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Canada : ces OGM qui échappent à l’évaluation des risques

Par Charlotte KRINKE

Publié le 07/04/2023

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L’agence fédérale Santé Canada a publié, en mai 2022, de nouvelles orientations réglementaires. Depuis, elle a cessé d’évaluer la sécurité des aliments issus de « végétaux avec des modifications génétiques qui ne sont pas le résultat de la présence d’ADN étranger dans le produit végétal final ». En contrepartie, elle publie la liste de ces aliments, une liste qui illustre les failles d’un système reposant sur les déclarations des entreprises et l’enjeu de la définition de « l’ADN étranger »…

En mai 2022, Santé Canada a publié de nouvelles orientations réglementaires lourdes de conséquences sur l’évaluation des aliments génétiquement modifiés. Désormais, les « aliments dérivés de végétaux avec des modifications génétiques qui ne sont pas le résultat de la présence d’ADN étranger dans le produit végétal final » échappent à la définition d’un « aliment nouveau » [1]. Or, seul un aliment génétiquement modifié considéré comme un « aliment nouveau » doit faire l’objet d’une évaluation préalable et indépendante des risques avant commercialisation. Jusque mai 2022, Santé Canada exigeait que tous les aliments issus de modification génétique fassent l’objet d’une évaluation préalable. Mais, selon l’agence, la sécurité des OGM qui ne contiendraient pas d’ADN étranger est déjà « bien caractérisée de façon constante » [2].

Près d’un an après l’adoption des nouvelles orientations réglementaires, une liste publiée par Santé Canada montre quels OGM échappent désormais à la définition d’un aliment nouveau, et donc à l’évaluation indépendante et préalable des risques [3]. Elle révèle les failles d’un système basé sur les seules déclarations des entreprises.

Nouveaux OGM « non-nouveaux » et OGM issus de « sélection classique », selon les entreprises

La liste publiée par Santé Canada comprend dix OGM qui ne sont pas considérés comme des aliments nouveaux en application des nouvelles orientations réglementaires, alors qu’ils l’auraient été quelques mois plus tôt au regard de la définition des aliments nouveaux [4].

Sur ces dix OGM, quatre sont déclarés comme étant génétiquement modifiés au moyen de nucléases (Crispr et Talen). Il s’agit du maïs « Next Generation Waxy corn » de Pioneer (pour un amidon riche en amylopectine), de la luzerne « IQ » de Calyxt Inc. (pour une modification de la composition du polymère de lignine) et de la pomme de terre « JA36 » de J.R. Simplot Company (pour une plus grande quantité de tubercules). Quelques mois avant l’adoption des nouvelles orientations réglementaires, un soja à teneur élevée en acide oléique génétiquement modifié au moyen des nucléases Talen [5] et un maïs insecticide et tolérant certains herbicides génétiquement modifié en utilisant la nucléase CRIPSR/Cas9 ont encore été considérés comme des aliments nouveaux [6]. À ce titre, ils ont fait l’objet d’une évaluation des risques par Santé Canada.

La révision des orientations réglementaires a été justifiée par la nécessité d’« améliorer la clarté, la prévisibilité et la transparence des exigences pour les intervenants de l’industrie qui développent de nouveaux produits alimentaires à partir de plantes, y compris des plantes qui ont été développées à l’aide de technologies d’édition génique (génomique) » [7]. Pourtant, à l’heure actuelle (mars 2023), aucun de ces trois OGM n’est effectivement commercialisé au Canada. La commercialisation de la pomme de terre de J.R. Simplot est annoncée pour 2024, celle de la luzerne IQ de Calyxt pour 2023 [8] et aucune date n’est annoncée pour le maïs « Next Generation Waxy corn » de Pioneer. Ces dates sont théoriques et, comme d’autres « OGM 2.0 » (comme le champignon qui ne brunit pas), il est possible que ces OGM ne soient finalement pas commercialisés.

Les six autres OGM figurant sur la liste sont des OGM que les entreprises déclarent avoir modifié génétiquement par une méthode de « sélection classique ; mutagénèse classique » ou par « sélection classique ; croisement ». Cinq d’entre eux sont génétiquement modifiés pour être tolérants aux herbicides.

Parmi ces six OGM se trouvent le riz RTA2 tolérant certains herbicides de RiceTec Inc., la moutarde tolérant certains herbicides de Mustard 21 Canada Inc. (BJ-ALS-B653 et BJ-ALS-A653) ou encore du colza 5720 tolérant aux herbicides de Cibus US LLC. Là aussi, quelques mois avant l’adoption des nouvelles orientations réglementaires, Santé Canada a évalué la sécurité sanitaire d’un sorgho génétiquement modifié par « mutagénèse par éthyl-méthanesulfonate suivie d’une reproduction conventionnelle » pour tolérer certains herbicides [9]. Et, en février 2023, Santé Canada a rendu une décision à propos de l’évaluation sanitaire de la variété de riz ROXY® « génétiquement modifiée pour démontrer une tolérance à l’herbicide oxyfluorfène […] (et ce) à l’aide de procédés de mutagénèse chimique et de sélection conventionnelle » [10].

Des informations très sommaires…

Mais ce qui frappe avant tout en examinant la liste de Santé Canada, c’est que les informations publiées sur la base des informations fournies par les entreprises sont extrêmement sommaires. Sans surprise, elles sont dépourvues de tout renseignement commercial confidentiel. Mais il n’y a pas non plus de références vers les études que les entreprises ont réalisées et qui leur ont permis de conclure à l’absence de nouveauté ou de risques.

Pour chaque OGM figurant sur la liste, la seule information disponible est le nom du produit et de l’entreprise qui l’a mis au point, le nom de la technique de modification génétique que l’entreprise déclare avoir utilisée (sans plus de détails au-delà de cette déclaration d’entreprise), pour quel type de modification génétique réalisée et pour quelle caractéristique obtenue, l’usage alimentaire prévu et la date d’utilisation prévue dans l’approvisionnement alimentaire canadien.

… incomplètes et fausses

Les informations sont par ailleurs incomplètes et fausses. C’est le cas pour les OGM dont les entreprises déclarent qu’ils sont issus d’« édition génique », c’est-à-dire, ici, génétiquement modifiés au moyen de nucléases (Talen ou Crispr). Les entreprises ont elles-mêmes estimé que ces OGM ne répondent pas à la définition d’un « aliment nouveau » en application des nouvelles orientations réglementaires. Autrement dit, pour reprendre la formule des orientations réglementaires, elles ont estimé que les modifications génétiques générées par le protocole technique qu’elles ont utilisé « ne sont pas le résultat de la présence d’ADN étranger dans le produit végétal final ». Or, des études scientifiques ont démontré qu’une coupure opérée par Crispr/Cas9 pouvait conduire à l’insertion non intentionnelle de séquences d’ADN étranger dans le génome d’un organisme vivant [11]. En outre, les informations communiquées par les entreprises à Santé Canada ne signalent pas que les nouvelles techniques de modification génétique nécessitent aussi des étapes intermédiaires avec transgenèse.

Dans la même veine, s’agissant des OGM que les entreprises déclarent avoir obtenu au moyen d’une technique provoquant des mutations de l’ADN de l’organisme, la liste de Santé Canada indique que le résultat obtenu est une « mutation », au singulier. De nombreuses mutations sont pourtant nécessaires pour obtenir tel ou tel caractère souhaité, sans mentionner les mutations hors-cibles.

Mais surtout, la plus grande surprise est que, parmi les OGM dont les entreprises déclarent qu’ils sont issus de « sélection classique », figure la lignée RF3 de colza (Brassica juncea) tolérante à certains herbicides de BASF Canada Inc. Or, il s’agit d’un OGM transgénique (donc présence d’ADN étranger), qui devrait en toute logique continuer d’être considéré comme un aliment nouveau. Comment se fait-il que cet OGM n’ait pas été considéré comme un aliment nouveau ?

La réponse se trouve dans la définition, devenue déterminante, d’« ADN étranger » issue des nouvelles orientations réglementaires [12]. Selon cette définition, une séquence transgénique ne sera pas considérée comme de l’ADN étranger si elle a été introduite dans la plante par des « méthodes conventionnelles de sélection végétale ». Ce cas s’applique aux descendants d’OGM transgéniques et c’est précisément cela qui a permis aux aliments dérivés de la lignée RF3 de colza (B. juncea) de BASF de ne pas avoir été considérés comme nouveaux. En effet, le colza RF3 B. juncea résulte d’un croisement d’une lignée de B. juncea avec le colza RF3 B. napus [13]. Santé Canada nous explique que « (l)’ADN introduit dans la variété originale de B. napus de qualité de type canola RF3 provenait à l’origine d’une source génétique extérieure à l’espèce végétale (à savoir une bactérie Bacillus amyloliquefaciens et a été introduit par une méthode de biotechnologie moderne (à savoir la transformation par transformation médiée par Agrobacterium ». Or, poursuit l’agence, « ce même ADN a été introduit dans la variété B. juncea à partir de la variété B. napus par des méthodes conventionnelles de sélection végétale, et il ne répond donc pas à la définition d’ »ADN étranger » pour la variété de B. juncea de qualité de type canola RF3 ». Les aliments dérivés du colza RF3 B. Juncea ne donc sont pas considérés comme nouveaux même si la plante exprime le gène transgénique conférant la tolérance aux herbicides [14].

Une transparence dépendante du bon vouloir des entreprises

La liste publiée par Santé Canada est la traduction de l’« initiative de transparence volontaire » mise en place par Santé Canada pour compenser l’absence d’évaluation des risques indépendante des OGM destinés à l’alimentation humaine qui n’entrent plus dans la définition d’aliments nouveaux.

Mais comme son nom l’indique, cette initiative est volontaire. Autrement dit, les entreprises sont seulement invitées à y participer et à fournir des renseignements sur leurs produits. Santé Canada nous indique certes avoir reçu « de la part des associations de l’industrie qui représentent un grand nombre de développeurs de plantes des lettres d’engagement confirmant leur intention de participer activement à ce processus pour tous les produits végétaux non nouveaux issus de l’édition génétique ». Il n’en reste pas moins que la liste publiée par Santé Canada ne peut pas être considérée comme exhaustive, ce qui représente une limite importante dans un pays où il n’existe déjà pas d’obligation légale d’étiquetage des OGM. 

Santé Canada se veut néanmoins rassurante et nous explique que « les producteurs d’aliments sont toujours responsables de respecter les dispositions de la Loi sur les aliments et drogues et de ses règlements. Cette responsabilité consiste notamment à déterminer si leurs produits répondent à la définition d’un « aliment nouveau ». Les nouvelles directives de Santé Canada ne changent rien à cette responsabilité. Cependant, la nouvelle initiative assure la transparence pour les produits qui, selon les développeurs, ne sont pas des aliments nouveaux, alors qu’une telle transparence n’existait pas auparavant ». L’agence oublie toutefois de nous préciser qu’avant l’adoption des nouvelles orientations réglementaires, elle exigeait que tous les aliments issus de modification génétique fassent l’objet d’une évaluation des risques préalable et qu’à ce titre, ils figuraient dans une liste publiée par Santé Canada, avec un résumé technique décrivant la technique de modification génétique utilisée…

[2Santé Canada, « Lignes directrices sur l’évaluation de l’innocuité des aliments nouveaux », juillet 2022 (consulté le 20 mars 2023).

[4Au regard de la partie suivante de la définition de l’aliment nouveau, telle que prévue dans au Titre 28 du règlement sur les aliments et les drogues (dans le sens de médicament) : « c) aliment dérivé d’un végétal, d’un animal ou d’un micro-organisme qui, ayant été modifié génétiquement, selon le cas : i) présente des caractères qui n’avaient pas été observés auparavant ».

Voir : https://laws-lois.justice.gc.ca/fra/reglements/C.R.C.%2C_ch._870/page-54.html#h-563270

[5Santé Canada, « Information sur les aliments nouveaux : Soya à teneur élevée en acide oléique », 10 août 2022 (consulté le 20 mars 2023).

[8Calyxt Inc a conclu un accord de licence exclusive avec l’entreprise S&W Seeds pour la commercialisation de la luzerne « IQ ».

S&W Seed Company, « S&W Announces Commercial Agreement with Calyxt Inc. to Deliver Improved Quality Alfalfa », 2 novembre 2020 (consulté le 20 mars 2020).

[9Santé Canada, « Information sur les aliments nouveaux : Sorgho DT tolérant aux herbicides », 16 juin 2022 (consulté le 20 mars 2023).

[12Selon les orientations réglementaires, l’ADN étranger désigne de « l’ADN issu originalement de sources génétiques ne provenant pas de l’espèce végétale et ne pouvant pas être introduit au sein de l’espèce végétale au moyen des méthodes conventionnelles de sélection végétale ».

[13Netherlands Commission on Genetic Modification, « Import and processing of genetically modified RF3 Canola Quality (CQ) Brassica juncea, COGEM advice CGM/201126-02 » (consulté le 20 mars 2020).

[14Les Orientations réglementaires prévoyaient, dès 2006, que « la descendance dérivée de la sélection conventionnelle de végétaux génétiquement modifiés approuvés (l’un des deux parents, ou les deux parents, ont été modifiés génétiquement) ne serait pas considérée comme un aliment nouveau, à moins qu’une certaine forme de nouveauté ait été introduite dans cette descendance à la suite du croisement, nécessitant alors un avis avant la vente ». Mais, avec la révision de 2022, la notion de l’ADN étranger devient centrale pour déterminer ce qui est considéré comme une forme de nouveauté.

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