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Toxicité du glyphosate : la transgenèse au secours des OGM

Par Denis MESHAKA

Publié le 18/10/2022

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Le glyphosate est utilisé de manière intensive sur les cultures dans le monde depuis la fin des années 90 et la commercialisation des premières plantes génétiquement modifiées (GM – appelées aussi abusivement « plantes OGM »). Les résidus de cet herbicide s’accumulent dans les plantes développées pour le tolérer et affectent leurs fonctions physiologiques et leur rendement. Pour résoudre ce problème, des scientifiques proposent d’appliquer… la transgenèse.

Le glyphosate est l’agent actif de plusieurs herbicides (Roundup) développés et vendus historiquement par Monsanto, entreprise rachetée par Bayer en juin 2018. Plusieurs entreprises ont ainsi modifié génétiquement des espèces pour qu’elles « tolèrent » des pulvérisations d’herbicides à base de glyphosate. Ainsi, lorsqu’ils sont pulvérisés sur ces cultures, ces dernières sont les seules à survivre. C’est donc un outil très pratique pour traiter les adventices – nom savant des « mauvaises herbes  » – sur des milliers d’hectares.

L’introduction des plantes transgéniques tolérantes au glyphosate dans l’agriculture a induit un usage accru des herbicides qui en contiennent partout dans le monde. Outre leurs effets toxiques sur l’environnement (pollution des plantes, des sols et des rivières, etc.), leur utilisation pose un problème agronomique. Les résidus de glyphosate (les produits issus de sa dégradation) s’accumulent dans ces plantes transgéniques, particulièrement dans les tissus méristématiques [1] et les graines. Cette accumulation affecte leurs fonctions physiologiques et leur rendement.

Une équipe de chercheurs indiens a décrit en juillet 2022 une méthode qui permettrait de développer des plantes tolérant le glyphosate avec un contenu résiduel diminué [2], notamment en AMPA (acide amino methyl phosphonique). L’AMPA est un métabolite primaire et phytotoxique de cette molécule qui tend à s’accumuler dans le sol [3]. Cette méthode met en œuvre… la transgenèse.

La transgenèse au chevet des OGM

Pour détoxifier les plantes accumulant le glyphosate, l’étude propose une modification multigénique permettant la co-expression de deux à trois enzymes : PsAKR1, mGO et CP4EPSPS [4]. Dans le tabac ainsi modifiée, ces enzymes permettent “ une accumulation réduite d’acide shikimique, de glyphosate et de son résidu primaire, l’AMPA, et que des niveaux accrus de sarcosine ”. Un tabac ainsi génétiquement modifié aurait de nombreux avantages : meilleure bio-efficacité contre le glyphosate, pourcentage de germination constant, croissance et teneur en chlorophylle plus élevées. De même, un riz ainsi modifié, aurait un niveau de tolérance au glyphosate supérieur aux plantes contrôle avec un impact moindre sur le processus physiologique de la plante et ce, sans effet sur le rendement. L’étude conclut que la co-expression de gènes multiples mettant en œuvre deux mécanismes différents de détoxification – enzymes de dégradation et de CP4EPSPS insensible au glyphosate – pourrait fournir une nouvelle stratégie alternative pour développer des cultures tolérant le glyphosate avec une phytotoxicité réduite dans les plantes.

Une « mise en abîme » de la modification génétique

On peut s’interroger sur le rationnel de ces types de constructions multigéniques. Certaines d’entre elles ne seraient-elles pas susceptibles de générer à leur tour plusieurs sous-produits des réactions de dégradation enzymatique ? Le cas échéant, comment faudrait-il gérer la potentielle toxicité pour l’environnement de tels sous-produits qui peuvent s’accumuler dans la plante ou dans les sols ?

La modification multigénique proposée par l’équipe indienne ne serait en outre pas d’une efficience absolue. Après traitement au glyphosate, le taux d’AMPA est décrit comme « significativement plus faible » dans les plantes contrôles que dans les transgènes multigéniques, mais ce résidu phytotoxique y est toujours produit. Le problème n’est par conséquent pas réglé. Et cette solution peut même générer des effets pervers (effet rebond) comme celui de s’autoriser à augmenter les doses de glyphosate sur des cultures bénéficiant d’une telle technologie.

Cette « mise en abîme » de la transgenèse souligne l’absurdité des approches agronomiques qui développent des OGM sans anticiper de possibles répercutions. L’agro-industrie prétend contrôler, via les OGM, les quantités d’intrants chimiques introduits dans l’environnement. Mais peut-on rationnellement évoquer la notion de « contrôle » lorsqu’on élève encore le degré d’artificialisation des plantes comme le propose l’étude indienne précitée ? Au lieu de développer des solutions biotechnologiques visant à compenser le déversement de glyphosate sur les cultures à l’échelle mondiale, peut-être faudrait-il simplement supprimer de tels intrants et soutenir une approche agroécologique et paysanne capable de quasiment s’affranchir de « contrôle humain ».

La nocivité du modèle OGM-herbicide

Depuis une trentaine d’années, les laboratoires de recherche développent de nombreux OGM tolérant des herbicides, autres que le glyphosate, dont plusieurs sont commercialisés. On peut citer ceux tolérant le glufosinate (Bayer), le dicamba (Bayer) ou l’acide 2,4 dichlorophenoxyacetique (Corteva).

En 2019, 88 % des cultures OGM dans le monde tolèrent des herbicides [5]. D’autres duos OGM-herbicide peuvent donc, en théorie, soulever des problèmes de toxicité similaires à celui évoqué ci-dessus avec le glyphosate. La multiplication de la modification génétique de divers OGM pour contrôler la toxicité de ces herbicides, de leurs résidus ou de leurs métabolites n’est par conséquent pas à exclure.

Le glyphosate toujours sur la sellette


En Europe, la décision de continuer ou pas à autoriser le glyphosate en agriculture sera finalement prise en juillet 2023 à l’issue de l’étude menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Aesa/ Efsa) et par l’Agence européenne des produits chimiques (Aepc/ Echa) [6]. Son maintien est a priori en bonne voie puisque l’Echa concluait en mai 2022 que « le glyphosate n’est ni cancérogène, ni mutagène, ni toxique pour la reproduction, que ce soit de manière avérée (niveau de preuve le plus élevé) ou seulement supposée (niveau de preuve intermédiaire) ».

Le report de la décision est dû au « nombre sans précédent d’observations » reçues par l’Efsa et l’Echa, notamment de la part d’experts des États membres. L’Efsa veut « prendre en considération » ces contributions pour conclure sur « tous les risques possibles de l’exposition au glyphosate pour les animaux, les humains et l’environnement ». Stella Kyriakides, commissaire à la Santé, a affirmé qu’ « il est extrêmement important que toutes les nouvelles preuves soient soigneusement examinées et prises en compte » en rappelant que « les pesticides dont l’innocuité n’a pas été démontrée sont interdits » dans l’Union européenne [7]. Cette posture contraste avec les confits d’intérêts de l’Efsa autour du glyphosate révélés entre autres par les « Monsanto papers ». L’agence européenne avait, en effet, jugé l’herbicide « non cancérogène », après avoir partiellement copié-collé dans son rapport d’expertise le dossier fourni par la Glyphosate Task Force, menée par Monsanto [8].

Le 21 juin 2022, la Cour Suprême des États-Unis a définitivement condamné Bayer à verser 25 millions de dollars à un agriculteur américain diagnostiqué d’un lymphome en 2015 [9]. L’agrochimiste allemand est aujourd’hui poursuivi en justice pour 30 000 plaintes similaires [10].

[1« Un méristème est un groupe de cellules végétales indifférenciées qui ont la capacité de se diviser par mitose un nombre indéfini de fois », voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9rist%C3%A8me (consulté le 7 octobre 2022).

[4AKR1 : Pseudomonas subtilis Aldo-keto reductase, mGO : modified Glycine Oxidase et CP4EPSPS : 5-enolpyruvylshikimate3-phosphate synthase.

[5Kim, J. (2022). « Worldwide patent trend analysis of herbicide-resistant genes », Plant Biotechnology Reports, Volume 16, pages 509 – 518.

[6Autorité européenne de sécurité des aliments, Glyphosate : l’EFSA et l’ECHA mettent à jour le calendrier d’évaluation, 10 mai 2022.

[8La rédaction du Monde, « Quelles suites depuis l’enquête « Monsanto Papers », sur les pratiques de l’entreprise pour défendre le glyphosate ?  », Le Monde, 16 septembre 2022, (consulté le 18 octobre 2022).

[9de Briant, L., « Bayer condamné à verser 25 millions de dollars à un utilisateur du Roundup de Monsanto aux Etats-Unis », L’Usine Nouvelle, 22 juin 2022, (consulté le 18 octobre 2022)

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