Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, aura tenu parole. Dès le premier jour de son mandat, il avait promis de « libérer » les OGM dans l’agriculture et l’alimentation des réglementations européennes jugées étouffantes et disproportionnées. Après l’adoption, par voie réglementaire, de règles plus souples pour les essais en champ [1], un projet de loi a été présenté à la Chambre des communes le 25 mai 2022 pour assouplir les règles concernant la dissémination des OGM dans l’environnement (commercialisation et recherche) [2].
Le discours de la Reine, prononcé en son nom quelques jours plus tôt par le Prince Charles, présentait les objectifs visés par ce projet de loi. Le Prince Charles a ainsi déclaré que « (m)es ministres encourageront l’innovation agricole et scientifique chez nous. La législation libérera le potentiel des nouvelles technologies pour promouvoir une agriculture et une production alimentaire durables et efficaces » [3]. Une déclaration vague pour un projet de loi aux lourdes implications mais truffé d’imprécisions.
Une nouvelle catégorie juridique pour des OGM qui ne seraient pas des OGM
Le projet de loi, dont les règles ne s’appliqueront qu’à l’Angleterre [4], vise à faire sortir du champ de la législation OGM certains OGM pour lesquels est créée une nouvelle catégorie juridique : les « organismes issus de sélection de précision » (« precision bred organisms » ou « PBOs »), végétaux ou animaux. Un néologisme de plus dédié à noyer le poisson, après les « NBT » et autres techniques d’édition de gène.
Ces OGM relèveront de règles spécifiques moins contraignantes. Mais les contours de cette nouvelle catégorie juridique sont flous. Le projet de loi définit les « organismes issus de sélection de précision » comme des organismes dont les caractéristiques du génome auraient pu résulter d’un "processus traditionnel" ou d’une "transformation naturelle" [5], sans pour autant définir clairement ces notions ni de quelles caractéristiques il s’agit [6]. La définition est très large et met l’accent sur les caractéristiques du produit final, sans égard aux techniques utilisées pour l’obtenir. Une manière de se démarquer clairement de la réglementation OGM de l’Union européenne qui, jusqu’à présent, définit les OGM par les procédés de modification génétique utilisés.
Pour Pat Thomas, directrice de l’association Beyond GM [7], l’emploi de l’expression « sélection de précision » est une manœuvre pour éviter que soient associées à ces OGM prétendus d’un genre nouveau les questions scientifiques, éthiques et environnementales que la population se pose à propos des OGM. Elle insiste sur le fait que l’expression, peu connue et peu comprise du grand public, trouve son origine dans le marketing et non dans la science [8]. D’ailleurs, des sociétés savantes, comme le Nuffield Council on Bioethics, le Roslin Institute et l’Insitute of Food Science & Technology ont émis de sérieuses réserves sur cette expression jugée trop simpliste et hasardeuse [9].
C’est pourtant précisément la science que le gouvernement britannique invoque à l’appui de son projet de loi. Le ministre de l’environnement, M. George Eustice, justifie en effet cette différence de traitement entre OGM par le fait que « (l)a grande majorité des scientifiques sont d’avis que ces techniques de sélection de précision, qui ne produisent rien qui ne puisse être obtenu par des processus de sélection naturels, ne sont en fait pas des OGM » [10]. Une manière peu subtile de signifier que la question ne souffre aucun débat. Pourtant, cette position prend le contre-pied de toutes les définitions juridiques des OGM (directive 2001/18 et Protocole de Cartagena) qui reposent sur les techniques utilisées et non sur les seules caractéristiques du produit final et de leur confirmation par un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de 2018 [11]. Surtout, l’affirmation du ministre britannique justifie le fait d’accorder à ces OGM une présomption d’absence ou de moindre risques en dépit des études scientifiques tendant à prouver le contraire.
Un régime juridique peu contraignant fondé sur une présomption de sécurité
Une présomption de moindre risques se trouve clairement reflétée dans le projet de loi. Celui-ci crée certes deux systèmes de notification préalable obligatoire pour ces OGM répondant à la définition « d’organisme issu de sélection de précision », l’un pour la commercialisation, l’autre pour la dissémination à des fins non commerciales (recherche et développement).
Mais le projet de loi n’insiste pas sur le caractère obligatoire de l’évaluation des risques environnementaux et sanitaires. Il se contente d’indiquer que des mesures réglementaires ultérieures « peuvent » exiger une évaluation des risques préalable. Et, en toute logique, les modalités de cette évaluation des risques « peuvent » elles aussi être précisées par voie réglementaire… Cela n’empêche pas le ministre M. George Eustice d’affirmer que « (l)e projet de loi n’aura pas pour effet de réduire le niveau de protection de l’environnement prévu par toute loi environnementale existante » [12].
Le fait que des dispositions aussi importantes soient laissées à d’hypothétiques mesures réglementaires a été critiqué lors de la première lecture du projet de loi à la Chambre des communes (l’Assemblée nationale britannique) le 15 juin dernier. Le contrôle parlementaire s’en trouve en effet largement réduit. Pour le député travailliste Daniel Zeichner, plutôt favorable aux OGM, le Gouvernement demande aux députés de lui donner « un chèque en blanc ». Or, « sur une question qui repose autant sur la confiance et l’acceptation du public, ce n’est pas un bon point de départ » [13].
Autre point problématique : l’information du public. Quelle transparence est-il prévu, quel étiquetage des OGM concernés par le projet de loi ? Le texte se contente de renvoyer là aussi à de futures éventuelles dispositions réglementaires, sans préciser la moindre exigence devant y figurer obligatoirement… pas même l’étiquetage. La seule mesure de transparence prévue est la publication d’un registre en ligne contenant une liste des produits autorisés. L’absence d’étiquetage, tout comme des règles plus souples pour certains OGM, va pourtant à l’encontre de la consultation du Gouvernement organisée en amont de la présentation du projet de loi. Selon cette consultation, 88 % des personnes interrogées souhaitent que les nouveaux OGM utilisés en agriculture continuent d’être réglementés de la même manière que les autres OGM [14]. Pour la députée Caroline Lucas, membre du Green Party (Parti Vert), « (l)es ministres partent tout simplement du principe que les risques sont inexistants ou infimes, mais ces vœux pieux n’ont rien de scientifique » [15].
Des contradictions internes au Royaume-Uni
Le Gouvernement érige le projet de loi en une sorte de symbole de l’indépendance retrouvée par rapport à l’Union européenne. Selon lui, « (e)n dehors de l’UE, et libre d’établir des règles qui servent au mieux les intérêts du Royaume-Uni [et cette] nouvelle législation fera du Royaume-Uni le meilleur endroit au monde pour investir dans la recherche et l’innovation agroalimentaire » [16].
Mais tous les pays constitutifs du Royaume-Uni ne l’entendent pas ainsi. L’Écosse, qui était opposée au Brexit, ne souhaite pas modifier le régime réglementaire applicable aux OGM. Or, bien que les dispositions du projet de loi ne s’appliqueront qu’en Angleterre, le principe de reconnaissance mutuelle de la loi sur le marché intérieur du Royaume-Uni fera que les produits entrant sur le marché en Angleterre seront également commercialisables en Écosse (et au Pays de Galles et Irlande du Nord). Pour la ministre écossaise de l’Environnement, Mairi McAllan, cet empiétement sur les compétences dévolues au Parlement écossais est inacceptable [17]. L’Écosse est par ailleurs soucieuse d’éviter des divergences réglementaires avec l’Union européenne qui est le principal partenaire commercial du Royaume-Uni. Elle suivra donc de près l’issue de la consultation publique européenne actuellement en cours et la proposition législative que la Commission européenne a annoncée pour 2023.
Quant au Pays de Galles et à l’Irlande du Nord, ils veulent eux aussi, pour le moment, s’en tenir à la réglementation européenne sur les OGM.