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OGM : des bases de données alimentent la confusion

Par Eric MEUNIER

Publié le 07/07/2022

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Depuis l’automne 2021, la Commission européenne a lancé une initiative légale afin de réfléchir à un nouvel encadrement des organismes modifiés génétiquement par « mutagénèse dirigée et cisgénèse ». Quels OGM seront concernés exactement ? Deux bases de données européennes, analysées par Inf’OGM, donnent une des réponses possibles, à savoir une lecture très large des produits qui ne seraient pas OGM.

La base de données EUGinius [1] a été créée par l’Université de Wageningen, aux Pays-Bas, et par le ministère allemand de la protection des consommateurs et de la sécurité alimentaire. Elle enregistrait, au 29 juin 2022, 870 OGM, végétaux ou animaux. Elle fournit pour chacun d’entre eux diverses informations, parmi lesquelles l’entreprise ou l’institut de recherche l’ayant mis au point, un descriptif des modifications génétiques opérées et les outils utilisés, les différentes séquences génétiques, les méthodes de détection et d’identification.

Selon EUGinius, 52 OGM ont été obtenus par « édition de génome »

Cette base a aussi pour particularité de lister 52 organismes génétiquement « édités », reprenant ainsi le vocable des entreprises. Quand elle parle d’organismes génétiquement « édités », EUGinius entend des organismes « développés grâce aux nouvelles techniques (NGT) et sans insertion d’ADN étranger ». Une définition qui n’a aucune base juridique, les organismes génétiquement « édités » étant des OGM.

Aucun de ces 52 organismes n’est autorisé dans l’Union européenne. Concernant d‘éventuelles autorisations commerciales ailleurs dans le monde, EUGinius ne les répertorie pas. En termes de plantes, il s’agit surtout de maïs, pomme de terre, colza, soja ou autres riz, tomate, blé (voir tableau ci-dessous)… Pour les caractéristiques, il s’agit aussi bien de tolérance à des herbicides, de caractéristiques insecticides ou de résistance à des parasites que de composition modifiée, floraison décalée (voir tableau ci-dessous)… Enfin, les acteurs impliqués varient un peu par rapport à ceux des OGM transgéniques. Les développeurs sont les habituels Corteva, Dow AgroScience, Dupont, mais également Calyxt, Cibus, Intrexon…

Sur base de ces données, on pourrait être tenté de croire que les organismes issus de nouvelles techniques de modifications génétiques ont des caractéristiques élargies et sont mis au point par plus d’acteurs que ceux des OGM transgéniques. Ceci est un trompe-l’œil. Les OGM « édités » et enregistrés dans cette base de données sont ceux « qui pourraient devenir pertinents pour le marché » même s’il est « difficile d’obtenir des informations permettant de savoir si un organisme a été développé à des fins commerciales ». Les responsables de la base considèrent qu’un OGM édité est potentiellement commercialisable en fonction du « caractère introduit, des demandes faites [auprès de certaines autorités d’autorisation] ou enregistrement (au Japon par exemple), des développements avancés (essais en champs), des annonces de commercialisation à venir par le développeur ». Mais nombre de ces OGM pourraient donc ne jamais faire l’objet d’une commercialisation.

Des bases de données de preuves de concept ?

Une lecture rapide pourrait donc faire croire aux autorités compétentes et utilisateurs privés de cette base que les nouvelles techniques sont de plus en plus utilisées pour produire des OGM commercialisés. Elle n’est pas la seule à entretenir ce flou. Un exemple frappant est la base de données mise en ligne par le lobby EUSage.

La base de données EUSage [2], maintenue par un collectif pro-OGM et accessible en ligne, liste les articles scientifiques qui montrent la faisabilité d’une modification génétique dans telle ou telle espèce via un des nouveaux outils de modification génétique. Les responsables de cette base expliquent ainsi « informer de manière transparente les communautés de parties prenantes intéressées des dernières données concernant les applications de l’édition du génome dans les cultures ». À cette fin, « une recherche documentaire dans les bases de données bibliographiques et les pages web des agences gouvernementales a été effectuée en utilisant des requêtes prédéfinies (…) Les brevets n’ont pas été examinés ». Elle mentionne ainsi 571 OGM issus d’articles scientifiques sélectionnés avec comme « critère principal (…) que l’article de recherche doit décrire une étude de recherche sur toute culture développée pour une production agricole orientée vers le marché à la suite d’une édition du génome ». Selon cette base, la caractéristique de tolérance aux herbicides est minoritaire avec 45 OGM sur 571 listés. Les autres caractéristiques affichées concernent la qualité nutritionnelle (124 OGM), le rendement végétal (116 OGM) ou encore la tolérance à des stress biotiques (parasites) (92 OGM).

Mais, il s’agit ici d’OGM dont la preuve de concept a été apportée par des articles scientifiques. Il ne s’agit pas d’OGM pour lesquels une demande d’autorisation serait en cours, voire aurait été donnée. On est donc ici dans l’économie de la promesse et non dans l’économie réelle.

On peut aussi observer dans cette base une classification erronée de certains OGM. Comme la base de données EUGinius, cette base liste par exemple un maïs de Dupont Pioneer, le maïs ARGOS8. Affiché comme étant obtenu par « édition du génome », la réalité est pourtant toute autre. Ce maïs ARGOS8 a été fabriqué de manière (très) complexe. Premièrement, un transgène a été bombardé sur des cellules isolées et multipliées in vitro. Une fois intégré au génome, ce transgène code pour un complexe Crispr/Cas9 qui va couper le génome. Deuxièmement, une construction cisgénique (issue de séquences génétiques de maïs), a également été bombardée. et doit s’insérer au site de coupure fait par Crispr/Cas9. Une fois des plantes régénérées et sélectionnées, plusieurs croisements ont été réalisés pour ne retenir que les plantes sans le transgène.

Légalement, ce maïs est un OGM au sens de la directive 2001/18 puisqu’il s’agit a) d’un OGM cisgénique obtenu à partir d’un OGM transgénique, ainsi qu’au sens du règlement 1829/2003 puisqu’il s’agit :

a) d’un OGM réglementé et

b) d’un aliment obtenu à partir d’OGM. 

Mais les deux bases de données, EUGinius et EUSage, le classent comme maïs génétiquement édité obtenu par Crispr/Cas9. La Commission européenne pourrait être tentée de faire de même en le déclarant « cisgénique » uniquement et donc potentiellement couvert par l’initiative légale qu’elle a initiée à l’automne 2021.

Nous l’avons vu, pour la base EUSage, 571 OGM obtenus par de nouvelles techniques ont été sélectionnés avec comme critère que l’article de recherche qui tient lieu de preuve de concept doit décrire « une étude de recherche sur toute culture développée pour une production agricole orientée vers le marché à la suite d’une édition du génome ». Si elle permet de gonfler artificiellement le nombre d’organismes modifiés génétiquement, cette approche de commercialisation possible est de fait très théorique. Car, comme nous l’avons déjà vu dans nos colonnes avec les OGM transgéniques [3], la différence entre les OGM testés aux champs et ceux effectivement commercialisés est grande : plus de 60 cultures testées entre 2003 et 2020 contre quatre cultures cultivées commercialement…

Les 52 organismes « génétiquement édités » listés par EUGinius
Les organismes modifiés 9 maïs, 6 pommes de terre, 5 riz, 4 colzas, 4 sojas, 3 tomates, 2 blés, 2 salades, 1 cameline, 1 orange, 1 orge, 1 manioc, 1 banane, 1 tabac, 1 avocatier, 1 sétaire verte (une graminée), 1 thlaspi arvense (une brassicacée dont l’huile est destiné à la production d’agrocarburant), 1 raisin, 2 champignons, 1 vache, 1 cochon, 3 poissons
Les caractéristiques 13 modification de la croissance / du rendement / de la qualité

13 résistance à des pathogènes (bactéries, virus, champignon…)

11 modification de composition (amylose, acide gras…)

6 réduction du brunissement

4 tolérance à des herbicides

2 tolérance à la salinité

1 tolérance à la sécheresse

1 tolérance au froid ou au chaud

1 résistance à des toxines de champignon

1 modification de l’absorption d’arséniate

1 modification de l’architecture des pousses
Les acteurs Acceligen, AquaBounty Technologies, Intrexon, Benson Hill Biosystems, Calyxt, Cibus US, Corteva Agriscience, DOW AgroSciences, DuPont Pioneer, Pioneer Hi-Bred International, Genus plc, Intrexon, J.R. Simplot, Pioneer HiBred International, Regional Fish Institute, Sanatech Seed Co., Soil Culture Solutions, ToolGen, Yield10 Bioscience.

[1Base de données EUGinius (visitée le 6 juillet 2022).

[2Base de données EUSage (visitée le 6 juillet 2022).

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