n°168 - juillet / septembre 2022

Des États organisent la perte d’informations

Par Eric MEUNIER

Publié le 05/07/2022

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En théorie, un brevet est synonyme de transparence de l’information sur l’invention brevetée. Pourtant, dans le domaine du vivant, des pays tentent de s’opposer aux demandes de rendre obligatoire la divulgation d’informations qui permettraient de tracer un brevet. La raison avancée est la protection du secret industriel. N’est-ce pas aussi car la portée d’un tel brevet serait ainsi restreinte aux seuls organismes issus de l’invention brevetée ?

Pour obtenir un brevet sur un organisme vivant ou ses composants, trois éléments sont de première importance : le matériel de départ, le protocole technique de « l’invention » et la demande de brevet. Dans le domaine du vivant, un critère rendant le brevet intéressant commercialement est la capacité des organismes vivants à se reproduire et, donc, l’extension de la portée du brevet à tout organisme issu de la reproduction de l’organisme breveté. Mais le détenteur du brevet tente parfois d’étendre sa portée à toute matière biologique exprimant la caractéristique brevetée, même si elle n’est pas issue de l’invention brevetée. Un brevet obtenu sur un maïs particulier est encore plus intéressant s’il peut couvrir tout autre maïs contenant la même caractéristique que celle qui est brevetée. Plusieurs gouvernements œuvrent à perdre légalement les informations qui pourraient servir à tracer toute information sur l’origine du matériel à la base d’un brevet, offrant une plus grande marge de manœuvre à leurs détenteurs.

Séquences génétiques numérisées, le début de la chaîne

Le matériel de départ d’une « invention » peut être végétal, animal ou un micro-organisme. Le développement récent des techniques de séquençage a permis de multiplier les projets de séquençage de génomes d’un nombre croissant de ces organismes. Les séquences obtenues sont enregistrées dans des bases de données informatiques privées ou publiques. Or, le statut légal de ces séquences génétiques numérisées (DSI) fait l’objet d’âpres négociations au sein de la Convention sur la Diversité Biologique (CDB), la Convention des Nations unies sur la loi de la mer, la FAO, le TIRPAA, l’OMS ou l’OMC.

À la CDB, l’achoppement entre gouvernements est de savoir si ces DSI sont ou non des ressources génétiques soumises aux obligations de la Convention. Plus simplement, ces séquences de génome ou parties de génome numérisées n’ont-elle légalement rien à voir avec l’organisme dont elles sont issues ? Une question importante car l’utilisation d’organismes issus de la biodiversité est encadrée par des règles allant de l’interdiction de breveter des organismes naturels à l’accord préalable du pays d’origine de la ressource et l’obligation de partager avec ce pays les bénéfices financiers réalisés à partir de l’exploitation de cet organisme. Au sein de la CDB, un groupe de pays comprenant l’Europe, les États-Unis, le Canada et le Japon estiment que ces DSI ne sont pas équivalentes aux ressources génétiques. Y accéder et les utiliser ne doit donc pas être soumis aux règles internationales établies par le Protocole de Nagoya [1]. Un second groupe de pays avec l’Argentine, le Brésil, l’Inde, la Colombie, l’Iran et l’Union africaine estiment, eux, que les DSI sont équivalentes aux ressources génétiques et doivent être soumises aux mêmes règles. Les prochaines discussions entre ces États viseront notamment à décider de demander « à l’Assemblée générale des Nations unies de créer un comité intergouvernemental chargé de négocier un instrument juridiquement contraignant régissant l’accès à l’information sur les séquences numériques des ressources génétiques et le partage des avantages qui en découlent » [2].

Si les DSI ne sont pas des ressources génétiques et que leur origine n’est pas renseignée, les bases de données les contenant seront alors des catalogues ouverts pour qui a les moyens de les exploiter, sans obligation de partager les bénéfices et impliquant une traçabilité des brevets délivrés plus difficile.

Les nouveaux OGM, l’étape « technique »

Autre étape de traçabilité d’une « invention » : les techniques utilisées pour modifier le génome d’un organisme. La législation européenne sur les OGM impose qu’une méthode de détection et de traçabilité de tout OGM réglementé soit fournie avant toute éventuelle autorisation. Surtout, une étiquette spécifiant la présence d’OGM ou de produits obtenus à partir d’OGM renseigne le consommateur, mais également les différents professionnels d’une chaîne de transformation.

Or, avec les nouvelles techniques de modification génétique, la Commission européenne défend l’idée que plusieurs de ces techniques donneraient des produits intraçables, alors même que plusieurs publications scientifiques affirment le contraire [3]. Après s’être opposée à tout travail de ses experts jusqu’en 2018, elle souhaite dorénavant proposer un éventuel nouvel encadrement réglementaire [4]. Si plusieurs États membres lui ont rappelé l’importance capitale de l’information du consommateur, il est probable que la proposition à venir n’impose plus la fourniture de méthodes de détection, distinction et traçabilité, ni un étiquetage « OGM ». Cela reviendrait donc à perdre une information sur l’origine technique de tel ou tel produit biologique breveté.

Les brevets, point d’orgue d’une absence d’information

Un brevet délivré sur tout ou partie d’un organisme est un autre outil d’informations possibles sur l’origine de cet organisme utilisé. En 2019, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a intégré de nouvelles règles qui visent à renseigner de quel organisme vivant viennent une ou des séquences génétiques [5]. Mais ces règles ne sont pas rétroactives, laissant ainsi les séquences enregistrées avant sans cette information.

Surtout, l’OMPI n’oblige en rien à renseigner l’origine géographique ou numérique de l’organisme vivant dont le génome a été prélevé et séquencé. Sur ce point, des discussions ont lieu au sein du Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore de l’OMPI. Leur objectif, sur proposition de certains pays, est d’imposer aux demandeurs de brevets de renseigner la source ou l’origine du matériel de base ayant servi à leur « invention ».

Sur cette proposition, l’OMPI voit s’opposer deux camps. L’un, avec des pays d’Asie, Afrique ou Amérique du Sud, demande à ce que l’origine géographique de l’organisme vivant ou du matériel utilisé soit obligatoirement renseignée. L’autre, avec les mêmes pays s’opposant à ce que les DSI soient considérées comme des ressources génétiques, refuse de donner un caractère obligatoire à l’information sur l’origine géographique du matériel utilisé.

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