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Le blé transgénique continue son avancée

Par Christophe NOISETTE

Publié le 17/05/2023

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Le blé transgénique (HB4), censé palier les déficits hydriques et tolérant à un herbicide, gagne petit à petit des territoires. En Afrique du Sud, où son importation a été récemment autorisée, l’ONG African Center for Biodiversity (ACB) souligne, dans un rapport publié en mai 2023, que ce blé OGM a été mal évalué. Elle note aussi que le blé est un « outil » de géopolitique internationale, notamment depuis le début de la guerre russo-ukrainienne.

Il est rare qu’une plante transgénique destinée à la consommation humaine soit autorisée dans plusieurs pays rapidement. Généralement, les procédures sont longues et les pays réticents. Le premier blé transgénique, mis au point par Monsanto, n’a jamais été autorisé à la culture [1] et, globalement, ce sont principalement des plantes destinées aux mangeoires des animaux ou à des productions non alimentaires qui sont autorisées.

En moins de trois ans, le blé transgénique HB4, mis au point par Trigall, une joint-venture entre Florimond Desprez et Bioceres, a, lui, conquis plusieurs pays dans la plupart des continents. L’Afrique du Sud a donc rejoint le club des pays qui autorisent son importation (États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Colombie, Nigeria, Brésil et Indonésie). Deux pays peuvent le cultiver : l’Argentine et le Brésil.

Ce blé OGM est censé palier le déficit hydrique. Avec l’accentuation de ce phénomène, au niveau planétaire, les États sont avides de solutions technologiques, simples… Or, il est de plus en plus évident que la lutte contre le changement climatique passera par une remise en cause profonde et structurelle de l’agriculture conventionnelle, comme l’a souvent expliqué l’agronome Marc Dufumier [2].

Dans un rapport publié en mai 2023, l’association African Center for Biodiversity (ACB) fait le point sur ce blé HB4 en Afrique du Sud [3].

Elle y dénonce, en premier point, le manque d’évaluation toxicologique : « Aucune étude de toxicité alimentaire n’a été réalisée pour l’évaluation des risques, ni pour les autorités sud-africaines ni pour les autorités argentines ».

Deuxièmement, le blé, s’il n’est pas moulu, peut se ressemer. Une contamination potentielle existe donc. Or, en Afrique du Sud, le blé est la deuxième culture la plus importante après le maïs, notamment en termes d’exportations vers plusieurs pays (Botswana, Zimbabwe, Lesotho, Zambie et Namibie).

Le troisième point est de nature géopolitique. Jusqu’à présent, l’Afrique du Sud importait son blé de Russie ou d’Ukraine, mais aussi de Pologne, de Lituanie et de Lettonie. Entre 2018 et 2020, l’Afrique a importé 3,7 milliards de dollars de blé de Russie (32 % des importations totales de blé du continent) et 1,4 milliard de dollars d’Ukraine (12 % des importations de blé du continent). Du fait du conflit armé dans ces pays, la demande se délocalise et l’Argentine espère pouvoir remporter le marché africain. Pour ACB, le rapport entre la guerre en Ukraine et l’autorisation de ce blé HB4 est clair : « Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, les prix des principaux produits de base […] ont connu une hausse exponentielle, notamment les prix des céréales, du carburant et des engrais chimiques. Alors qu’il est largement reconnu et rapporté qu’au moins dix fonds spéculatifs [NDLR : en anglais « hedge fund »] ont réalisé des profits démesurés grâce à la hausse des prix des denrées alimentaires, une pression considérable s’exerce sur l’Afrique pour qu’elle diversifie ses sources de blé et réduise sa dépendance à l’égard de la Russie, diminuant ainsi l’influence géopolitique de la Russie sur l’Afrique ».

Deux chercheuses sud-africaines, dans un article publié dans The Conversation, soulignent également que « la dépendance de l’Afrique à l’égard des importations de blé russe influencera des décisions politiques et militaires clés. La dépendance de certains pays africains à l’égard du blé russe aurait pu influencer leur vote sur les deux résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie » [4]. En effet, au cours de ces deux débats, de nombreux pays ont soutenu la Russie ou sont restés neutres afin, probablement, de ne pas « perturber les relations avec un bon fournisseur ». Ces deux chercheuses estiment que « un peu plus de la moitié des voix africaines se sont exprimées en faveur de l’Ukraine, tandis que d’autres se sont abstenues ou ont voté contre les résolutions ». Or, la plupart des commentaires sur ces votes se concentrent sur les alliances militaires et politiques. Elles insistent : « Le pouvoir de la nourriture, et plus particulièrement du blé, a été largement négligé ».

Il est possible que la décision de l’Afrique du Sud soit simplement opportuniste, avec la guerre comme excuse.

Ce ne serait pas la première fois que la guerre est instrumentalisée pour autoriser des produits controversés. Dans l’Union européenne, plusieurs syndicats productivistes ont demandé à la Commission européenne de freiner la mise en œuvre du Pacte vert et de revenir sur l’objectif de réduction des pesticides, du fait de la guerre en Ukraine. Le patron de Syngenta a incité les pays à abandonner l’agriculture biologique, du fait de la guerre en Ukraine [5].

ACB rappelle enfin que ce blé a même suscité une vive condamnation de la part de 1 400 scientifiques du milieu de la recherche (y compris des membres du Conicet, en Argentine, organisme d’État qui a participé à la mise au point de ce blé [6]). Les signataires avertissent que l’introduction de cette culture prolongera un modèle agroalimentaire qui nuit à l’environnement et à la biodiversité, lequel a aussi un impact négatif sur la sécurité alimentaire. Les gouvernements ne devraient-ils pas développer une agriculture vivrière et non de rente (fleurs coupées au Kenya par exemple) ?

[1Plusieurs pays l’ont autorisé à l’importation en 2004… avant même qu’il ne soit autorisé à la culture.

[4Mandira Bagwandeen, Noncedo Vutula, « Russia-Ukraine crisis highlights Africa’s need to diversify its wheat sources », The Conversation, 13 avril 2022.

[6Le Conicet travaille sur plusieurs projets agronomiques. Les chercheurs du Conicet qui ont signé la lettre ne sont pas nécessairement ceux qui ont travaillé sur ce blé transgénique.

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