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UE – Vers des dérogations pour l’importation d’OGM ?

Par Christophe NOISETTE

Publié le 02/06/2022

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Depuis le début de la guerre russo-ukrainienne, un bruit de fond médiatique et politique tente de faire croire qu’il faut « produire plus sans contrainte », abandonner les objectifs environnementaux et développer les OGM, transgéniques ou non. C’est dans ce contexte que les États membres de l’Union européenne se sont réunis début avril 2022. Ont alors été évoqués des allègements possibles de la réglementation européenne en matière d’autorisation des OGM. La guerre serait-elle un alibi pour favoriser le productivisme agricole ?

Depuis les derniers développements des hostilités, de nombreuses voix se sont élevées pour annoncer une crise alimentaire mondiale. Et en profiter pour faire avancer les propositions en faveur des OGM et des pesticides, seuls, disent-ils, à permettre de faire face à cette crise.

La guerre : nouvel alibi du productivisme ?

Récemment, le patron de Syngenta a instrumentalisé ce conflit pour dénigrer l’agriculture biologique et vanter les nouveaux OGM [1]. Dès début mars 2022, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) [2] est montée au créneau pour dénoncer la stratégie « De la ferme à la table » (« Farm to Fork ») dont un des objectifs est d’utiliser moins de pesticides, de développer l’agriculture biologique, de laisser des terres en jachères pour favoriser la biodiversité. Et ceci au nom de la souveraineté alimentaire, et du produire plus avec moins de contraintes.

Début mars, les ministres européens de l’Agriculture ont aussi appelé à « libérer le potentiel de production agricole de l’Europe » et à réévaluer les stratégies communautaires, notamment la stratégie « De la ferme à la table » [3]. Concrètement, les ministres demandent d’abandonner plusieurs objectifs de cette stratégie : la baisse de l’usage des pesticides et des engrais et l’obligation de préserver 4 % de surfaces non productives de la nouvelle Politique Agricole Commune (PAC). Ce discours est fortement soutenu par la France, par son ancien ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, et son président, Emmanuel Macron, pour qui « la logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne Farm to Fork doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire » [4]. Derrière, ce sont aussi les nouveaux OGM qui sont visés. Ces « outils moléculaires » sont présentés par le ministère de l’Agriculture et les semenciers comme capables d’augmenter les rendements agricoles…

Ce discours est aussi largement soutenu par les Parlements, français et européen [5]. Ainsi, par exemple, le Sénat français a adopté, le 6 mai 2022, une résolution [6] qui demande « au regard de la guerre en Ukraine, de réorienter la stratégie agricole européenne découlant du Pacte vert [7] pour assurer l’autonomie alimentaire de l’Union européenne ». Dans cette résolution, il « regrette, en outre, que les exigences environnementales accrues que le « Pacte vert » imposerait aux productions agricoles dégradent la compétitivité de l’agriculture européenne et impliquent un surcroît inévitable d’importations alimentaires ». Il « appelle en conséquence à la mise en place d’une dérogation aux règles du verdissement  » et « considère que les objectifs environnementaux peuvent être atteints (…) par un effort substantiel dans l’innovation, la recherche, la modernisation des équipements agricoles et la diffusion plus rapide des nouvelles technologies auprès d’un plus grand nombre de producteurs agricoles ».

Ce raccourci et ce parti pris pro-biotech est mondialement et largement présent dans les journaux qui reprennent souvent à leur compte le discours des entreprises [8]. Ainsi, au Royaume-Uni, un article paru dans le Telegraph [9] fait le lien entre souveraineté alimentaire et développement de la robotique et des OGM. « Les nouvelles technologies pourraient rendre la Grande-Bretagne moins liée au système mondial. (…) Le professeur Nigel Halford, du centre de recherche Rothamsted [10], estime qu’il existe un potentiel pour l’édition de gènes et les OGM, qui nécessiteraient moins d’eau, d’engrais et de terres.  » « L’édition de gènes est quelque chose que nous devrions utiliser autant que possible car la production alimentaire est confrontée à de nombreux défis« , dit-il. « Pas seulement l’Ukraine, mais aussi le changement climatique, la dégradation des sols et la disponibilité de l’eau douce ». L’article ne mentionne à aucun moment les voix opposées à ces techniques, celles qui considèrent que la fuite en avant technologique n’est pas la solution à ces crises, mais au contraire risque de les aggraver.

Enfin, un article du journal en ligne pro-OGM, Genetic Literacy Project [11], affirme que « s’il y a un côté positif à cette guerre, c’est que les hausses de prix et les pénuries alimentaires qui ont suivi ont mis en évidence la folie des politiques protectionnistes anti-OGM de l’Europe ». Le message ne peut pas être plus clair.

Réduire les contraintes environnementales

C’est donc sans surprise que ce sujet arrive sur la table des ministres européens de l’Agriculture. Le 1er avril 2022 [12], donc, ces derniers se sont réunis au sein du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale [13] pour évoquer la crise ukrainienne, et savoir si modifier les procédures d’autorisation d’OGM en cours pourrait être pertinent dans ce contexte.

Ainsi, un certain nombre d’États membres se sont déclarés favorables à « un traitement rapide des demandes pertinentes après que l’EFSA a rendu un avis scientifique ». Ceci concerne donc certains dossiers d’autorisations pour importer des OGM. Les États-Unis cultivent principalement du maïs et du soja transgéniques. Certains OGM cultivés outre-Atlantique ne sont pas autorisés à l’importation dans l’UE.

Deux autres propositions ont été faites pour faciliter le commerce avec les pays producteurs d’OGM. La première consisterait à modifier le règlement (UE) 619/2011 qui fixe pour l’importation des aliments pour animaux une limite pour les OGM en cours d’autorisation ou pour lesquels l’autorisation a expiré. Ce règlement précise en effet : « il convient de fixer comme limite de performance minimale requise (LPMR) la plus faible teneur en matériel GM prise en compte pour la validation des méthodes quantitative. Cette limite est de 0,1 % en fraction massique de matériel GM dans l’aliment pour animaux et correspond à la teneur la plus faible pour laquelle les résultats sont reproductibles de manière satisfaisante dans les différents laboratoires officiels lorsque des protocoles d’échantillonnage et des méthodes d’analyse appropriés sont appliqués pour l’examen d’échantillons d’aliment pour animaux ».

La seconde proposition faite au cours de cette réunion est de savoir « si d’autres seuils pour la présence fortuite d’OGM non autorisés pouvaient être établis ». Comme l’a rappelé la Commission, aucun seuil légal de présence d’OGM non autorisé n’est défini par la législation européenne. C’est ce qu’on appelle la « tolérance zéro  ». On entend par là le fait qu’un OGM non autorisé ne peut pas être présent sur le territoire européen. Précisons que 0 % n’a pas de sens biologique. Concrètement une cargaison qui contiendrait des traces infinitésimales d’OGM (seuil de détectabilité 0,01%) n’est pas autorisée à être déchargée. Elle doit être renvoyée immédiatement au pays exportateur.

Synchroniser mondialement les autorisations d’OGM ?

Ces débats n’ont pas fait l’unanimité. Le compte rendu précise en effet que « d’autres États membres ont soulevé la question de savoir si les autorisations contribueraient réellement à soulager la pénurie, et ont indiqué que toutes les exigences de sécurité applicables devaient être respectées ».

De son côté la Commission a précisé qu’ « elle était prête à achever les procédures [d’autorisation d’OGM] en cours dès que possible lorsque cela pourrait contribuer à remédier aux pénuries d’aliments pour animaux ». En revanche, elle ne s’est pas montrée favorable à un allégement des « exigences de sécurité et [des] règles de procédure applicables aux autorisations ». Cependant l’idée d’une « synchronisation » des autorisations au niveau mondial a déjà été évoquée [14]. Cette idée refait régulièrement surface. Ainsi, dans le cadre de l’accord de libre échange entre l’Union européenne et le Canada, a été mis en place le « dialogue sur les questions de l’accès au marché de la biotechnologies » [15]. Or, dans ces discussions, la question des demandes d’autorisations en cours est systématiquement abordée.

Petit clin d’œil historique : en 2008, c’est bel et bien la Commission européenne qui avait proposé de lever la « tolérance zéro » pour les OGM en cours d’autorisation. Elle évoquait alors plusieurs seuils. Dans une note interne de la DG Sanco qu’Inf’OGM avait pu se procurer, cette direction présentait les cinq différentes approches envisageables : aucune décision, établissement d’un seuil de détection quantitative de 0,1% (précisons que le seuil de détection qualitative se situe à 0,01%), établissement d’un seuil à 0,5%, à 0,9%, ou encore à 5% [16].

La Commission parle d’agroécologie pour défendre les OGM et le biocontrôle

La Commission européenne s’est aussi exprimée sur le sujet des conséquences de la guerre russo-ukrainienne, le 23 mars 2002. Dans sa communication [17], la Commission fait le grand écart, un exercice qu’elle maîtrise parfaitement. Ainsi, elle peut sans sourciller écrire qu’« il convient de donner la priorité aux actions destinées à accroître les rendements de façon durable, au moyen d’une innovation tant technologique qu’agroécologique ». Elle reconnaît que « la transition vers une agriculture durable repose notamment sur une meilleure utilisation des intrants (nutriments, pesticides) et sur une réduction du recours à ces derniers, ainsi que sur l’agriculture biologique ». Mais les mesures proposées ne vont pas dans ce sens. Concrètement, « afin d’élargir la capacité de production de l’Union« , elle a autorisé « à titre exceptionnel et temporaire, les États membres à déroger à certaines obligations en matière de verdissement (…) [comme] la production de toute culture (…) sur des terres mises en jachère qui constituent des surfaces d’intérêt écologique en 2022, sans incidence sur le niveau du paiement vert ». Elle a aussi annoncé de nouvelles règles pour faciliter le biocontrôle (qui utilise très généralement des OGM et s’inscrit dans le paradigme productiviste) et envisage de nouvelles règles pour les nouvelles techniques génomiques qu’elle encense. Ces dernières, affirme-t-elle, sont « susceptibles d’être utilisées pour créer des variétés végétales moins sensibles à l’évolution des températures et aux menaces climatiques, plus résistantes aux organismes nuisibles et plus efficientes pour ce qui est de l’utilisation d’engrais », promesses déjà faites dans les années 90 / 2000 avec les plantes transgéniques.

D’ailleurs, la réaction de la FNSEA nous conforte dans notre analyse. Le 24 mars 2022, dès le lendemain, elle saluait « l’ambition de la Commission de veiller à ne pas compromettre la productivité de l’agriculture de l’UE dans les stratégies Farm to Fork et biodiversité, en mobilisant l’innovation, les nouvelles techniques génomiques, l’agriculture de précision, les produits de biocontrôle » [18].

Cette instrumentalisation de la guerre, précédemment à celle du Covid ou du changement climatique, est aussi dénoncée en tant que telle. Ainsi, des eurodéputés ont clairement exprimé leur désaccord avec une réduction des objectifs écologiques de la stratégie  » Farm to Fork «  [19].

De son côté, la Confédération paysanne a dénoncé dans un communiqué de presse une « instrumentalisation » de la guerre « pour éteindre toute velléité de transition sociale et écologique du modèle agricole ». Face à ce « dévoiement du concept de souveraineté alimentaire, réduite à un  » produire plus sans contrainte  » », la solution réside dans des régimes alimentaires moins carnés, une place réduite pour les cultures énergétiques et le développement des légumineuses afin de réduire la dépendance à l’énergie fossile et aux engrais minéraux.

En parallèle, dans un courrier daté du 21 mars, plusieurs ONG, dont WWF et le Bureau européen de l’environnement, « mettent en garde contre l’utilisation abusive de la situation actuelle pour faire avancer l’agenda politique de certains groupes privés de lobbying » [20].

Les derniers OGM transgéniques autorisés


Depuis le 1er avril 2022, ce sont donc deux cotons (GHB614 et GHB811), un maïs empilé (NK603 x T25 x DAS-40278-9 et une de ses sous combinaisons cT25 x DAS-40278-9), un colza (73496) et deux sojas (MON 87769 x MON 89788 et GMB151) qui ont été autorisés.

[2Communiqué de presse de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles : « Conséquences de la Guerre en Ukraine : l’Union Européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue », 2 mars 2022 (consulté le 1er juin 2022).

[4Réussir, « Guerre en Ukraine : le verdissement de la PAC remis en cause au nom de la souveraineté alimentaire », Gabriel Omnès, 29 mars 2022 (consulté le 1er juin 2022).

[7Commission européenne, « Un pacte vert pour l’Europe » (consulté le 1er juin 2022).

[8En Israël, un publi-reportage vante les solutions biotechnologiques de l’entreprise semencière israélienne, BetterSeeds. Grâce à l’outil moléculaire Crispr, cette entreprise relèvera les défis de l’insécurité alimentaire : « La pandémie de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont montré une nouvelle urgence à la nécessité de lutter contre l’insécurité alimentaire. L’entreprise israélienne BetterSeeds développe des techniques génétiques comme un moyen essentiel de relever ce défi ». Et bien entendu, l’entreprise prend soin de préciser que sa technique de modification génétique ne donne pas des OGM. Israël fait partie de ces pays qui ont décidé d’aller à l’encontre de l’actuelle législation internationale (définie par le Protocole de Cartagena) en considérant qu’une plante génétiquement modifiée dans laquelle il n’y a pas d’ADN exogène n’a pas à être réglementée comme un OGM.

Source : The Times of Israel, « Can gene editing help farmers satisfy the rising demand for food ? », Amy Teibl, 4 mai 2022 (consulté le 1er juin 2022).

[9The Telegraph, « War forces farmers to think again about GM crops », Hannah Boland, 15 mars 2022 (consulté le 1er juin 2022).

[10Nigel Halford est l’un des scientifiques britanniques qui a développé le blé OGM, voir Christophe NOISETTE, « Grande-Bretagne – Un blé OGM « bon pour la santé » bientôt expérimenté », Inf’OGM, 11 mai 2021

[11Genetic Literacy Project, « Ukraine war exposes EU’s organic obsession and biotechnology rejectionism », Cameron English, 22 avril 2022 (consulté le 1er juin 2022).

[12Compte rendu de la réunion du Scopaff, 1er avril 2022 (consulté le 1er juin 2022.

[18Communiqué de presse de la FNSEA : « La FNSEA salue les mesures d’urgence prises par la Commission européenne », 24 mars 2022 (consulté le 1er juin 2022).

[19Question avec demande de réponse écrite E-001529/2022 à la Commission – Article 138 du règlement intérieur.

[20WWF et al., « EU Commission plays into hands of anti-nature lobbies, ignores citizens », 23 mars 2022 (consulté le 1er juin 2022).

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