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OGM – Les techniques sur cultures cellulaires ne sont pas traditionnelles

Par Eric MEUNIER

Publié le 10/06/2022

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Depuis 2020, la Commission européenne argumente que la mutagénèse mise en œuvre sur culture de cellules isolées et multipliées in vitro est exempte des requis de la législation sur les OGM. Cette position offre une porte ouverte aux entreprises pour commercialiser des plantes brevetées sans les déclarer OGM. Pourtant, en 1992, la Commission européenne ne considérait pas cette technique comme « traditionnelle ».

En août 2020, la Commission européenne contestait que les techniques de mutagénèse aléatoire sur culture de cellules isolées et multipliées in vitro donnent des OGM réglementés [1]. Elle répondait à un projet de décret du gouvernement français émis pour répondre à l’arrêt du Conseil d’État [2]. La Commission écrivait notamment que « le législateur de l’Union n’a jamais établi non plus de différence entre mutagénèse aléatoire in vivo et in vitro ». Pourtant, cette même Commission avait, en 1992, une liste de techniques d’amélioration végétale alors traditionnellement utilisées et, pour chacune d’entre elles, elle précisait si elles donnaient des OGM ou non, réglementés ou non. Dans cette liste, aucune technique de mutagénèse mise en œuvre sur culture de cellules isolées (in vitro donc) n’était présente.

Un préalable chronologique obligatoire

Depuis l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en juillet 2018, le débat OGM est agité par une question centrale : quelles techniques de modification génétique étaient traditionnellement utilisées pour diverses applications avant 2001 ? La question est d’importance. Selon la législation européenne, une utilisation traditionnelle sans risque justifie une exemption des obligations de la loi (évaluation des risques, étiquetage, suivi post-commercialisation…). En 1990, quand l’UE se dote d’une première directive sur les OGM, la transgenèse n’a rien de traditionnel. C’est même une technique très récente. D’où la mise en place d’un encadrement réglementaire. Vers 2008, l’Union européenne a été interpellée sur les « nouvelles techniques de modification génétique » (mutagénèse dirigée par oligonucléotide, CRISPR, doigt de zinc, TALEN, agroinfiltration…). La nouveauté de ces techniques ne faisait pas de doute : aucune ne pouvait bénéficier d’un historique d’utilisation sans risque. Cependant, le débat a été l’occasion de discuter d’une exemption formulée dès 1990, celle de « la mutagénèse » selon le terme inscrit dans la législation. La directive 90/220 et celle qui l’a remplacée, la directive 2001/18, établissent que « la mutagénèse » donne bien des OGM, mais exemptés des requis de la loi. Avec le débat sur les nouvelles techniques, l’occasion se présentait alors d’utiliser ce terme générique et vague pour inclure dans ce vocable plusieurs techniques de « mutagénèse », et donc les exempter.

Or, contrairement aux arguments de la Commission européenne et des entreprises, la CJUE rappelle en juillet 2018 que « ne sont exclus du champ d’application de ladite directive que les organismes obtenus au moyen de techniques/méthodes de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps » [3]. Elle précise également que cela concerne les « techniques/méthodes de mutagénèse dirigée impliquant le recours au génie génétique, qui sont apparues ou se sont principalement développées depuis l’adoption de la directive 2001/18 ». D’où l’importance de savoir quelles techniques sont considérées comme ayant un historique d’utilisation sans risque au moment de l’adoption des directives européennes.

Le Conseil d’État français propose une distinction, refusée par la Commission

La CJUE, en 2018, s’est contentée de rappeler le cadre juridique européen. Elle n’est pas entrée dans le détail des techniques. Le Conseil d’État, fort de l’arrêt de la CJUE, a effectué ce travail pour les techniques de mutagénèse. Il a acté, en février 2020, qu’il « ressort des pièces du dossier que tant les techniques ou méthodes dites « dirigées » ou « d’édition du génome » que les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques (…) sont apparues postérieurement à la date d’adoption de la directive 2001/18/CE ou se sont principalement développées depuis cette date ». Pour le Conseil d’État, les produits issus de ces techniques de mutagénèse mises en œuvre sur culture cellulaire in vitro doivent donc être considérés comme « étant soumis aux obligations imposées aux [OGM] par cette directive » [4].

En juillet 2020, sollicitée par le gouvernement français, la Commission européenne donne son avis sur une proposition de décret formulée pour répondre au Conseil d’État. Dans cet avis, elle s’oppose à ce que la mutagénèse aléatoire sur culture de cellules isolées in vitro soit considérée comme donnant des OGM réglementés. Mais elle ne fournit aucune liste ni argument montrant que cette technique de mutagénèse a été traditionnellement utilisée sans risque avant les années 90. Elle cite seulement un passage d’un rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) rédigé en 2012 [5] et donne deux exemples, dont celui d’une plante non comestible.

En 1992, l’UE liste les techniques « traditionnelles »

Dans son rapport de 2012, l’AESA estime « que la mutagénèse ou la sélection par mutation constitue une technique conventionnelle », sans plus de précision. Pour affirmer cela, l’AESA s’appuie sur un rapport de l’Université de Wageningen de 2010 consacré aux « méthodes traditionnelles d’amélioration végétale » [6]. Un rapport d’autant plus pertinent que ses auteurs y exhument un document de 1992 qu’ils indiquent ne plus être facilement accessible et qu’ils annexent à leur rapport. Ils précisent que les techniques traditionnellement utilisées ont « déjà été énumérées, peu après la promulgation de la directive précédente (90/220/CEE), dans un document de référence de l’UE intitulé Techniques actuelles de sélection végétale (DOC.XI/464/92) » [7]. Deux ans après avoir adopté sa législation, l’Union européenne établissait en effet une liste des techniques d’amélioration végétale considérées alors comme traditionnelles. Nécessairement plus large que les seules techniques de modification génétique, cette liste est donc fondamentale pour connaître les techniques donnant des OGM exemptés des requis de la loi. Pourtant, la Commission européenne n’a jamais elle-même exhumé ce rapport !

Répondant à la question « Quelles sont les méthodes traditionnelles d’amélioration végétale ? », ce rapport de 1992 constate que ces techniques ont pour caractéristiques d’être « mises en œuvre à l’échelle d’un organisme ». Pour ce qui est « d’autres approches (qui) sont disponibles pour combiner différentes caractéristiques souhaitées dans une plante telles que des techniques aux niveaux cellulaire et moléculaire », elles sont déclarées « hors du champ de ce document », comprendre non traditionnellement utilisées. Parmi les techniques cellulaires citées, le document liste « la sélection somaclonale, la culture cellulaire / de tissus, la fusion cellulaire, la mutation et sélection dans des cultures cellulaires, l’isolation de microspores ». La sélection, ou variation, somaclonale est une des désignations des techniques des cultures cellulaires in vitro. La Commission considérait donc, en 1992, qu’elle n’était pas traditionnellement utilisée. Surtout, les techniques qualifiées de « mutagénèse » dans ce document sont celles qui consistent à soumettre du pollen ou des semences à des agents mutagènes physiques ou chimiques. Ce document de référence de l’Union européenne ne cite donc aucune technique de mutagénèse mise en œuvre sur culture de cellules in vitro dans sa liste des techniques traditionnelles, les considérant « hors du champ du document » !

La Commission a officialisé cette liste dès 1992

Dès 1992, la Commission européenne – alors appelée Commission des Communautés européennes – reprenait ce rapport dans un document officiel intitulé « Interprétation du concept d’amélioration traditionnelle dans le contexte des exemptions mises en place par les annexes 1B et D des directives 90/2019 et 90/220 », référencé DOC/XI/463/92-fin [8]. Le contexte même du document est rappelé par la Commission. Il s’agissait alors de lister les méthodes d’amélioration traditionnelle.

Afin d’harmoniser la lecture de cette directive par les États membres de l’Union européenne, la Commission européenne fournit donc dans son document l’interprétation officielle de l’expression « méthodes d’amélioration traditionnelles ». Il s’agit de pratiques qui « utilisent une ou plusieurs méthodes (c’est à dire selon des moyens physiques ou chimiques, un contrôle des procédés physiologiques) qui permettent d’obtenir avec succès des croisements des plantes de la même famille botanique ». En complément de cette interprétation, la Commission mentionne le rapport publié la même année et que nous venons d’analyser.

Depuis 1992, d’autres discussions ou échanges sur la législation européenne sur les OGM ont eu lieu, que ce soit lors de la procédure auprès de la Cour de justice de l’Union européenne ou lors des commentaires possibles sur le projet de décret français en 2020. À aucun moment, la Commission européenne n’a produit, lors de ces récentes discussions, de liste de techniques de modification génétique traditionnellement utilisées, pas même celle qu’elle a elle-même produite en 1992. À ce jour, cette dernière est donc bien celle qui continue de faire foi pour mettre en œuvre un cadre réglementaire qui, dès 1990, considérait la transgenèse comme devant être encadrée.

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