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Génome humain : brèche dans l’article 13 de la Convention d’Oviedo

Par Annick Bossu

Publié le 14/12/2022, modifié le 01/12/2023

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La Convention d’Oviedo [1] est une Convention internationale pour la protection des Droits de l’Homme et la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine. Signée à Oviedo, en Espagne, cette convention est entrée en vigueur en décembre 1999. Elle émane du Conseil de l’Europe, gardien des Droits de l’Homme [2]. Elle fait prévaloir les droits humains sur l’intérêt de la société et de la science. C’est le seul instrument juridique international contraignant dans le domaine biomédical. Cependant, tous les pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas ratifiée [3]. A l’aube du 21ème siècle, cette Convention, rendue nécessaire par les évolutions très rapides de la médecine et de la biologie, stipule que celles-ci doivent se faire au bénéfice des générations présentes et futures et sur les plans de l’individu, de la société et de l’espèce [4].

L’article 13 de la Convention d’Oviedo concerne les interventions sur le génome humain : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance ».

La Convention a été ratifiée avant le développement des nouvelles techniques de modifications génétiques qui utilisent des endonucléases [5]. Ces nouvelles biotechnologies rendent possible des interventions sur le génome de l’embryon afin de « corriger » un défaut génétique ou d’apporter une séquence avantageuse. L’article 13 interdit ces interventions aux pays qui l’ont ratifiée. Certains de ces États ont alors demandé une révision de cet article, ce qui est voué à l’échec, vu qu’il faudrait l’accord de tous les pays signataires ! Il a alors été convenu, en 2021, qu’un groupe de travail devait apporter des précisions sur les termes « préventives, diagnostiques ou thérapeutiques ». Les conclusions viennent d’être données par le Conseil de l’Europe. Elles sont appelées « clarifications » [6].

Un problème de définitions

Les clarifications en question précisent ainsi pour les raisons préventives : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain, entreprise à des fins préventives, aura pour but d’éviter l’apparition d’une maladie ou d’un trouble. Les maladies et les troubles (également appelés  » affections  » au paragraphe 90 du rapport explicatif) sont définis conformément aux normes médicales internationalement reconnues. Un exemple de telles normes médicales est fourni par la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé » [7]. Pour les raisons diagnostiques ou thérapeutiques, nous n’en apprendrons pas plus dans les clarifications, le même vocabulaire étant employé dans ces deux autres occurrences.

Le paragraphe 90 du rapport explicatif de la Convention d’Oviedo précise que : « Sont interdites les interventions ayant pour objet de modifier les caractères génétiques ne se rapportant pas à une maladie ou à une affection » [8]. Il s’agit donc de savoir ce qu’est une maladie et une affection. Les recherches sur le site de l’OMS ne permettent pas de distinguer une affection d’une maladie, ce que confirme le dictionnaire médical en France : une maladie ou une affection est une altération de la santé. Le trouble est défini comme altération d’une fonction… A noter que l’OMS, dans son préambule, définit la santé comme un « état de complet bien être physique, mental et social ».

Le site de l’OMS ne dit pas quelles maladies ou affections seront envisagées pour modifier le génome d’un embryon qui, ainsi « soigné » [9], serait transféré à des fins de gestation. Il s’agit bien d’un soin pour l’enfant à naître, une correction de maladie.

Il est par ailleurs curieux que le Conseil de l’Europe fasse appel en ce domaine à l’instance internationale de l’OMS, représentant de nombreux pays dont la plupart n’ont pas ratifié la Convention d’Oviedo.

Prudence mais ambivalence de l’OMS et des instances européennes ?

Dans un rapport de recommandations de l’OMS, nous lisons, concernant la modification génétique des embryons : « D’emblée, il convient de souligner que, malgré tout ce que l’on a appris au cours des deux dernières décennies sur les gènes humains, les génomes et la variation génétique, nos connaissances présentent encore de nombreuses lacunes. De multiples gènes et effets environnementaux peuvent influencer l’incidence et la gravité de nombreux troubles humains ayant une cause génétique sous-jacente ». Et plus loin : « Même pour les maladies communément appelées monogéniques, c’est-à-dire les maladies attribuables au mauvais fonctionnement d’un seul gène, il faudrait disposer de preuves solides du rôle causal d’une variante génétique spécifique avant de procéder à la modification du génome » [10].

Dans un communiqué de presse, en juillet 2021, la Dr Soumya Swaminathan, scientifique à la tête de l’OMS, écrit : « Alors que la recherche mondiale permet d’explorer plus profondément le génome humain, nous devons réduire les risques autant que possible et [d’autre part] tirer parti des moyens offerts par la science pour améliorer la santé de tous, partout dans le monde ». Elle ajoute : « Ces nouveaux rapports du Comité consultatif d’experts de l’OMS représentent un bond en avant dans ce domaine scientifique qui évolue rapidement » [11].

En fait, s’il s’agit de réduire les risques, le principe de la modification génétique des embryons ne semble plus questionné par les experts de l’OMS…

En Europe, dans une déclaration commune publiée en 2020 [12], les comités d’éthique français (CCNE), allemand (Deutscher Ethikrat) et britannique (Nuffield Council on Bioethics) estiment qu’« aucun essai clinique d’application de l’édition du génome transmissible ne saurait avoir lieu tant que la recherche n’aura pas ramené à un niveau acceptable les incertitudes considérables planant actuellement sur les risques d’une utilisation clinique ». Il s’agit donc de s’interroger sur un niveau acceptable de modification génétique.

En France, en mars 2020, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) réitère son opposition à ces techniques dans une perspective transhumaniste d’Homme augmenté, puis précise dans sa conclusion : « Dans le cadre de modifications ciblées du génome, transmissibles à la descendance humaine, l’ampleur des incertitudes techniques et scientifiques quant aux conséquences à court et long termes impose, en l’état, au-delà de la législation française, un moratoire international préalable à toute mise en œuvre » [13]. En Europe non plus, on ne questionne plus le principe de la modification génétique de l’enfant à naître…

Les limites ne sont pas claires encore entre les maladies et les troubles « ayant une cause génétique sous-jacente  » qui pourraient autoriser les modifications du génome de l’embryon transplanté et celles qui ne le pourraient pas. Cela sera-t-il possible un jour, sachant que la plupart des maladies ou troubles ont des causes variées dont certaines inconnues (l’autisme par exemple) ?

Seuls les risques de ces manipulations génétiques sont pour le moment avancés pour les empêcher.

Le flou entoure donc encore cet article 13, dernier rempart dans les pays signataires de la Convention d’Oviedo contre les dérives eugéniques de ces manipulations [14]. L’article 13 a le mérite de protéger encore l’être humain contre des intérêts de la (techno)science, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays qui se permettent de transgresser les interdictions [15].

[2Page « Convention d’Oviedo et ses Protocoles » sur le site Internet du Conseil de l’Europe

[4Rapport explicatif, ibid, pp. 3 et 4

[5Ce sont des constructions moléculaires (à partir d’éléments bactériens) qui peuvent couper l’ADN : Méganucléases, Talens, Nucléases à doigts de Zinc, Crispr/Cas9 et ses dérivés.

[7La dernière classification (CIM11) a été publiée par l’OMS en février 2022.
OMS, « CIM-11 pour les statistiques de mortalité et de morbidité », février 2022

[8Conseil de l’Europe, « Rapport explicatif STE 164 », avril 1997.

[9Ces modifications génétiques relèvent du soin.
Voir : Annick Bossu, « Bioéthique et esprit de la loi : des garde-fous bien fragiles », Inf’OGM, 29 juillet 2021

[10OMS, « Current capabilities for human genome editing : report for the WHO expert advisory committee on developing global standards for governance and oversight of human genome editing », 20 mai 2021. https://rm.coe.int/1680a8e4d1

[14Arthur Caplan, bioéthicien de l’Université de Pennsylvanie (Penn State), cité dans un article publié en 2000 sur https://abcnews.go.com : « Fabriquer des enfants sexuellement deviendra rare […]. De nombreux parents sauteront sur la chance de faire un enfant plus intelligent, plus adapté et plus agréable à voir. Les considérations éthiques seront dépassées par la prise de conscience que la technologie fait de meilleurs enfants. Dans une société de marché exaltant la compétition, les gens voudront donner à leurs enfants un avantage. Ils seront petit à petit habitués à penser qu’un avantage génétique n’est pas si différent d’un avantage d’environnement ». Cet article n’est plus en ligne mais on peut en trouver une trace ici : http://www.gene.ch/info4action/1999/Nov/msg00053.html.

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