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OGM : changement de stratégie de la Commission européenne ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 13/04/2023

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Les commissaires européens ne discuteront pas du potentiel nouvel encadrement réglementaire des OGM le 7 juin 2023, comme initialement prévu. En effet, la Commission a décidé de décaler ses discussions internes à fin juin, au plus tôt. Mais le contexte des dernières semaines peut aussi laisser penser qu’une telle proposition pourrait ne pas être formulée tout de suite.

Depuis plusieurs mois, la Commission européenne travaille sur des propositions de modifications de plusieurs réglementations européennes, notamment celles sur les OGM, les semences, l’utilisation « durable » des pesticide, ou encore celle sur les déchets [1]. Ces propositions sont nécessaires, selon la Commission, pour mettre concrètement en œuvre sa politique du « Pacte vert » et avancer vers un système européen agro-alimentaire qu’elle qualifie de « durable ».

Pour les OGM, la Commission doit revoir sa copie

Une proposition sur un nouvel encadrement de certains OGM, ceux obtenus par « mutagénèse et cisgénèse », devait être discutée le 7 juin 2023 par les commissaires européens. D’ailleurs, cette discussion apparaît toujours à l’ordre du jour de cette réunion [2]. Cependant, des membres de la DG Santé ont annoncé, le 31 mars, qu’elle était reportée au moins à fin juin. Le Conseil de l’Union européenne ne recevra donc pas – s’il devait en recevoir une – de proposition de nouvel encadrement réglementaire avant le mois de juillet. Contactée par Inf’OGM, la Commission européenne n’a ni confirmé ni infirmé ces informations. Mais une récente information peut d’ores et déjà expliquer administrativement ce décalage.

La semaine dernière, selon une information publiée par Contexte [3], le comité européen d’examen de la réglementation (RSB, pour Regulatory Scrutiny Board) a émis un avis négatif sur une analyse d’impact produite par la Commission européenne [4]. Cette analyse est une évaluation faite par la Commission européenne des impacts qu’aurait le nouvel encadrement réglementaire qu’elle souhaite proposer. Pour faire cette analyse, la Commission avait, depuis 2021, conduit une pré-analyse : deux consultations publiques et une consultation privée. Si l’ensemble de la procédure a fait l’objet de nombreuses critiques par des organisations environnementales et paysannes, elle a malgré tout servi à la Commission européenne pour rédiger une analyse d’impact finale qu’elle devait rendre publique conjointement avec la proposition de nouvel encadrement. Mais, selon Contexte, le RSB a considéré que cette analyse était incomplète et, notamment, que « les conséquences de cette future législation sur l’information des consommateurs, l’agriculture biologique et l’environnement […] n’ont pas été suffisamment prises en compte ». Le rôle de ce comité étant de « garantir la qualité des analyses d’impact […] effectuées au niveau de la Commission, afin que celle-ci puisse prendre des décisions en s’appuyant sur les meilleures informations disponibles et sur les points de vue des parties prenantes » [5], un avis négatif de sa part oblige la Commission à refaire son analyse d’impact avant de la représenter à nouveau au RSB.

Une proposition mise en suspens par la Commission ?

Mais, concrètement, la Commission est-elle vraiment gênée par ce décalage de calendrier ? Pas si sûre. En effet, le récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 7 février 2023 a peut-être rendu moins urgente la modification de la législation OGM [6]. Selon certains acteurs, comme la Confédération Paysanne [7], cet arrêt pourrait être lu par la Commission européenne et les multinationales semencières comme ouvrant une brèche dans l’encadrement des OGM et pourrait permettre de commercialiser nombre d’OGM sans les déclarer comme tel. En effet, l’encadrement des OGM dépendra demain de la bonne foi des entreprises. Ces dernières pourraient déclarer qu’une plante a été obtenue par une technique qui, légalement, ne donne pas des OGM (ou des OGM exemptés des requis de la législation). Une situation qui n’est pas une vue de l’esprit. En effet, au Canada, Cibus a déclaré que son colza GM 5715 avait été obtenu par mutagénèse dirigée par oligonucléotide, technique donnant des OGM réglementés… avant de changer ses déclarations, en 2018, en affirmant que ce colza avait été modifié par variation somaclonale [8].

Par ailleurs, la Commission européenne a changé son fusil d’épaule sur la question de la traçabilité des OGM qu’elle affirmait – à tort – impossible jusque récemment. En tant qu’exécutif de l’Union européenne, la Commission européenne doit mettre à œuvre la réglementation concernant les produits réglementés comme OGM. Ces derniers doivent, par exemple, pouvoir être détectés et tracés. Cela implique la mise au point de protocoles réglementaires. Or, après s’être opposée, en 2017, à un travail de ses experts sur le sujet [9], la Commission européenne s’était ensuite ravisée en 2019. Mais, quatre ans plus tard, leur rapport se fait toujours attendre. Surtout, la Commission a lancé, en décembre 2022, un appel d’offre européen sur de « nouvelles méthodes de détection des produits dérivés des nouvelles techniques génomiques à des fins de traçabilité, transparence et d’innovation dans le système alimentaire » [10]. Date limite de dépôt des dossiers : 12 avril 2023.

Enfin, sur le plan politique, la Commission européenne ne reçoit plus autant de soutien qu’en 2021. Le 16 mars 2023, lors du Conseil des ministres de l’Environnement, neuf États membres l’ont par exemple ouvertement critiquée pour son manque de données et de rigueur scientifique dans le dossier OGM [11]. Ces États ont donc demandé la création d’un groupe de travail ad hoc au Conseil des ministres de l’Environnement « afin de faciliter les discussions impliquant tous les domaines concernés (environnement, santé et agriculture), respectant le cadre de la législation actuelle sur les OGM et en tenant compte des responsabilités des différentes autorités compétentes dans les États membres ». Cette interpellation a été appuyée par les ministres autrichiens pour le Climat et pour la Protection des Consommateurs, quelques jours plus tard, dans une lettre adressée à Stella Kyriakides, commissaire européenne à la santé. Dans cette lettre, l’Autriche demande à la Commission que l’Union européenne s’en tienne à ses règles existantes d’encadrement des OGM afin de protéger la santé des consommateurs et l’environnement [12].

Ces récents revers, qu’ils soient politiques ou administratifs, décalent donc un calendrier qui était déjà très serré du fait des élections européennes à venir en 2024. Avec ce décalage, le temps de discussion politique avec le Conseil de l’Union européenne et le Parlement risque d’être réduit à peau de chagrin, si tant est que la Commission maintienne coûte que coûte sa volonté d’aller vite. Mais, comme nous l’avons vu, elle peut également considérer ne plus être pressée, les entreprises ayant potentiellement une porte ouverte pour commercialiser leurs produits sans les déclarer OGM, comme Cibus l’a fait au Canada.

[1Pour une vision complète des travaux réglementaires et le calendrier tel qu’initialement posé, voir : Commission européenne, « Timeline of farm to fork actions », avril 2022.

[2Commission européenne, « OJ 2452 – Liste des points prévus à l’ordre du jour des prochaines réunions de la Commission », 28 mars 2023 (consulté le 11 avril 2023).

[4Le RSB a émis un autre avis négatif, sur le projet de révision de l’encadrement des déchets, qui devait également être discuté le 7 juin.

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