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Angleterre – La déréglementation des OGM a commencé

Par Charlotte KRINKE

Publié le 18/04/2023

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Depuis le 23 mars 2023, la nouvelle loi anglaise encadrant les OGM est entrée en application. Adoptée sur fond de mises en garde émanant notamment de commissions parlementaires, de scientifiques et d’organisations de la société civile, la loi permet à de nombreux OGM d’échapper à l’évaluation des risques et à l’étiquetage. Une déréglementation de grande ampleur qui, bien au-delà de l’agriculture, s’étend aux plantes et aux animaux.

Le 23 mars 2023, le Roi Charles III a signé la loi « Genetic Technology (Precision Breeding) » [1]. Cette signature permet l’entrée en vigueur d’un texte par lequel l’Angleterre tourne le dos à la réglementation issue de l’Union européenne, jusque-là applicable à tous les OGM. La loi, qui ne s’applique pas au Pays de Galles ni à l’Écosse ni à l’Irlande du Nord, assouplit en effet substantiellement les obligations pesant sur la commercialisation et la culture de tout un ensemble d’OGM, végétaux comme animaux (voir encadré).

Des OGM difficiles à cerner

C’est en des termes juridiquement douteux que la loi du 23 mars traduit le discours, répété depuis plusieurs années par les entreprises de biotechnologies, selon lequel les OGM issus des nouvelles techniques seraient fondamentalement différents des autres OGM. Plus précis, plus sûrs, non distinguables de ce que la nature produit, etc. Autant d’assertions scientifiquement fausses qui viennent appuyer la nécessité de déréglementer ces OGM. 

C’est ainsi que la loi crée une nouvelle catégorie juridique d’OGM qui bénéficie d’un régime juridique allégé. Ces OGM sont désignés par l’expression « organismes issus de sélection de précision » (« precision bred organisms »), une expression qu’une centaine de scientifiques internationaux a dénoncé comme étant imprécise, scientifiquement fausse et de nature à induire en erreur [2] et que plusieurs parlementaires d’opposition ont qualifié de « slogan commercial » [3].

D’un point de vue juridique, l’expression pose également question car sa définition est très imprécise. Selon la loi, un organisme est un « organisme issu de sélection de précision » si « chaque caractéristique de son génome qui résulte de l’application de la biotechnologie moderne aurait pu résulter de procédés traditionnels », tels que la mutation spontanée [4]. A l’instar de la réglementation étasunienne, l’accent est mis sur les caractéristiques génétiques du produit final [5]. Cela implique que seul sera examiné le changement génétique intentionnel revendiqué, et non les changements non voulus. Or, si l’ensemble de ces effets non intentionnels était pris en compte, il serait évident que le produit final ne pourrait pas résulter d’un procédé traditionnel comme la mutation spontanée.

Paradoxalement, la définition expose aussi le caractère mensonger du discours défendu par le Gouvernement britannique. La loi repose sur le présupposé que les « organismes issus de sélection de précision » seraient fondamentalement différents des OGM, car identiques à ce que des procédés de sélection traditionnels permettraient d’obtenir ou la nature de créer. Selon la loi, un organisme est issu de sélection de précision si « chaque caractéristique de son génome qui résulte de l’application de la biotechnologie moderne aurait pu résulter de procédés traditionnels ». Or, par biotechnologie moderne, la loi du 23 mars 2023 entend les techniques de transgenèse et de cisgénèse, soit des techniques avec lesquelles sont obtenus les « OGM 1.0 »… ! Autrement dit, la loi dit en réalité qu’un organisme est issu de sélection de précision si « chaque caractéristique de son génome qui résulte de l’application de transgenèse ou de cisgénèse aurait pu résulter de procédés traditionnels ». Ainsi reformulée, la définition fait voler en éclats le discours tenu par le Gouvernement concernant la distinction entre les générations d’OGM. Et elle fait apparaître un autre risque de cette nouvelle loi : que la loi initiale sur les OGM, celle issue de l’Union européenne, soit vidée de sa substance, alors que le Gouvernement a affirmé qu’elle restait en place pour les « OGM 1.0 »…

Quoiqu’il en soit, une définition aussi floue rend difficile de déterminer précisément le champ d’application de la nouvelle loi. Cela est particulièrement problématique compte tenu des faibles obligations qu’elle impose.

Des garanties largement insuffisantes

Les piliers de la réglementation OGM de l’Union européenne (autorisation préalable assortie d’une évaluation des risques sanitaires et environnementaux, traçabilité et étiquetage) sont en effet largement absents de la loi anglaise.

Pour les essais en champ (ou toute autre culture sans visée commerciale), la loi impose une simple déclaration préalable. Que doit contenir la déclaration ? Quel délai faut-il observer entre la déclaration et la culture ? Quelles sont les mesures de surveillance et de contrôle prévues ? Des mesures réglementaires ultérieures viendront le préciser.

Pour la commercialisation (y compris la culture à des fins commerciales), l’encadrement est plus strict, à première vue seulement. Elle doit faire l’objet d’une demande d’autorisation préalable auprès du ministre responsable. Un comité consultatif devra alors, dans les 90 jours suivant la demande, déterminer si l’OGM notifié relève de la nouvelle loi ou non. Mais, là aussi, la loi renvoie à des mesures réglementaires à venir pour préciser le contenu de la demande. À ce jour donc, il est impossible de dire sur quelles informations se fonderont les décisions autorisant la commercialisation des OGM « issus de sélection de précision ». Surtout, la loi ne prévoit aucune obligation d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, ni de traçabilité et d’étiquetage. Ces OGM passeront donc a priori inaperçus dans la chaîne alimentaire, ce qui suscite notamment l’inquiétude du secteur de l’agriculture biologique [6].

L’évaluation des risques est imposée directement par la loi dans deux cas seulement. Le premier concerne la commercialisation des animaux génétiquement modifiés. Dans ce cas, la demande doit être accompagnée d’une évaluation des risques « pour la santé ou le bien-être de l’animal concerné ou de sa progéniture qualifiée qui pourraient raisonnablement résulter de tout caractère de reproduction de précision ». Le second cas concerne l’importation des OGM : la loi impose alors une évaluation préalable des risques environnementaux.

Côté consommateurs, ce n’est guère mieux. Selon plusieurs sondages, près de 77 % des consommateurs souhaitent que les OGM, y compris ceux dits « organismes issus de sélection de précision » soient étiquetés [7]. La nouvelle loi prévoit, certes, un nouveau cadre réglementaire pour la mise sur le marché des aliments (y compris pour animaux) produits à partir de ces OGM. Mais elle n’impose pas l’étiquetage de ces aliments OGM. Comme le relevait déjà une commission parlementaire lors de la discussion du projet de loi, les articles de loi concernant la commercialisation de ces aliments OGM sont « squelettiques », car l’application réelle du nouveau cadre réglementaire sera entièrement assurée, sans savoir comment, par des règlements à venir [8].

Le travail n’est pas fini

À cause des très nombreux renvois à des mesures réglementaires à venir, il est difficile d’anticiper l’ensemble des conséquences qu’aura la nouvelle loi. Tout l’enjeu porte donc désormais sur le contenu des futurs règlements. Les associations anti-OGM, telles que GM Freeze ou Beyond GM, prévoient de faire pression pour persuader le Gouvernement de faire en sorte que tous les aliments produits avec des ingrédients génétiquement modifiés, y compris ceux « issus de sélection de précision », soient clairement étiquetés en tant que tels.

Lors de la discussion du projet de loi devant la Chambre basse du Parlement, George Eustice, alors ministre de l’Environnement, affirmait toutefois que « nous n’avons pas l’intention, à l’heure actuelle, d’imposer une obligation d’étiquetage spécifique aux denrées alimentaires [produits à partir des « organismes issus de sélection de précision »], parce qu’un pain peut contenir certaines de ces cultures et d’autres produites par d’autres techniques » [9].

« Un seul bénéficiaire : l’industrie biotechnologique »

La loi a été adoptée malgré des rapports critiques émanant d’un comité gouvernemental [10] et de commissions sénatoriales [11]. GMWatch met par ailleurs en avant que la procédure législative a été marquée par l’exclusion « (d)es scientifiques indépendants et critiques […] des discussions où il était question des éléments clés de la réglementation, tels que la définition des plantes et animaux génétiquement modifiés  » sélectionnés avec précision  » » [12]. GMWatch a également dénoncé le poids du lobby de l’industrie des OGM sur le Gouvernement au cours de la procédure. Une analyse confortée par Pat Thomas, directrice de l’association Beyond GM, pour qui cette « loi a un seul bénéficiaire : l’industrie des biotechnologies » [13].

Le Royaume-Uni abrite certaines des institutions de recherche les plus importantes au monde dans le domaine des biotechnologies, à l’instar du Rothamsted Research ou du John Innes Centre. Les deux saluent l’entrée en vigueur de la loi. Selon le John Innes Centre, elle va permettre de « développer plus rapidement et en toute sécurité des cultures et des aliments plus sains, plus respectueux de l’environnement et plus résistants au changement climatique » [14]. Le professeur Johnathan Napier, du Rothamsted Research, se félicite quant à lui que « (l)e secteur des biosciences du Royaume-Uni [soit] désormais ouvert aux affaires ». Il estime que « (l)es premiers avantages de l’édition de gènes pour l’agriculture britannique pourraient inclure du blé sans gluten, des oléagineux contenant des graisses bonnes pour le cœur, des betteraves sucrières résistantes aux maladies et des pommes de terre encore plus saines que celles que nous avons aujourd’hui » [15].

Le ministère de l’Environnement souhaite, lui aussi, aller vite. Il a annoncé que « les travaux commenceront pour s’assurer que la culture commerciale de plantes sélectionnées avec précision, ou la vente d’aliments sélectionnés avec précision, soit possible dans un avenir proche » [16].

Même si la nouvelle loi sur les OGM ne s’appliquera qu’à l’Angleterre, elle aura des conséquences sur les autres pays du Royaume-Uni (Pays de Galles, Écosse et Irlande du Nord). Les plantes, les animaux et les produits génétiquement modifiés provenant d’Angleterre pourront, en effet, y être commercialisés. Surtout, l’adoption de cette loi est un symbole politique fort vis-à-vis de l’Union européenne. La loi a, dès le départ, été présentée comme une loi post-Brexit [17] et son adoption intervient alors que la Commission européenne envisage de déréglementer de nombreux OGM. Un élément important à prendre en compte dans ce contexte sont les échanges commerciaux. L’Union européenne est le principal partenaire commercial du Royaume-Uni. Ce dernier exporte chaque année vers l’Union européenne plusieurs millions tonnes de céréales (principalement de l’orge). Quel sera l’effet du développement commercial de variétés de céréales génétiquement modifiées sur ces exportations ? En tout état de cause, d’un point de vue juridique, ces exportations devront, le cas échéant, respecter les règles prévues dans le Protocole de Carthagène, auquel le Royaume-Uni et l’Union européenne sont Parties. Par ailleurs, si ces céréales OGM venaient à être commercialisées dans l’Union européenne, la réglementation de l’Union devra le cas échéant s’appliquer (autorisation préalable, évaluation des risques, méthode de détection, étiquetage…).

De sérieuses préoccupations pour les animaux


La loi entrée en vigueur le 23 mars s’applique aussi aux animaux, sans aucune distinction selon qu’ils soient d’élevage, de compagnie ou sauvages, et sans poser aucune restriction quant à la finalité de l’utilisation de la modification génétique. Les organisations de protection des animaux s’inquiètent de la faiblesse des gardes-fous prévus dans la loi. Elles craignent que les techniques de modification génétique qui relèvent de la loi soient utilisées « pour masquer les effets néfastes sur la santé des méthodes d’élevage intensif, permettant ainsi aux animaux de continuer à souffrir dans des conditions de bien-être médiocres » [18]. Certaines craignent aussi que cette loi accentue encore davantage les demandes pour des chiens et chats de compagnie présentant des caractéristiques physiques nuisibles et des traits de conformation exagérés [19]. De façon plus générale, ces organisations estiment que les modifications génétiques d’un animal, quel qu’il soit, impliquent des procédures qui peuvent causer de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse et des dommages durables. Le Gouvernement a pourtant refusé les amendements visant à prévoir des exclusions pour certaines catégories d’animaux, y compris sauvages. Le ministère de l’Environnement, cité par The Guardian, se veut rassurant et affirme que « nous ne ferons aucun compromis sur le bien-être des animaux et nous n’avons pas l’intention d’introduire une législation secondaire [NDLR : i.e. mesures réglementaires] pour couvrir les animaux de compagnie issus de sélection de précision » [20].

[3Natalie Bennett, « The government is pushing GMO deregulation at breakneck speed », Left Foot Forward, 25 janvier 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[4Parmi les procédés traditionnels, la loi cite aussi, entre autres, l’induction polyploïde, le sauvetage d’embryons, la mutagénèse induite ou la fusion cellulaire.

[5La loi précise que pour déterminer si une caractéristique du génome aurait pu être obtenue par un procédé traditionnel, il n’est pas tenu compte :

(a) du nombre de copies de la caractéristique,

(b) de son statut épigénétique, ou

(c) de son emplacement dans le génome.

[6OF&G Organic, « Letter to DEFRA : the Genetic Technology (Precision Breeding) Bill 2022 », 22 septembre 2022 (consulté le 30 mars 2023).

[7Beyond GM, « YouGov Poll : UK citizens demand robust regulation of GMOs », 18 novembre 2023 (consulté le 30 mars 2023).

Food Standards Agency, « Consumer perceptions of precision breeding », 9 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[8House of Lords, « Delegated Powers & Regulatory Reform Committee, Nineteenth Report of session 2022-23 », 5 décembre 2022 (consulté le 30 mars 2023).

[9UK Parliament, Commons chamber, « Genetic Technology (Precision Breeding) Bill, Volume 716 : debated on Wednesday 15 June 2022 », 15 juin 2022 (consulté le 30 mars 2023).

[10Regulatory Policy Committee, « The Genetic Technologies (Precision Breeding) Bill », 16 juin 2022.

[11GMWatch, « The GMO lobby is misleading UK Parliamentarians on gene editing », 27 janvier 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[12Ibid.

[13P. Thomas et L. Woodward, « Genetic Technology Bill Becomes Law », Beyond GM, 24 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[14John Innes Centre, « Game-changing Genetic Technology Bill passes into law in England », 24 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[15Rothamsted Research, « Rothamsted welcomes new GE law », 23 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[16Department for Environment, Food & Rural Affairs, « Genetic Technology Act key tool for UK food security », 23 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[18Compassion in World Farming, « Gene Editing Bill : Significant Threat for Farmed Animals », 25 mai 2022 (consulté le 30 mars 2023).

[19RSPCA, « Genetic Technology (Precision Breeding Act) receives Royal Assent », 27 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

[20H. Horton, « Pets could be gene-edited under new English law, says RSPCA », The Guardian, 24 mars 2023 (consulté le 30 mars 2023).

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