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Pour l’AESA, l’analyse des risques liés aux OGM doit devenir l’exception

Par Eric MEUNIER

Publié le 27/12/2022

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Fin octobre 2022, les experts européens de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) publiaient un avis sur les critères à suivre pour évaluer les risques liés aux « plantes produites par mutagénèse dirigée, cisgénèse et intragénèse ». S’ils confirment l’absence d’historique d’utilisation sans risque de ces OGM, ils préconisent néanmoins de réduire à peau de chagrin l’évaluation des risques. Cet avis, qui, curieusement, n’utilise jamais le terme OGM, ressemble bien à une commande politique de la Commission européenne, qui devrait proposer, en 2023, une dérèglementation de ces OGM.

Depuis les années 90, l’Union européenne a rendu obligatoire une évaluation des risques sanitaires et environnementaux liés aux OGM avant leur éventuelle commercialisation. Cette évaluation, largement affaiblie en 2013 [1], s’intéresse, en théorie, aux caractéristiques moléculaires de la plante génétiquement modifiée, à sa comparaison avec la même plante non génétiquement modifiée, à son potentiel allergique, toxicologique… Déjà partiellement mise en œuvre par les experts européens, comme l’a constaté le comité français (l’Anses) en mai 2022 [2], cette analyse des risques pourrait connaître un coup d’arrêt dans les années à venir pour une grande partie des OGM. En effet, la Commission européenne pourrait proposer, en 2023, un projet de dérèglementation des OGM obtenus par « mutagénèse dirigée et cisgénèse ». Pour mener à bien ce projet, elle a demandé à l’AESA quels pourraient être les critères à suivre pour continuer d’assurer un haut niveau de sécurité sanitaire et environnemental comme elle l’a promis [3]. Leur conclusion constitue un véritable virage dans l’analyse des risques.

L’AESA focalise sur la molécule et s’en remet totalement aux entreprises

L’avis fourni par l’AESA présente une originalité qu’il est nécessaire de souligner [4]. Le mandat reçu de la Commission européenne concernait les plantes modifiées par « mutagénèse dirigée, cisgénèse et intragénèse » [5]. Ces techniques donnent des OGM réglementés, comme l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en juillet 2018 [6]. Pour autant, ni la Commission européenne, ni, en conséquence, les experts européens n’utilisent ce terme pour désigner les plantes concernées. De même, la législation européenne actuelle (directive 2001/18 notamment) n’est pas citée par la Commission dans le mandat donné et les experts ne s’y réfèrent que dans un cas particulier, comme nous allons le voir.

Ainsi donc, l’avis fourni échappe à tout cadre légal, qui existe pourtant bel et bien. Cependant, les experts prennent une précaution d’usage en annonçant que leur rapport peut aider à établir des lignes directrices mais « qu’une liste exhaustive [de tous les cas de figure à envisager] ne peut être établie du fait de la grande diversité des produits pouvant être obtenus par mutagénèse dirigée, cisgénèse et intragénèse ». Et l’AESA précise, dans son rapport, que cette liste exhaustive se concentrera sur les seules caractéristiques de la séquence génétique modifiée. La plante, en tant qu’organisme entier, ne sera plus analysée, contrairement à ce que prévoit la législation pour les OGM.

Les experts européens placent au centre de leur argumentation une seule et unique question concernant les risques, une séquence génétique « étrangère » est-elle présente dans la plante génétiquement modifiée ? Que cette question n’ait aucune base juridique dans la législation actuelle ne semble pas être un souci en soi pour les experts. Toujours est-il que d’elle découle la suite des requis imaginés par les experts.

Concrètement, deux cas de figure se présenteraient selon eux, à savoir que la plante modifiée a une séquence génétique insérée ou pas. Si aucune séquence génétique n’est insérée, la seule question d’un historique d’utilisation sans risque se posera. Et si elle ne bénéficie pas de cet historique, alors une éventuelle analyse de la structure et de la fonction de la séquence modifiée devra être conduite « avec attention ».

Si une séquence génétique est insérée (cas des seules cisgénèse et intragénèse d’après les experts européens), des renseignements devront être fournis quant à l’origine de cette séquence, son lieu et mode d’insertion dans le génome. Seulement dans ce cas pourront éventuellement être demandées, par exemple, des informations sur « le potentiel [de la séquence modifiée] à générer un produit qui peut être toxique ou allergène ».

Et ici s’arrêtent les recommandations des experts pour évaluer les risques liés à ces OGM. Cette approche a pour conséquence de réduire drastiquement l’analyse de risque telle que prévue par le législateur dans les années 90 aux seuls cas d’OGM ayant une séquence génétique insérée et à la seule description de cette séquence. Sauf cas très particulier, aucune analyses de toxicologie ou d’alimentarité, par exemple, ne sont prévues. Comme le montre une figure du rapport, schématisant la proposition des experts, l’évaluation des risques deviendrait en fait l’exception.

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L’historique d’utilisation sans risque, une réponse à une commande politique

Sur le plan scientifique, les experts européens proposent donc de réduire à peau de chagrin l’analyse des risques de plantes modifiées par des techniques sans historique d’utilisation sans risque. Une approche diamétralement opposée à celle du principe de précaution, toile de fond du débat législatif de la fin des années 90, quand la directive 2001/18 était discutée au Parlement européen avec la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne.

Pourquoi l’AESA a-t-elle pris soin d’aborder dans le détail la question de l’historique d’utilisation sans risque comme critère guidant l’évaluation des risques de ces OGM obtenus par mutagénèse dirigée et cisgénèse ? La raison n’en est pas scientifique, mais juridique. En 2018, la CJUE a rappelé que des techniques n’ayant pas d’historique d’utilisation sans risque donnent des OGM réglementés. La Commission européenne envisageant de dérèglementer de nombreux OGM, il lui était donc nécessaire de disposer d’une « expertise ». Les experts européens se sont acquittés de cette mission, mais d’une manière tout à fait paradoxale.

Dans un premier temps, ils rappellent que « la démonstration d’un historique d’utilisation sans risque se base sur des données montrant que toute ou partie d’une plante a été consommée dans l’alimentation (humaine ou animale) sur une durée considérable et sans aucun constat d’effets négatifs ». À titre d’exemple, ils citent une période d’au moins 25 années de consommation.

Dans ces conditions, les plantes obtenues par mutagénèse dirigée ou cisgénèse ne sauraient être concernées. Mais les experts européens ajoutent une considération. Cet historique ne doit pas être étudié, requis que pour la plante génétiquement modifiée en tant que telle. Celui de l’organisme fournissant la séquence à insérer (cas de cisgénèse et intragénèse) ou celui de la séquence modifiée elle-même peuvent être pris en compte. Ainsi, détaillent-ils, si la séquence modifiée, la nouvelle caractéristique obtenue ou la plante ayant fourni la séquence à insérer (plante donneuse) ont un historique d’utilisation sans risque, la nouvelle plante génétiquement modifiée bénéficiera par ruissellement de cet historique. Pour la « plante donneuse », ils vont jusqu’à préciser que son historique pourra provenir simplement d’une utilisation comme variété intermédiaire lors d’un processus de création variétale.

Alors que la Commission européenne et les entreprises ne cessent de clamer que les nouvelles techniques peuvent reproduire à l’identique ce qui peut avoir lieu de manière conventionnelle ou naturelle, les experts européens leur fournissent ici une approche intellectuelle qu’ils ont adaptée à la dérèglementation de ces OGM.

Les effets hors-cibles ? Pas un problème…

Un gros caillou reste dans la chaussure des experts, celui des effets non intentionnels. Il est fondamental, car depuis longtemps, ces effets non intentionnels sont mis en avant par des scientifiques pour rappeler la nécessaire évaluation des risques à conduire, mais également pour arguer de la traçabilité de tous les OGM (ce que nient la Commission européenne et les entreprises). Or, les experts européens rappellent dans leur rapport qu’ils s’étaient déjà prononcés sur cette question en 2020 [7]. Ils avaient alors indiqué qu’au vu de publications scientifiques, « les mutations hors-cibles potentielles sont de même nature que les mutations utilisées dans l’amélioration conventionnelle, incluant les mutations spontanées et celles produites lors de mutagénèses physiques et chimiques ». Affirmant que ces mutations hors-cibles sont même moins nombreuses que dans le cas de l’amélioration conventionnelle, les experts avaient conclu que « l’analyse des effets hors-cibles potentiels apporterait très peu d’informations de valeur pour l’évaluation des risques ».

Une éventuelle proposition de la Commission européenne pour un nouvel encadrement réglementaire de nombreux OGM est toujours attendue pour 2023. Alors qu’en 2021, elle annonçait souhaiter que l’évaluation des risques et les requis pour une autorisation soient proportionnés aux risques potentiels présentés par ces OGM, les experts européens viennent de s’acquitter de cette tâche. Ceci malgré sa promesse faite, en 2021, de vouloir maintenir « les objectifs de la législation actuelle [sur les OGM] quant à un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement »… [8]

[1La Directive 2001/18, le règlement 1829/2003 et le règlement 513/2013.

[5Mutagénèse dirigée, cisgénèse et intragénèse sont des techniques visant à modifier le génome d’un organisme vivant d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement. Les modifications génétiques revendiquées par les techniciens peuvent être un changement de lettres du génome (mutagénèse dirigée) ou l’insertion de séquence génétique complète (cisgénèse et intragénèse).

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