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Commercialisation des semences : défendre des droits paysans

Par Amélie Hallot-Charmasson

Publié le 12/07/2022

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La Commission européenne a engagé un processus visant à changer la réglementation européenne sur la commercialisation semences. Objectif : formuler des premières propositions fin 2022. En attendant, de nombreuses consultations des différents acteurs concernés ont eu lieu. Le Réseau semences paysannes (RSP) rend compte dans cet article des positions des principaux réseaux européens de semences et de leurs partenaires, qui défendent la souveraineté des paysans sur leurs semences.

La reforme de la législation de la commercialisation des semences [1] suit son cours [2] [3]. Nous en sommes maintenant à la phase d’étude d’impact proprement dite. Et qui dit étude d’impact, dit consultations, que ce soit du public, des « parties prenantes » et des États membres. Ce volet « consultation publique » a été confié au cabinet international de consultance ICF et se décline en plusieurs modalités, plus ou moins ouvertes.

Nombreuses consultations

D’une part, une consultation ouverte à toutes et tous par le biais d’un questionnaire disponible sur le site de la Commission européenne, qui s’est déroulée du 21 décembre 2021 au 27 mars 2022. D’autre part, une étude ciblée visant à recueillir des avis sur des aspects techniques spécifiques des options pour cette révision et sur les impacts potentiels. Les personnes ou organisations intéressées à participer à ces enquêtes et entretiens supplémentaires étaient invitées à se manifester auprès du cabinet de consultance, pour des entretiens réalisés dans les mois de février – avril 2022.

Durant cette période, ICF a aussi contacté un certain nombre d’acteurs du monde de la semence (dont le RSP et la coordination européenne Let’s Liberate Diversity – LLD), pour répondre à un entretien guidé [4]. Objectif : recueillir des informations sur les impacts que pourraient engendrer les changements envisagés dans la législation.

Enfin, début 2022, ICF a mené une étude sur le cas français de l’entraide agricole [5], pour laquelle le RSP et d’autres organisations agricoles (dont la Confédération paysanne) ont été interrogés. L’objectif pour la Commission était de mieux comprendre l’utilisation faite par les agriculteurs de cette pratique, et ses éventuels impacts.

À travers ces différents volets, et en particulier les questions posées aussi bien dans le questionnaire public que dans les entretiens ciblés, on peut se faire une idée de ce que la Commission a derrière la tête (ou du moins, des options qu’elle considère sérieusement) : création d’un cadre spécifique pour l’échange de semences du domaine public entre agriculteurs, exemption des « réseaux de conservation » du champ d’application de la réglementation, exemption de l’obligation d’enregistrement au Catalogue pour la fourniture de semences à des jardiniers amateurs, introduction d’un critère de durabilité dans le cadre des examens pour l’inscription au Catalogue, utilisation des techniques bio-moléculaires pour l’examen DHS [6] des variétés, incorporation dans ce nouveau règlement de la commercialisation des semences, des obligations et procédures du règlement sur les contrôles officiels de la chaîne alimentaire…

On peut saluer les efforts faits pour toucher des acteurs d’horizons divers. Cependant, la longueur et la complexité des questionnaires (parfois de plusieurs dizaines de pages), avec des questions toutes plus techniques les unes que les autres, n’étaient pas forcément propices à favoriser la participation. De même, on peut dénoncer le prisme économique et l’orientation très « marché » des questions posées, qui sont loin de refléter les intérêts et les besoins des différents acteurs œuvrant à la défense de la biodiversité cultivée.

La consultation publique, qui s’est achevée le 27 mars 2022, n’a certes pas rencontré autant de succès que celle concernant le projet de réforme de la réglementation des nouveaux OGM [7]. Mais elle a tout de même suscité plus d’intérêt que la première consultation du public [8], qui n’avait recueilli que 66 contributions ! Cette fois-ci, 2449 avis ont été déposés, dont environ 78 % (1908 réponses) proviennent de personnes physiques. En tête, les suédois avec 1685 réponses [9] (soit 69 %) ! Les Français, pourtant troisièmes, font figure de petits joueurs, avec leurs 140 contributions (6 %). Suite à un atelier organisé lors de l’AG 2021 du RSP, un groupe de travail a élaboré un document support afin d’aider les membres à répondre à cette consultation [10]. Construit collectivement, ce document n’avait pas vocation à constituer un positionnement commun du RSP. Il donnait simplement des pistes de réflexion pour que les membres et partenaires du RSP puissent porter leur propre plaidoyer.

Mettre à part les réseaux de conservation de semences

Les contributions n’ont pas été rendues publiques, mais nous avons avoir pu avoir connaissance de celles d’organisations de défense des droits des paysans et de la biodiversité cultivée (disponibles notamment sur le site de LLD [11]). Malgré des particularités et des points de vue variés liés à la diversité des sensibilités et à des contextes nationaux différents, quelques points sont récurrents. D’ailleurs, ces derniers rejoignent souvent ceux mis en avant par le RSP dans son document de réflexion.

La plupart des organisations (dont le réseau espagnol Red de Semillas [12], les Danish Seed Savers [13], la coordination européenne Via Campesina (ECVC) [14], l’Académie de Genève [15], Brot für die Welt [16]…) estiment que cette révision serait l’occasion de mettre véritablement en place les droits des paysans sur leurs semences. Ces droits sont reconnus par le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (Tirpaa) [17] et l’Undrop [18], et en particulier le droit pour les agriculteurs à faire circuler librement leurs semences. Cela pourrait passer, comme le revendique ECVC, par l’exclusion explicite des systèmes semenciers paysans du champ d’application de la réglementation commercialisation (c’est à dire de l’obligation d’inscription au Catalogue, de l’enregistrement comme opérateurs et des obligations associées, notamment des autocontrôles sous contrôle officiel…) ; éventuellement assortie de la mise en place d’un cadre juridique spécifique pour les échanges des semences entre agriculteurs, à l’instar de celui existant en France avec l’entraide agricole. Pour l’Académie de Genève, la future réforme doit revoir le régime des « variétés de conservation » (liste c) et « variétés sans valeur intrinsèques pour la commercialisation » (liste d) afin que le marché réponde aux besoins des paysans d’avoir accès à des variétés populations adaptées aux conditions locales. Dans le même esprit, l’Académie suisse ainsi que Red de Semillas, ou encore Arche de Noah [19] et ECVC, plaident pour l’extension du régime du matériel hétérogène biologique [20] à l’agriculture non certifiée bio.

Il est aussi souvent demandé d’exclure du champ d’application des directives commercialisation les « réseaux de conservation de la biodiversité » et leur permettre de faire circuler (don, échange ou vente) des semences de variétés non inscrites au Catalogue.

Tous insistent sur ce besoin de limiter strictement la définition de « commercialisation » aux activités commerciales visant les utilisateurs professionnels de semences et d’exclure explicitement la vente à des jardiniers amateurs, l’échange de semences entre amateurs et paysans et toutes les activités de conservation et de sélection à la ferme. Les Danish Seed Savers précisent que les autorités danoises ont adopté le texte actuel en limitant le champ d’application des directives au seul « usage commercial », entendu comme la vente de semences pour la production agricole et horticole. Cette limitation découle du texte de toutes les directives actuelles qui ne concernent que la commercialisation, le stockage,… de semences ou plants « en vue d’une exploitation commerciale ». Cette lecture a, selon eux, eu un impact très positif sur leur travail et a conduit à l’augmentation du nombre de petites entreprises danoises de semences.

Remise en cause des droits de propriété intellectuelle

L’ensemble des contributions se rejoignent aussi sur la remise en cause des droits de propriété intellectuelle, qu’il s’agisse de certificats d’obtention végétale (COV) ou de brevets. ECVC demande en particulier une information obligatoire sur tout droit de propriété intellectuelle couvrant un matériel de reproduction des végétaux commercialisé. De même, les différents acteurs insistent sur la nécessité d’étiqueter les OGM, anciens ou nouveaux, en tant que tels, notamment à travers une exigence de transparence sur les procédés de sélection.

Autre point rassembleur, l’importance de laisser une marge de manœuvre aux États pour adapter la réglementation aux conditions nationales particulières, ainsi que la nécessité d’aménager des règles sanitaires adaptées et proportionnées aux différents acteurs, afin de ne pas entraver le travail de préservation de la biodiversité cultivée.

Les contributions sont très critiques sur la possibilité évoquée par la Commission d’ajouter un critère de durabilité pour l’inscription d’une variété au Catalogue officiel. Car, comme le pointe la contribution d’ECVC, ce sont les systèmes agraires qui sont ou ne sont pas durables, pas les variétés en tant que telles !

Enfin, nombreuses sont les contributions qui soulignent que le système de contrôle de la qualité des matériels de reproduction des végétaux doit rester public. Elles s’élèvent aussi contre l’utilisation des techniques bio-moléculaires dans l’examen des variétés, qui relèvent d’une vision simpliste du vivant et sont à même de conduire à son appropriation par des brevets et à son contrôle par les outils numériques.

Reste à savoir comment ces propositions seront retransmises à la Commission, et surtout, si celle-ci leur prêtera une oreille attentive…

[1Ou plus précisément de « matériel de reproduction des végétaux » (MRV), comme on dit en bon jargon juridico-européen.

[3RSP, « Les Actualités Juridiques », juin-août 2021

[4Entretien mené par un consultant, où les questions sont préétablies et validées par la Commission, et communiquées à l’avance à la personne entendue afin qu’elle puisse préparer ses réponses. Si l’exercice est assez encadré, il permet tout de même un certain dialogue.

[5L’entraide agricole se définit comme un contrat à titre gratuit réalisé par des agriculteurs par des échanges de services en travail ou en moyens d’exploitation (art. L.325-1 du Code Rural). Depuis la loi biodiversité de 2016, les agriculteurs peuvent échanger dans ce cadre des semences de variétés du domaine public, y compris des variétés non inscrites au Catalogue officiel.

[6Distinction, Homogénéité et Stabilité, les trois critères que doivent remplir les variétés pour pouvoir être inscrites au Catalogue officiel des variétés.

Inf’OGM, « Qu’est-ce qu’une variété distincte, homogène et stable ? », Inf’OGM, 30 mars 2017

[9Il faut dire qu’ils avaient mis en place une campagne (apparemment) efficace sur les réseaux sociaux, afin d’inciter les citoyens à participer.

[14European Coordination Via Campesina, « Complementary document : public consultation on PRM marketing rules », LLD, février 2022

[17L’article 9 du Tirpaa incite les gouvernements à promouvoir les droits des agriculteurs, dont notamment les droits « de participer équitablement au partage des avantages découlant de l’utilisation des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ; et de participer à la prise de décisions, au niveau national, sur les questions relatives à la conservation et à l’utilisation durable des ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture ».

[18L’article 9 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans (UNDROP) reconnaît notamment à ces derniers le « droit de conserver, d’utiliser, d’échanger et de vendre des semences de ferme ou du matériel de multiplication » et celui de « perpétuer, de contrôler, de protéger et de développer leurs semences et leurs savoirs traditionnels ».

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