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Modification du génome humain : des garde-fous bien ténus

Par Christophe NOISETTE

Publié le 16/03/2023, modifié le 01/12/2023

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Du 6 au 8 mars 2023, le troisième Sommet international consacré à « l’édition du génome humain », s’est tenu à Londres, à l’Institut Francis Crick. L’occasion de « discuter des progrès, des promesses et des défis de la recherche, de la réglementation et du développement équitable des technologies et thérapies d’édition du génome humain », telle que le précise la déclaration rédigée par le comité d’organisation, et publiée à la fin du Sommet. On est donc bel et bien dans un exercice d’acceptabilité sociale des modifications génétiques du génome humain.

Le troisième Sommet international consacré à « l’édition du génome humain » n’avait pas pour but de remettre en cause ces techniques mais de les « encadrer » [1]. Les membres de la Coalition internationale « Stop aux bébés sur mesure » (Stop designer babies) étaient présents, à Londres, début mars, afin de « tenter d’influencer les résultats du Sommet et [de] faire entendre les voix de ceux qui ne sont pas entendus dans ces débats » [2].

Le comité d’organisation du Sommet s’est félicité de la qualité des présentations et des échanges. La Coalition internationale « Stop aux bébés sur mesure », elle, considère que ce Sommet « a été très décevant à bien des égards, notamment en raison de l’absence de discussion concrète sur les valeurs et la signification sociale de cette technologie de modification génétique humaine ». Cet article propose de décrypter la déclaration publiée à la fin du sommet [3]. À l’instar des militants, nous verrons que le Sommet est effectivement resté dans le « comment faire » et n’a que très peu questionné le « pourquoi ».

Un contexte inquiétant

Commençons par situer ce Sommet. Pour la Coalition, ce n’est pas anodin qu’il se soit tenu à l’Institut Francis Crick, à Londres. En effet, dans un article intitulé « Ne mentionnez pas la guerre » [4], la Coalition rappelle que « le choix [de ce] lieu […] a quelque chose d’approprié, et en même temps d’inquiétant. N’est-il pas approprié que ce processus que beaucoup considèrent comme l’aboutissement de 140 ans d’eugénisme se tienne dans un lieu qui porte le nom d’un célèbre eugéniste britannique ? ». La Coalition appuie cette affirmation sur des citations de Francis Crick : « Mon autre suggestion vise à résoudre le problème des personnes irresponsables, et en particulier celles qui sont génétiquement mal dotées, qui ont un grand nombre d’enfants inutiles. En raison de leur irresponsabilité, il me semble que pour eux, la stérilisation est la seule réponse et je le ferais par la corruption » [5]. Ou encore : « Aucun enfant nouveau-né ne devrait être reconnu humain avant d’avoir passé un certain nombre de tests portant sur sa dotation génétique. S’il ne réussit pas ces tests, il perd son droit à la vie » [6].

De même, la Coalition explique que l’un des organisateurs de ce Sommet, Robin Lovell-Badge, fréquente la British Eugenics Society et, à la tête de l’Autorité britannique en charge de la fertilité et de l’embryologie, il milite pour « renverser le consensus mondial interdisant la modification génétique des êtres humains » [7].

Mais revenons à ce qui est écrit dans la déclaration publiée à la fin de ce Sommet. Cette dernière commence par souligner que « des progrès remarquables ont été réalisés dans le domaine de l’édition du génome humain somatique, démontrant qu’elle peut guérir des maladies autrefois incurables » et notamment que « l’amélioration spectaculaire des interventions de recherche basées sur CRISPR pour la drépanocytose donne de l’espoir aux patients ». Le comité d’organisation appelle donc à élargir le spectre des maladies à traiter.

Encadrer les thérapies géniques

Mais une certaine prudence de bon ton est souhaitée par les organisateurs et les intervenants. La déclaration souligne que « un suivi prolongé à long terme est essentiel pour comprendre pleinement les conséquences d’une modification et pour identifier tout effet imprévu, le cas échéant ». La précaution apportée est-elle simplement possible face à la multiplication des essais cliniques en cours ? Nous avons déjà basculé dans la pratique, laissant la science fondamentale largement en arrière. Souhaiter un « suivi prolongé à long terme » demande, de facto, une suspension de la myriade d’essais de modification des cellules somatiques d’ores et déjà programmés.

La question de l’encadrement de ces techniques de modification génétique des embryons a été un des aspects de ce Sommet avec, notamment, une première discussion sur les lignes directrices récemment mises à jour en Chine. Il a alors été noté que les mesures chinoises ne concernent pas la recherche financée par le secteur privé [8]. Il a aussi été précisé que de nombreux autres États, comme les États-Unis, « ne disposent pas de cadres réglementaires suffisamment solides pour éviter que le scandale de 2018 ne se reproduise » [9]. Le scandale évoqué est celui qui a été annoncé lors de la précédente édition de ce Sommet, qui s’est tenu à Hong-Kong en 2018 : la naissance de bébés génétiquement modifiés en Chine [10].

Les chercheurs présents semblent aussi s’accorder sur une ligne rouge : on peut modifier des cellules somatiques, c’est-à-dire des cellules dont l’ADN ne se transmet pas à la descendance, mais pas les cellules germinales, les gamètes (ovules, spermatozoïdes, par exemple). Mais cette « ligne rouge » n’est pas figée. Ainsi, le comité d’organisation, dans son communiqué précédemment évoqué, écrit que « l’édition du génome humain à des fins d’hérédité reste inacceptable à l’heure actuelle ». En effet, il s’agit juste de les interdire le temps de mettre en place « les cadres de gouvernance et les principes éthiques pour l’utilisation responsable de l’édition du génome humain héritable » et d’améliorer la sécurité de ces interventions. Est-ce possible ? Plus loin, les auteurs reviennent sur cet aspect et précisent que « l’édition du génome humain héritable ne devrait pas être utilisée à moins, au minimum, qu’elle ne réponde à des normes raisonnables de sécurité et d’efficacité, qu’elle ne soit légalement sanctionnée et qu’elle n’ait été développée et testée dans le cadre d’un système de surveillance rigoureux soumis à une gouvernance responsable. À l’heure actuelle, ces conditions ne sont pas remplies ». Il ne s’agit donc que d’encadrer des innovations et non de respecter des principes éthiques. Ce qui est inquiétant vu que les conséquences de ces innovations ne peuvent être prévues.

Concrètement, il y aurait une « recherche légitime » et une autre faite par des instituts « non responsables ». La même dichotomie revient souvent par rapport à des technologies dangereuses, comme le nucléaire qui est à encourager en France mais à freiner en Iran. Qui nous prouve que la France restera une démocratie ? Qui s’arroge le droit de dire qui est légitime ou pas, quelle recherche est pertinente ou pas, quelle maladie peut faire l’objet d’un traitement, etc. ?

Le communiqué revient, quelques paragraphes plus loin, sur « l’édition du génome de la lignée germinale humaine pour la recherche ». Il n’est alors plus question d’interdire mais au contraire d’encourager la recherche fondamentale. Joli tour de passe-passe. Le communiqué établit en effet que « la recherche fondamentale utilisant l’édition du génome dans les embryons humains s’est poursuivie, dans le but de comprendre certains aspects du développement humain précoce ou d’explorer la manière dont les méthodes pourraient être utilisées pour corriger les variantes génétiques à l’origine de troubles génétiques. Des progrès significatifs ont également été réalisés dans la recherche fondamentale sur l’obtention de gamètes fonctionnels à partir de cellules souches ». Ce discours était déjà celui à l’œuvre lors de la révision de la loi de bioéthique, en France [11]. La recherche fondamentale dans ce domaine devrait se poursuivre. Quelle différence existe-t-il entre modifier la lignée germinale humaine et le génome humain héritable ? Le communiqué apporte la réponse en note : « l’édition germinale du génome humain désigne l’édition d’embryons ou de gamètes humains dans un cadre de recherche, sans qu’il soit prévu que ces embryons ou gamètes soient utilisés à des fins de reproduction humaine. L’édition du génome humain héréditaire fait référence à l’édition d’embryons ou de gamètes humains destinés à la reproduction humaine ». La différence telle que précisée dans ce communiqué est ténue…

Des coûts exorbitants

Par ailleurs, la rhétorique de la précision est aussi revenue sans cesse dans les débats. Ainsi, le communiqué du comité d’organisation note que « l’amélioration des techniques a permis d’accroître l’efficacité, la précision et l’exactitude du processus d’édition, mais l’administration et l’édition efficaces restent difficiles pour de nombreux tissus de l’organisme ». Cette nuance, de rigueur dans les communications, ne remet pourtant pas en cause la croyance dans un progrès sans fin de ces techniques. Il est simplement question de temps et donc d’argent…

Or, à propos de l’argent, ce Sommet a abordé le coût de ces thérapies, l’inégalité qu’elles peuvent engendrer. Ce thème revient à deux reprises dans la déclaration. Considérant que « les coûts extrêmement élevés des thérapies géniques somatiques actuelles ne sont pas viables », le comité d’organisation souhaite « un engagement mondial en faveur d’un accès abordable et équitable à ces traitements […] de toute urgence ». Puis, vers la fin du texte, les auteurs soulignent que « dans de nombreux cas, les coûts et les besoins en infrastructures des traitements de thérapie génique actuels ne sont pas gérables pour les patients ou les systèmes de santé. Pour remédier à cette situation, il faudra une planification appropriée dès les premières étapes de la recherche et du développement de chaque application potentielle ». L’idée d’une planification appropriée est assez obscure. Qui planifie quoi ? Qui payera ? La réponse fournie par ce communiqué laisse globalement pantois : « Les systèmes de soins de santé et la communauté mondiale de la santé doivent se préparer à fournir aux patients des thérapies rentables, abordables et éprouvées. Les thérapies basées sur l’édition du génome somatique qui pourraient contribuer à répondre à ces besoins devraient être une priorité pour l’investissement dans la recherche ».

Peu d’articles ont en fait été publiés sur cet événement. L’un d’entre eux, écrit par deux chercheurs du Rochester Institute of Technology, et publié dans The Conversation [12], propose, en conclusion, une vision manichéenne et réductrice du débat. Pour eux, le débat sur l’utilisation de ces technologies se situe entre ceux qui « assimilent l’édition du génome à une interférence avec l’œuvre de Dieu » et ceux qui « reconnaissent sa valeur potentielle et la mettent en balance avec ses risques potentiels ».

[1L’expression « édition du génome » n’est pas défini juridiquement. Il s’agit dans les faits de modifications génétiques, au même titre que la transgénèse, mais avec d’autres outils moléculaires.

[2International Coalition to Stop Designer Babies, « Help us change the narrative after the International Summit on Human Genome Editing », 9 mars 2023

[4Coalition Stop designer babies, « Don’t mention the war ! », 5 mars 2023.

[5Cette citation est extraite d’une lettre de Crick au Dr B. Davis (Harvard Medical School), envoyée en 1970 : https://collections.nlm.nih.gov/ocr/nlm:nlmuid-101584582X211-doc

[6Pierre Thuillier, La recherche, n°155, mai 1984.

[7La Coalition précise : « En 1999, […], le masque est tombé et l’organisation a invité trois scientifiques délibérément racistes à prendre la parole lors de sa conférence annuelle : Arthur Jensen, dont l’article tristement célèbre paru en 1968 dans la Harvard Educational Review affirmait que l’écart de QI entre les Afro-Américains et les Blancs était en grande partie génétique et donc irrémédiable ; Richard Lynn, le doyen moderne des théoriciens du QI et de la race, qui est depuis 20 ans l’administrateur du fonds d’extrême droite Pioneer Fund […] ; et Glayde Whitney, […] qui a été expulsé de la présidence de l’International Behavioural Genetics Association après avoir tenu des propos racistes et qui a ensuite écrit une préface admirative à un livre de David Duke, chef du Ku Klux Klan ».

[12The Conservation, ibid.

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