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Le CTPS veut croire aux promesses des « nouveaux OGM »

Par Denis MESHAKA

Publié le 02/02/2023

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Le Comité technique permanent de la sélection (CTPS), instance consultative et inter-professionnelle en charge de la gestion des semences, organise la confusion. Un rapport de son Comité scientifique, publié en décembre 2022, propose de distinguer entre « variétés éditées » et « variétés OGM ». Or, en droits français et européen, il n’existe pas de « variétés éditées ». Ce vocable a été inventé par l’industrie pour que les « nouveaux » OGM ne soient plus considérés comme des OGM, et donc plus évalués ou étiquetés. Le CTPS soutient alors de facto le projet de déréglementation des OGM proposé par l’industrie et mis en œuvre par la Commission européenne.

Saisi par le ministère de l’Agriculture, le Comité technique permanent de la sélection (CTPS) publie, en décembre 2022, un rapport de son Comité scientifique qui se donne pour objectif « d’éclairer, sur la base de la littérature scientifique et technique, l’incidence de l’évolution des nouvelles techniques d’édition du génome sur l’évaluation des variétés et leur mise en marché » [1]. Vaste projet, dont l’intitulé est en soi déjà un parti pris ?

La novlangue de l’industrie semencière

Le rapport utilise plusieurs expressions pour désigner des OGM. En changeant le nom, en choisissant délibérément des sigles ou expressions proposés par l’industrie semencière, le rapport oriente l’éclairage qu’il souhaite apporter à ce débat. Notamment, il utilise le sigle « NBT », traduit en français par « nouvelles techniques de sélections » (en anglais, New Breeding Techniques), ou « édition du génome » pour parler de certains OGM non transgéniques.

Les techniques visées par ce rapport sont, par exemple, la mutagénèse dirigée, qui fait appel à des nucléases (Crispr/Cas9, Talen, etc.), la cisgenèse/intragenèse, ou la modulation de l’expression des gènes par méthylation de l’ADN. Or, ces techniques donnent des OGM que l’on peut qualifier de « nouveaux » étant donné qu’elles ont été essentiellement développées depuis 2001, année d’adoption de la directive européenne 2001/18 [2]. Ces techniques donnent des OGM qui ne peuvent être exemptés par la directive, car ils ne bénéficient pas de l’historique d’utilisation sans risque, comme l’a précisé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans son arrêt du 25 juillet 2018 [3]. Donc, le rapport aurait dû, pour être conforme à la loi française, européenne (voire internationale), parler d’OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique.

Le rapport va même plus loin. Il affirme sans détour qu’ « il est important dans les discussions et réflexions de souligner la différence entre variétés éditées et variétés OGM, de façon factuelle et non émotionnelle ». Mais quelles sont ces différences ? En quoi les nouvelles techniques de modification génétique ne modifient-elles pas le matériel génétique « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle » ?

Le CTPS évalue l’évolution des techniques

Le CTPS voit des avantages aux nouvelles techniques de modification génétique, comme le fait de permettre « une chirurgie fine et précise des génomes » et leur capacité à effectuer plusieurs modifications génomiques en parallèle, par exemple sur plusieurs traits d’une même variété. Autrement dit, le CTPS affirme que les nouveaux OGM seront plus précis que les anciens, mais surtout qu’on pourra enfin mettre au point ce qui avait été promis avec la transgenèse… En fait, on retrouve le même discours qu’à la fin des années 90 quand la transgenèse est arrivée : elle était plus précise que la sélection conventionnelle et permettait de créer des variétés plus nutritives, plus résistantes, plus… plus et toujours plus…

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Le Comité scientifique du CTPS ne voit cependant pas de « révolution majeure parmi les matériels édités ». Il constate que « la stratégie principale est d’obtenir, par mutagénèse dirigée, les effets obtenus par d’autres méthodes de mutation, l’essentiel des modifications proposées étant de type  » Knockout  » (bloquant l’expression d’un gène) ». Le CTPS pointe aussi les modifications non contrôlées, ou « hors cible », que ces nouvelles techniques peuvent engendrer. Il précise qu’elles seraient moins nombreuses qu’avec la mutagénèse traditionnelle et que de tels « effets délétères attendus […] sont aussi potentiellement des sources de variations utilisables en sélection ». Globalement, le CTPS parait donc mettre en exergue les bénéfices plutôt que les risques potentiels des nouvelles techniques de modification du génome.

Le CTPS évoque, sans la citer explicitement, la mutagénèse dite « aléatoire » appliquée sur des cultures in vitro de cellules végétales : « De même, les techniques de culture in vitro sont connues pour engendrer des modifications génétiques non désirées (mutations, recombinaisons, délétions / translocations chromosomiques) […] ou des modifications épigénétiques (modification de l’expression de certaines régions génomiques, sans modification de la séquence de l’ADN). Ces variations somaclonales peuvent avoir des effets forts sur l’expression génique, la morphogenèse et le phénotype ou sur l’adaptation des plantes régénérées ». Le CTPS ne tire cependant aucune conclusion réglementaire de ce constat technique alors qu’il justifie à lui seul la nécessité d’appliquer la réglementation OGM actuelle aux plantes issues de cette technique.

Les nouveaux OGM devront être évalués lors des demandes d’inscription au catalogue des semences. Le CTPS valorise sa fonction en disant savoir s’adapter à de telles évaluations : « Pour les traits édités correspondant à des caractères naturellement variables et ayant déjà fait l’objet d’étude au moment de l’inscription, il n’apparait pas nécessaire de modifier les processus. En revanche, pour des innovations disruptives créant de nouveaux traits, il conviendrait de procéder à une évaluation qui cherchera à caractériser à la fois les services et les disservices, à une échelle de temps et d’espace adaptée au trait dont l’amélioration est revendiquée, à son usage, et à sa compatibilité avec les autres méthodes de sélection ».

Vers une agroécologie génétiquement modifiée ?


Les notions d’ « agroécologie » et de nouvelles techniques de modification génétique sont, depuis plusieurs années, positivement associées, notamment dans les discours officiels. A titre d’exemple, le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) proposait déjà, en 2019, d’utiliser l’agroécologie comme caution au développement des nouveaux OGM : « […] l’essor de l’agriculture vers l’agroécologie repose notamment sur le maintien d’une capacité d’expertise scientifique publique dans le domaine du génie génétique et le soutien à une filière remarquable, il est essentiel de ne pas parier sur l’enlisement du sujet au plan européen. Il importe de ne pas tourner le dos à l’innovation de rupture offerte par les NBT, ce qui nécessite une volonté politique forte » [4].

En outre, François Hollande, Président de la République, affirmait en 2015 : « l’agriculture de demain, c’est l’agroécologie qui va mobiliser aussi bien l’agronomie que la robotique, le bio-contrôle, les biotechnologies et le numérique ».

Le CTPS propose, dans ce rapport de 2022, une mesure « agroécologique » utilisant les NBT pour lutter contre les adventices devenues résistantes aux produits « phytosanitaires » : « Les NBT pourraient permettre de travailler sur plusieurs leviers pour (…) remédier [au développement des résistances], en favorisant l’allélopathie (ensemble des interactions biochimiques des plantes avec les autres plantes), en développant des variétés plus compétitrices face aux adventices ou en ciblant des traits permettant aux variétés de s’adapter au désherbage mécanique ».

Le concept d’ « agroécologie » évoque cependant, dans l’esprit du grand public, quelque chose de naturel, ne serait-ce que par sa référence à l’écologie. Or, ce terme n’est pas défini légalement, contrairement à « l’agriculture biologique », qui est précisée par un cahier des charges. Ce dernier exclut les OGM, pour l’instant les « nouveaux » tout autant que les anciens (exclusion des « nouveaux » qui disparaitra s’ils ne sont plus qualifiés d’OGM, comme le propose la Commission européenne). L’agroécologie est devenue un mot fourre-tout, et est en soi un piège.

La propriété intellectuelle fait toujours débat

Le rapport considère qu’il est nécessaire d’assurer la « transparence sur les caractères édités faisant l’objet d’un brevet, en vue de leur utilisation en sélection ». Le CTPS évoque ici les risques qui pèsent sur les semenciers traditionnels pour lesquels il est de plus en plus difficile d’éviter d’utiliser des gènes ou informations génétiques déjà brevetés par les quatre ou cinq majors de l’industrie semencière. Ces semenciers ne peuvent, en effet, disposer des outils nécessaires pour déceler ces droits de brevets tiers susceptibles de couvrir les variétés qu’ils produisent ou utilisent [5].

La gestion de la cohabitation entre brevets et certificats d’obtention végétale (COV) reste un point de dissensus au sein de l’industrie semencière. Le Comité scientifique du CTPS ne tranche donc pas et propose deux options. Une première consiste à « respecter le cadre réglementaire et jurisprudentiel européen […] qui garantit l’articulation avec le COV ». L’autre propose l’« engagement collectif des obtenteurs de ne pas prendre de brevets sur les traits édités et de mobiliser le COV comme levier pour garantir la propriété intellectuelle et pour assurer un progrès génétique rapide au service de la transition agroécologique ».

Mais cette cohabitation soulève aussi, selon le CTPS, la question des « licences croisées ». Il peut, en effet, arriver que le détenteur d’un COV et le détenteur d’un brevet soient tous deux empêchés de commercialiser leur variété parce qu’elle est couverte par les droits de l’autre. Le principe des « licences croisées » permet à chaque partie de concéder à l’autre une licence sur ses droits. Si les parties ne s’entendent pas, une « licence obligatoire pour dépendance » peut être imposée par l’administration. Le cas échéant, cette dernière aura considéré que « la variété ou l’invention représente un progrès technique important d’un intérêt économique considérable par rapport à l’invention revendiquée dans le brevet ou à la variété végétale protégée ». Cette dernière proposition, qui existe depuis plus de 20 ans mais n’a jamais été utilisée, ressemble fort à un vœu pieux.

Le CTPS en avocat des nouvelles techniques ?

« Il s’agit surtout à ce stade de preuves de concept, sur un nombre limité d’espèces agricoles, avec peu de retombées pratiques » : certes, le CTPS relativise l’apport actuel des nouvelles techniques et en souligne certaines lacunes mais, pour lui, le développement de ces nouveaux OGM est inéluctable… Le CTPS se positionne-t-il simplement en avocat de ces nouvelles techniques pour entériner la position connue du ministère de l’Agriculture sur le sujet ? [6]

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