant qu’elles ne soient disséminées dans les champs.

Et de deux : après les aliments en mai 2022 [2], c’est désormais au tour des végétaux. Le 3 mai 2023, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (Acia) a mis à jour ses lignes directrices qui servent à déterminer quels végétaux issus de modification génétique doivent faire l’objet d’une autorisation avant d’être disséminés (essais en plein champ, production de semences, culture commerciale…) [3]. Ce texte est juridiquement non contraignant. Pourtant, sa révision permettra à certains végétaux génétiquement modifiés, dont des nouveaux OGM, d’être cultivés sans autorisation préalable ni évaluation indépendante des risques sanitaires et environnementaux.

A priori administratif favorable pour les nouveaux OGM

Au Canada, il n’existe pas de règles spécifiquement applicables aux OGM. La culture des OGM est soumise à autorisation et à évaluation préalable des risques sanitaires et environnementaux seulement dans certaines conditions prévues dans le Règlement sur les semences (voir encadré ci-dessous). Sans entrer dans les détails, les végétaux sont réglementés en fonction des caractères exprimés et non en fonction de la méthode utilisée pour les obtenir. C’est ce qu’on appelle l’approche basée sur le produit final. Avec ses nouvelles lignes directrices, l’Acia affirme vouloir « limiter l’interprétation subjective » des conditions qui déclenchent l’application de ce Règlement sur les semences.

La culture des OGM en droit

La culture des OGM en droit canadien

Selon une approche fondée sur le produit, tout végétal (dont les OGM) est soumis au Règlement sur les semences s’il répond à la définition d’un « végétal à caractères nouveaux ». Pour cela, il faut que deux critères soient réunis. Premièrement, il faut que le caractère (introduit intentionnellement) soit nouveau dans les populations cultivées de la même espèce au Canada. Deuxièmement, le végétal doit avoir potentiellement un effet néfaste sur l’environnement (effets sur la biodiversité, flux de gènes, effets sur les organismes non cibles…). La distinction entre les différentes techniques utilisées n’est donc pas pertinente pour savoir si la réglementation s’applique ou pas. Si les critères sont réunis, la culture du végétal doit faire l’objet d’une autorisation préalable et d’une évaluation des risques sanitaires et environnementaux préalable, menée par l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

La nouvelle version des lignes directrices pourrait toutefois principalement avoir pour effet de limiter l’application du Règlement pour un nombre important d’OGM, dont ceux issus des nouvelles techniques. En effet, l’Agence explique en substance que, pour les OGM contenant de l’ADN étranger, une autorisation en amont reste obligatoire [4]. En revanche, pour les végétaux issus de techniques de « sélection conventionnelle » [5] et pour les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique (appelées « techniques d’édition génique »), l’Agence « ne s’attend pas à recevoir des demandes d’autorisation ». Pour quelle raison ? Tout simplement parce qu’elle « ne prévoit pas d’incidences négatives importantes » sur l’environnement s’agissant de ces végétaux là. Sans réelle démonstration, elle affirme que, « selon (son) avis scientifique, les végétaux issus de l’édition génique ne présentent aucun risque inhérent qui justifierait une évaluation de la sécurité préalable à la mise en marché pour la dissémination dans l’environnement des semences de chaque produit mis au point au moyen de l’édition génique » [6].

L’affirmation de l’Acia ne veut pas dire que les nouveaux OGM sont a priori exclus du champ de la réglementation. D’ailleurs, l’Agence reconnaît même qu’ils peuvent contenir de l’ADN étranger (voir encadré ci-dessous). Comme tout autre végétal, la dissémination de ces OGM sera soumise à autorisation et à évaluation en fonction des caractéristiques qu’ils présentent et de l’impact de ces caractéristiques sur l’environnement et la santé humaine. Néanmoins, en affirmant pour la première fois qu’elle ne prévoit pas de recevoir des demandes d’autorisation pour ces OGM, l’Acia adresse un message très clair aux entreprises : le marché canadien est ouvert et le climat est propice aux investissements dans le secteur. Car en effet, au Canada, ce sont les entreprises elles-mêmes qui déterminent, à partir de leur propre évaluation des risques, si leur végétal relève ou non de la réglementation. Les nouveaux OGM échapperont donc à la réglementation si les entreprises pensent qu’ils sont sans danger pour l’environnement et qu’ils ne contiennent pas d’ADN étranger. Selon les associations regroupées dans le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies (RCAB), personne ne vérifiera les données des entreprises. Elles prévoient donc que très peu d’entreprises demanderont conseil à l’Acia pour déterminer le statut juridique de leur OGM. Pour Lucy Sharatt, coordinatrice du RCAB, il s’agit « (d’)une abdication choquante de responsabilité par nos régulateurs. Le gouvernement a complètement remis la sécurité des aliments OGM aux compagnies utilisant des sciences confidentielles et privées » [7].

Subtil changement de discours

Subtil changement de discours ?

Dans ses nouvelles lignes directrices, l’Acia établit une distinction entre les OGM ne contenant pas d’ADN étranger et les OGM contenant de l’ADN étranger. Mais l’Agence ne réduit pas cette dernière catégorie aux OGM transgéniques. Elle affirme qu’ « (e)n ce qui concerne les végétaux issus de l’édition génique, l’ADN codant le mécanisme d’édition génique [par exemple, l’ADN codant les protéines Cas et les acides ribonucléiques guides (ARNg) associés au système CRISPR (courte répétition palindromique groupée et régulièrement espacée)] est considéré comme de l’ADN étranger s’il n’a pas été éliminé par des cycles de croisements et de sélection. Si un végétal issu de l’édition génique et destiné à être disséminé dans l’environnement contient encore dans son génome de l’ADN codant ce mécanisme, ce végétal doit faire l’objet d’une autorisation » [8]. L’Agence reconnaît également l’existence d’effets non intentionnels et hors-cible, bien que ce soit pour ensuite en minimiser la fréquence et pour assurer que les sélectionneurs peuvent en atténuer le risque…

L’agriculture sans OGM et la transparence mises au défi

Aucune notification auprès de l’administration n’est requise avant la culture d’un végétal si l’entreprise considère qu’il n’est pas nouveau, ce qui signifie que l’administration ignore la localisation des cultures, l’espèce concernée, etc. Et, comme il n’existe pas d’obligation d’étiquetage des OGM au Canada, les consommateurs et les agriculteurs n’en sauront rien non plus.

Les nouvelles lignes directrices inquiètent donc tout particulièrement le secteur de l’agriculture biologique. Les Normes canadiennes sur la culture biologique interdisent en effet les OGM en citant, notamment, Crispr. Elles imposent aussi à l’agriculteur qui souhaite avoir une certification biologique de « concevoir et implanter un plan de gestion des risques pour prévenir la contamination par des cultures issues du génie génétique » [9].

L’association d’agriculture biologique Canadian Organic Growers craint que les nouvelles lignes directrices exposent les agriculteurs biologiques au risque de perdre leur certification car, faute d’obligation de notification préalable des cultures d’OGM, ils ne seront pas en mesure de prévenir des contaminations [10]. L’association fait l’amer constat que les préoccupations des agriculteurs biologiques n’ont pas été entendues et prises en compte.

Face aux craintes exprimées par le secteur, le gouvernement s’est en effet contenté d’annoncer une série de mesures non contraignantes pour assurer la transparence [11]. Il a ainsi annoncé la création d’un « comité directeur gouvernement-industrie sur la transparence des innovations en sélection végétale […] pour faciliter les discussions à mesure que des produits génétiquement modifiés sont introduits sur le marché ». Il a aussi annoncé que la base de données de Semences Canada [12], créée et tenue par l’industrie des semences, serait « enrichie pour assurer la transparence des données sur chacune des variétés de semences ». Les autorités fédérales, assure le gouvernement canadien, réaliseront un contrôle pour veiller à l’exhaustivité des données.

Adoption de nouvelles lignes directrices sans réel débat démocratique…

L’élaboration de nouvelles lignes directrices aurait été l’occasion de considérer que toutes les plantes génétiquement modifiées sont soumises à la réglementation. Mais la révision de ce texte non juridiquement contraignant, qui ne modifie pas la réglementation, n’a pas fait l’objet d’un débat au Parlement. Elle a été précédée d’une consultation publique, organisée sous la forme d’un questionnaire, du 19 mai au 16 septembre 2021. Toutefois, comme nous l’indiquait déjà Lucy Sharratt en juillet 2022, cette consultation s’est tenue en pleine saison agricole. De plus, les questions posées étaient biaisées, notamment en raison de l’emploi d’expressions peu connues du grand public et sans définition juridique (« édition génique » plutôt que « modification génétique », par exemple). A l’issue de la consultation, l’Acia a reçu 316 sondages remplis, 143 courriels et 49 lettres officielles [13]. L’Agence n’a pas tenu compte des commentaires qui demandaient que la réglementation soit renforcée pour les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique, en instaurant par exemple une obligation de notification et d’évaluation préalables.

Le document explicatif accompagnant la version révisée des lignes directrices de l’Agence contient en revanche un discours qui reprend la communication de l’industrie des biotechnologies. Il y est notamment affirmé que « (l)es technologies d’édition génique permettent une plus grande précision et une quantité comparable ou nettement inférieure de modifications génétiques involontaires comparativement à ce qui est observé avec d’autres techniques de sélection végétale » [14]. Ou encore que « (l)es sélectionneurs peuvent utiliser l’édition génique pour combiner des caractéristiques utiles à dessein plutôt que de s’en remettre au hasard et à de multiples cycles de sélection ».

Ces affirmations, ainsi que le sens des nouvelles lignes directrices, posent particulièrement question compte tenu de la lourde interrogation concernant le poids des lobbys dans le processus de révision des lignes directrices (voir encadré ci-dessous).

CropLife co-rédacteur des lignes directrices de l’Acia ?


Radio Canada a révélé, en septembre 2022, que les fichiers Word sur lesquels le gouvernement canadien a présenté sa réforme avaient pour auteur Jennifer Hubert, directrice générale à CropLife Canada, un lobby qui défend les intérêts de l’industrie des semences et des pesticides [15]. L’intéressée, par ailleurs une ex-employée de Syngenta et de Monsanto, a reconnu à Radio Canada avoir « fourni des suggestions et des recommandations » et « travaillé avec l’Acia [NDLR : Agence canadienne d’inspection des aliments] dans les dernières années à propos de ces lignes directrices ». L’Agence a pour sa part expliqué avoir élaboré ses réponses aux commentaires dans l’une des copies qu’elle avait reçue, d’où le fait que Jennifer Hubert apparaissait comme l’auteur des documents. Autre élément plutôt malencontreux : une initiative de CropLife en matière de cultures résistantes aux herbicides (« Gérez la résistance maintenant ») fait l’objet d’une promotion assez mal déguisée dans le document explicatif accompagnant les lignes directrices de l’Agence.

[1Gouvernement du Canada, @@SPIP_ECHAPPE_LIEN_3@@, 3 mai 2023.

[4C’est aussi le cas pour les végétaux tolérants aux herbicides qui ne contiennent pas d’ADN étranger, mais une procédure simplifiée est prévue dans ce cas.

[5La liste de ces techniques, qui fait son apparition dans les lignes directrices révisées en mai 2023, se fonde sur une liste sans valeur légale établie par l’Université de Wageningen (Pays-Bas). Elle comprend notamment la mutagénèse (chimique ou par rayonnement ionisant), la fusion cellulaire, la culture de tissus in vitro, la fécondation in vitro

[15Gerber, T., « OGM : Ottawa présente sa réforme en utilisant les fichiers d’un lobby agrochimique », Radio Canada, 19 septembre 2022 (consulté le 9 mai 2023).

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