n°169 - octobre / décembre 2022

Science ou propagande scientifique ?

Par Charlotte KRINKE, Annick Bossu

Publié le 14/10/2022

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Napoléon : – Giuseppe, que ferons-nous de ce soldat ? Tout ce qu’il raconte est ridicule.

Giuseppe : – Excellence, faites–en un général : tout ce qu’il dira sera tout à fait sensé.
 [1]

« Il est bien plus facile de vendre de la peur que de la science » dit-on dans le film américain « Food Evolution ». En France, la dernière loi de programmation pluriannuelle de la recherche propose de renforcer la place de la science dans la société. Mais de quelle science parle-t-on ? Quels sont les dispositifs mis en œuvre pour communiquer et par qui sont-ils élaborés ?

Pour nos dirigeants, la technologie est notre planche de salut face aux désordres terrestres. Alors que cette promesse est de plus en plus contestée, le politique compte bien fabriquer l’adhésion des citoyens à la science. S’il est loin d’être le seul, le rapport annexé à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche 2021-2030 (LPPR) en est un exemple éclairant [2] [3]. Motivé par « un besoin urgent de science » pendant l’épidémie de Covid, il constate qu’il y a « depuis plusieurs années […] une remise en cause dans les démocraties occidentales de la parole scientifique et des apports de la science ». Le remède ? Instaurer « une politique active en faveur de la parole scientifique […] pour lui redonner le crédit qu’elle mérite ». Mais de quelle parole scientifique s’agit-il ? Et quelle place la volonté de contrôler la parole scientifique laisse-t-elle à la controverse scientifique inhérente à la science ?

Un contenu habilement réfléchi

Dans le rapport de la LPPR, la démarche scientifique est détaillée et l’analyse critique est présentée comme une étape nécessaire à la science. Les ambitions de la science dite « fondamentale » dans le domaine du vivant sont exposés et la complexité du vivant est décrite.

Mais rapidement, sans chercher à en comprendre les causes, le rapport affirme que la « perte de crédit de la parole scientifique se fait d’autant plus ressentir que les réseaux sociaux, en particulier, amplifient fortement l’audience de discours contestataires ou complotistes et de fausses informations, notamment sur des sujets comme la vaccination ou le changement climatique ». Il prend ensuite l’exemple de la « place disproportionnée occupée par quelques voix climato-sceptiques dans les médias anglo-saxons ». Qui sont ces voix ? Le rapport ne précise pas s’il s’agit de scientifiques contestataires, de manipulateurs, d’idéologues. Or, ce flou entretient une confusion entre la controverse scientifique et le « complotisme ». Quant aux ambitions scientifiques, elles opèrent un glissement. La recherche française, précise le rapport, doit relever le défi de « (p)rotéger et valoriser la biodiversité, accompagner la transition de l’agriculture ». A ce titre, « (i)l s’agit d’abord de comprendre la richesse et l’équilibre des écosystèmes pour les préserver. Mais c’est aussi une opportunité pour identifier des processus biologiques utilisables et améliorables. L’enjeu est de faire évoluer nos sociétés vers une économie plus vertueuse, utilisant des biotechnologies ou des approches systémiques innovantes pour une agriculture sans pesticides, la remédiation des milieux pollués, des alternatives aux plastiques, des ressources renouvelables, etc. ». L’orientation de la science officielle est clairement économique et repose sur la croyance que le vivant est maîtrisable. La science officielle permet ainsi de justifier la promotion politique des innovations technologiques. Les citoyens sont censés adhérer de facto à la « parole scientifique », c’est-à-dire à des arguments d’autorité habilement présentés.

D’après le rapport de la LPPR, les technologies numériques « ont ouvert la voie à une manipulation sans précédent de l’information. Elles ont servi de vecteur à une mise en cause du discours scientifique… ». Mais cette présentation n’est-elle pas justement de la manipulation d’information par ceux qui la dénoncent ? Et les scientifiques qui tentaient d’évacuer la contestation des OGM en disant « Il est bien plus facile de vendre de la peur que de la science » ne nous ont-ils pas vendu la peur lors de la crise sanitaire ? L’obscurantisme n’est pas toujours forcément là où on le croit. Ce sont bien souvent les associations militantes qui demandent plus d’évaluations scientifiques, y compris pour les OGM. Ainsi, qui demande plus d’évaluation des OGM, plus d’analyses des eaux, des impacts des antennes relais, etc. ? Les associations militantes…

Des moyens tout azimuts

Le rapport de la LPPR considère que pour toucher l’ensemble de la société, il faut « une évolution de la posture des scientifiques dans leur relation avec les citoyens, ils ne peuvent plus se contenter d’affirmer une parole scientifique qui serait reçue comme une vérité descendante par des citoyens passifs, ils doivent s’engager dans un véritable dialogue ». La forme change mais pas le message. Le but étant de transmettre « une information de qualité »… Certains chercheurs seraient même réquisitionnés pour étudier les préjugés des citoyens sur la science. Pour les réorienter par la suite ?

Parmi les nombreuses solutions envisagées pour porter la bonne parole scientifique, la plus emblématique est la création d’un « réseau Sciences et Médias », comme d’autres pays l’ont déjà fait. Son rôle ? « Permettre la mise en contact rapide entre journalistes et chercheurs, favoriser l’accès des citoyens à une information scientifique fiable ». Ainsi, « un prêt à penser  » scientifique serait transmis aux journalistes. Ce projet est porté en France par des politologues, des prix Nobel, des membres de l’Académie des sciences, des parlementaires… pour qui « la culture scientifique est à reconquérir » et qui soutiennent les innovations technologiques en de nombreux domaines.

L’État estime donc que le journalisme doit céder la place à la communication. Et cela n’a rien de rassurant dans un contexte de précarisation croissante du métier de journaliste et de pressions sur les médias [4].

Certains groupes industriels exploitent ce contexte et, par l’intermédiaire d’agences de communication, passent commande auprès de pigistes pour qu’ils écrivent des articles allant dans leur sens. Sous couvert de journalisme sont ainsi publiées de fausses informations sur des sites spécialisés, alternatifs ou des blogs de médias reconnus, comme l’a révélé le journal Fakir en mai 2022 [5]. L’autorité de la « science » est elle aussi instrumentalisée, car ces articles sont, soit disant, rédigés par des experts : en économie, en géopolitique de l’énergie, en santé, en nouvelles technologies… Un pigiste s’est ainsi trouvé chargé de rédiger des articles sur le glyphosate en décrédibilisant le Centre international de recherche sur le cancer…

La propagande peut aussi venir de certains scientifiques qui, soucieux d’obtenir des financements pour leurs recherches, se hâtent de faire passer les résultats de leurs essais limités au champ comme des résultats réplicables en culture intensive. Ainsi, deux études ont récemment annoncé qu’un riz et un soja génétiquement modifiés pour une photosynthèse améliorée verraient leurs rendements augmenter de l’ordre de 30 % ! Les auteurs affirment même que cela permettra de « soutenir la sécurité alimentaire mondiale future ». Comme d’autres scientifiques l’ont démontré par la suite, de nombreux biais expérimentaux faussaient ces résultats. Mais un grand nombre de médias ont repris ces effets d’annonce, propageant une information fallacieuse [6].

Ainsi faudrait-il effectivement acculturer tout un chacun à la science, mais une science plurielle, complexe, sans arrêt requestionnée d’un point de vue de son essence et de son éthique, et non à la seule science utilitariste imposée par les marchés.

[1Propos recueillis dans le livre de N. Baillargeon : Petit cours d’autodéfense intellectuelle, page 68.

[4Fonds pour une Presse Libre, Appel : « Patrick Drahi ne nous fera pas taire ! », 10 octobre 2022

[5Julien Fomenta Rosa, « Moi, journaliste fantôme au service des lobbies… », Fakir n°103, 19 mai 2022

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