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OGM : L’AESA propose de restreindre la notion « transgénique »

Par Eric MEUNIER

Publié le 26/01/2023, modifié le 01/12/2023

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Le 7 juin 2023, la Commission européenne pourrait proposer une modification de l’encadrement réglementaire des OGM. Elle souhaite que les OGM obtenus par « mutagénèse dirigée et cisgénèse » ne soient plus soumis aux obligations d’étiquetage et d’évaluation des risques, qui ne s’appliqueraient qu’aux seuls OGM transgéniques. Mais, à lire les experts européens, la notion même de « transgénique » pourrait également être modifiée afin de restreindre encore plus le nombre d’OGM concernés par, entre autres, l’évaluation des risques et l’étiquetage.

Fin 2022, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) publiait son opinion quant à l’évaluation des risques des OGM obtenus par « mutagénèse dirigée et cisgénèse ». Elle proposait, en conclusion, de faire de l’évaluation des risques liés aux OGM une exception [1]. Mais cette opinion proposait aussi, de façon plus subtile, une évolution majeure au vu de l’actualité réglementaire à venir en 2023 : réduire ce qui pourrait demain être défini comme transgénique.

Une législation existante claire

Actuellement, les OGM sont clairement définis dans la législation européenne. La directive 2001/18 établit qu’un OGM est « un organisme, à l’exception des êtres humains, dont le matériel génétique a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou par recombinaison naturelle ». Ainsi, tout organisme dans le génome duquel une ou des séquences génétiques ont été insérées (voire enlevées) ou dans lequel des mutations ont été provoquées d’une manière qui ne se fait pas naturellement (par un travail sur des cellules par exemple) est un OGM soumis aux requis de la loi [2]. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est chargée, en 2018, de rappeler à la Commission européenne ces règles établies par la législation européenne. En France, le Conseil d’État a ensuite effectué le même rappel au gouvernement, en février 2020, en précisant que ces règles s’appliquent aux OGM issus de techniques de mutagénèse dirigée et de mutagénèse aléatoire appliquée sur des cultures de cellules végétales isolées.

Alors même que la Commission a toujours défendu la position que les OGM obtenus par des techniques de mutagénèse, sans définir ce terme, ne devaient pas être soumis aux requis de la législation, la décision de la CJUE a constitué un coup d’arrêt pour elle. En 2021, à la suite de ce revers judiciaire, la Commission européenne a alors annoncé son intention de proposer une modification de la réglementation européenne pour exonérer les OGM obtenus par mutagénèse dirigée ou cisgénèse des requis de la loi [3]. Cette proposition pourrait arriver sur la table des négociations le 7 juin 2023.

Vers la modification de la définition de « transgénique » ?

Mais il ne faut pas s’y tromper. Cette initiative de la Commission européenne sera l’occasion pour cette dernière de restreindre encore plus le nombre d’OGM qui continueraient d’être soumis à la législation actuelle. Une stratégie qui pourrait notamment tourner autour d’utilisation de termes ou de définitions flous. Par exemple, elle a volontairement utilisé en 2021 un vocabulaire flou en évoquant un nouveau cadre réglementaire sur les OGM obtenus par mutagénèse dirigée. Or, l’expression de « mutagénèse dirigée » est suffisamment imprécise pour pouvoir concerner toutes les techniques de mutagénèse, y compris celles qui ne peuvent bénéficier d’un historique d’utilisation sans risque ou qui nécessitent des étapes intermédiaires avec transgenèse.

Une hypothèse confirmée par l’opinion rendue fin 2022 par l’AESA. Pour ces derniers, tout organisme modifié génétiquement de manière à obtenir des mutations, quelle que soit la technique de mutagénèse utilisée, ne devrait pas être soumis à une évaluation des risques (sauf cas très particulier) [4].

La même opinion des experts européens aborde la question des OGM ayant une séquence génétique insérée de manière non naturelle dans leur génome. C’est ici que se trouve la proposition de tournant majeur en proposant de distinguer entre ces OGM selon l’origine de la séquence génétique introduite. À ce jour, on parle de transgénèse (dans le langage courant, la séquence insérée vient d’une espèce différente) et de cisgénèse (selon le langage courant, la séquence insérée vient de la même espèce). Si ces deux termes ne sont formellement définis par aucun texte législatif européen ou national, ils correspondent néanmoins aux deux premiers exemples donnés par la législation européenne de techniques donnant des OGM réglementés, à savoir :

Ces deux définitions ne citent pas explicitement les termes transgenèse, ni cisgenèse mais couvrent sans ambiguïté ces deux techniques. La cisgenèse n’est qu’une forme particulière de transgenèse qui consiste à introduire dans une plante une molécule d’acide nucléique venant de la même espèce, pouvant donc théoriquement y être insérée naturellement ou par des techniques plus longues de croisements. Si elle peut de ce fait être considérée comme exclue du premier exemple donné, qui s’applique par contre sans contestation aux autres formes de transgenèse, elle rentre bien dans le second.

L’opinion de l’AESA ne tient pourtant pas compte de cela. Cet organisme propose de facto une définition de la transgenèse et de la cisgénèse. Par le biais d’un schéma et d’un lexique, les experts européens définissent le terme de transgenèse d’une manière beaucoup plus réduite. Un transgène serait dorénavant une séquence génétique transférée entre deux plantes pour lesquelles aucune « technique avancée » ne permet de les croiser. Un cisgène serait, lui, une séquence génétique provenant non pas de la même espèce mais, pour utiliser une expression qui commence à émerger dans le débat, du pool génomique du sélectionneur. Car, selon les experts européens, un pool génomique du sélectionneur se compose de trois groupes. Dans le premier se trouvent les plantes qui se croisent librement. Le second regroupe les plantes qui se croisent difficilement avec celles du premier groupe, croisements qui peuvent parfois donner des hybrides fertiles. Enfin, le troisième groupe concerne les plantes qui se croisent avec celles du groupe 1 uniquement à l’aide de techniques avancées comme le sauvetage d’embryons, d’induction polyploïde, de croisement par pont utilisant des plantes intermédiaires. L’AESA précise, pour ceux qui l’ignoreraient, que le pool génomique des sélectionneurs grossit d’année en année. Définis ainsi, le nombre d’OGM qualifiés de transgéniques et qui resteraient soumis aux obligations d’évaluation des risques et d’étiquetage actuelles serait réduit. Et le nombre d’OGM qualifiés de cisgénique que la Commission veut exonérer d’évaluation des risques et d’étiquetage serait augmenté.

La proposition à venir, début juin 2023, d’un nouvel encadrement législatif pour les OGM obtenus par mutagénèse dirigée ou cisgénèse sera, évidemment, l’objet de toutes les attentions. Parmi celles-ci, la première concernera donc le vocabulaire utilisé et la définition donnée aux termes de « mutagénèse dirigée » et de « cisgénèse ». Si la Commission suit l’avis des experts européens, elle irait plus loin que ce qu’elle prétend depuis 2021 en proposant une approche qui videra d’années en années la catégorie des OGM transgéniques.

[2A l’exception de trois méthodes = la fécondation in vitro, la conjugaison / transduction / transformation ou tout autre processus naturel et l’induction polyploïde.

[5Directive 2001/18, Annexe IA, Première partie.

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