Actualités

Brésil : des insectes OGM au secours du maïs Bt

Par Christophe NOISETTE

Publié le 23/05/2023

Partager

Après les moustiques transgéniques, Oxitec dissémine, au Brésil, sur plusieurs milliers d’hectares, des larves transgéniques de Spodoptera frugiperda (OX5382G). Ce parasite agricole est devenu résistant à plusieurs insecticides chimiques et à de nombreuses plantes transgéniques Bt. Le lâcher de mâles à la descendance biaisée permettra-t-il de contourner ces résistances ?

Le Brésil est le deuxième pays, après les États-Unis, en terme de surface de plantes transgéniques cultivée. Du soja, du maïs, du coton… principalement. Le Brésil est aussi le seul pays au monde à avoir autorisé la dissémination commerciale de plusieurs insectes transgéniques. Des moustiques pour tenter de lutter contre certaines maladies vectorielles chez les êtres humains, comme la dengue, avec une inefficacité largement démontrée. Et des insectes parasites des cultures agricoles. Depuis trois ans, des lâchers de larves de Spodoptera frugiperda génétiquement modifiées sont réalisés dans les champs de maïs Bt de l’État de São Paulo et du Mato Grosso.

Spodoptera frugiperda (en français le Légionnaire d’automne ou la Noctuelle américaine du maïs et en anglais Fall Armyworm) est un lépidoptère parasite très important du maïs, mais aussi du mil, du sorgho et du cotonnier. Il est largement présent sur les continents américains et a commencé à s’implanter en Afrique à partir de 2016. Pour tenter de contrôler sa population, des insecticides chimiques ont été pulvérisés. Résultat : ce lépidoptère a évolué et, globalement, résiste à présent à ces molécules. Des maïs et des cotons Bt, exprimant plusieurs protéines Cry, ont été cultivés pour contrer ses résistances [1]. Dans de nombreux pays, là encore, ces insectes se sont adaptés, et sont devenus résistants à la plupart des protéines Cry. La première parade a été de développer des maïs et des cotons produisant plusieurs protéines Cry. Cette stratégie a apporté un léger répit aux agriculteurs, mais le coût des semences transgéniques à gènes empilés est aussi plus important que les semences transgéniques de première génération. La nouvelle « solution » est de « stériliser » les insectes eux-mêmes afin de tenter d’en éradiquer la population. La technique de l’insecte mâle stérile n’est pas nouvelle. Elle a été utilisée au Brésil sur les populations de moustiques Aedes aegyptii porteurs du virus de la dengue. Ce nouveau projet de dissémination d’Oxitec est réalisé en partenariat avec Bayer, comme le précise l’entreprise sur son site. La CTNBio, l’organe en charge de l’évaluation des OGM au Brésil, avait déjà donné son accord pour une utilisation commerciale de Spodoptera frugiperdra en 2021.

Une communication mensongère

Le communiqué de presse d’Oxitec ne précise pas que cet insecte a été génétiquement modifié [2]. Pour sa stratégie de communication, l’entreprise emploie le même terme que pour le moustique transgénique, à savoir « Friendly Fall Armyworn », qu’on pourrait traduire par La noctuelle « amicale » ou « sympathique ». Au Brésil, le moustique transgénique est appelé « Aedes do Bem » (le « bon Aedes ») et dans sa communication brésilienne, Oxitec réitère et parle de « Spodotera do Bem » [3]. Ces adjectifs , explique Oxitec, soulignent que ces insectes ont été modifiés pour lutter contre des maladies, des ravages. Oxitec a donc modifié la nature pour qu’elle devienne plus agréable pour les humains. Mais on peut aussi se dire que ce qui est bon, c’est ce qui permet d’éradiquer une population… Précisons encore qu’Oxitec considère cet adjectif, « Friendly » ou l’expression « do Bem », comme sa propre marque. L’entreprise s’approprie non seulement le vivant mais aussi le vocabulaire qu’il détourne à son profit. Et, dans sa volonté d’occulter le réel, le communiqué de presse indique, à propos de cet OGM, qu’il s’agit d’une « solution de lutte biologique contre les parasites » ou de « nouvelle technologie biologique ». Au-delà des communiqués de presse d’Oxitec, repris souvent tel quel par quelques médias, aucun article critique – à part celui publié dans Wired en 2020 [4] – n’a décortiqué ces lâchers.

Des insectes OGM pour des champs de maïs OGM

La stratégie d’Oxitec consiste à conjuguer la culture de maïs Bt et les lâchers d’insectes génétiquement modifiés pour que la descendance soit uniquement mâle (ce qui implique donc une certaine forme de stérilité). Ce combo avait été mis en œuvre il y a une dizaine d’années aux États-Unis. Dans l’Arizona, le lâcher de onze milliards de vers du cotonnier (Pectinophora gossypiella) rendus stériles par irradiation conjugué avec la culture du coton Bt et d’autres pratiques a permis d’éliminer de ce parasite [5]. Mais, contrairement à Spodoptera, Pectinophora est très spécifique au cotonnier et n’est pas natif de cette région (la première apparition de ce ver a été documentée dans les années 1920). Ces deux éléments ont été essentiels dans la réussite du projet d’éradication.

Trois ans de lâchers et une efficacité toujours pas démontrée

Les premiers lâchers expérimentaux de ces Spodoptera transgéniques ont eu lieu dans l’état de São Paulo, en 2020, dans des champs de maïs Bt, sur des petites surfaces [6]. Fort de l’autorisation de la CTNBio, l’année suivante, des essais ont eu lieu également dans l’état du Mato Grosso, sur des milliers d’hectares [7]. Selon Natalia Ferreira, DIrectrice Générale d’Oxitec au Brésil, interrogée par AgroPages, en 2021/ 2022, les lâchers ont été réalisés sur deux fermes, et couvert 8 800 hectares [8]. Ces lâchers ont été réalisés en partenariat avec Lagoa Bonita Sementes dans l’État de Sao Paulo et avec Fundação MT dans celui du Mato Grosso [9]. Interrogée sur la réduction des pesticides et l’efficacité dans la lutte contre le parasite que ces lâchers ont permis, Natalia Ferreira, directrice générale d’Oxitec Brésil, répond : « les projets pilotes de cette intersaison visaient à valider l’efficacité de la technologie dans la lutte contre la chenille légionnaire d’automne dans différentes régions du Brésil et à définir le dosage par produit et par hectare pour différents niveaux d’infestation, ainsi qu’à permettre le développement et la validation des itinéraires de distribution et d’expédition, et le développement de nouvelles technologies pour faciliter la production d’insectes à grande échelle. L’impact de l’utilisation de la solution sur la lutte intégrée contre les ravageurs et la productivité des cultures fait partie des objectifs de nos projets pilotes suivants ». L’entreprise n’a toujours pas communiqué sur les résultats de ces essais. Et le seul article scientifique qui évoque cette expérimentation, rédigé par des salariés d’Oxitec et de Bayer, se base sur des données en laboratoire et des modélisations [10]. Cependant, curieusement, le site d’Oxitec précise que cet insecte « peut voler jusqu’à 100 km par nuit et migrer sur 480 km avant de pondre, ce qui leur permet de se répandre rapidement dans de nouvelles régions ». Ces données plaideraient pourtant pour de la prudence.

En 2023, Oxitec annonce que l’expérimentation se fera sur des surfaces plus importantes, sans donner de chiffre précis [11]. Oxitec ne donne aucune précision non plus sur le nombre d’insectes relâchés au cours des différents essais. Mais la commercialisation à grande échelle n’est pas envisagée avant 2024 ou 2025 [12].

Oxitec avait déjà réalisé des essais en champs avec d’autres parasites agricoles. Notamment des essais sur le terrain dans le nord de l’État de New York, en 2017, avec la teigne des crucifères génétiquement modifiée [13]. Neil Morrison, en charge de ces parasites agricoles chez Oxitec, déclarait, en 2020, que « ce projet a été mené à bien et a donné des résultats prometteurs, mais l’entreprise a décidé de passer à la chenille légionnaire d’automne » [14]. Inf’OGM a cherché à comprendre pourquoi ce projet n’est plus d’actualité, ni un certain nombre d’autres, en vain. La seule explication est « qu’il s’agit seulement d’une question de temps et de ressources ».

Les OGM ne sont pas nécessaires pour lutter contre Spodoptera


Le Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) a développé trois hybrides de maïs « tolérants » à la chenille légionnaire d’automne [15].

Dans son communiqué de presse, le CIMMYT précise que « la résistance des plantes hôtes est un élément important de la lutte intégrée contre les ravageurs (IPM). […] Le CIMMYT a travaillé intensivement au cours des trois dernières années pour identifier et valider des sources de résistance génétique indigène à la chenille légionnaire d’automne en Afrique. Il a procédé au criblage de plus de 3 500 hybrides en 2018 et 2019 ». Des essais (sous infestation artificielle) ont été menés au Kenya à partir de 2017, puis en Tanzanie. Désormais, le CIMMYT, en lien avec les organisations nationales de recherche agricoles africaines, mène des essais nationaux de performance. L’étape suivante sera la diffusion et l’enregistrement au catalogue de ces variétés. Le CIMMYT précise sur son site que « les hybrides seront concédés en sous-licence à des sociétés semencières partenaires sur une base non exclusive et libre de redevances, afin d’accélérer la diffusion et le déploiement des semences au profit des communautés agricoles ».

Ce travail a été réalisé avec le soutien financier du Programme de recherche du CGIAR sur le maïs (MAIZE), de l’initiative Feed the Future de l’Agence américaine pour le développement international (USAID) et de la Fondation Bill & Melinda Gates.

[9Fundação MT est une organisation agricole importante. Elle collabore avec l’agro-industrie, comme BASF, Bayer ou Syngenta.

Actualités
Faq
A lire également