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Nouveaux OGM : ces décisions qui déplaisent à l’industrie

Par Charlotte KRINKE

Publié le 25/05/2022

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Une minorité d’États dans le monde, économiquement puissants, a décidé d’alléger les règles applicables aux OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique. Mais d’autres ont aussi explicitement décidé que ces OGM doivent être soumis à la réglementation OGM. C’est le cas de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud. Les décisions prises par les gouvernements de ces États font toutefois l’objet de pressions de la part de l’agro-industrie.

En Afrique du Sud et en Nouvelle-Zélande, les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique relèvent de la réglementation OGM et doivent donc être soumis aux mêmes obligations que n’importe quel autre OGM. Dans l’Union européenne, la Cour de Justice avait fait le même constat. A la suite de cela et sous la pression de l’agro-industrie, la Commission européenne a engagé une démarche de révision de la réglementation.

Nouvelle-Zélande : maintien de l’approche de précaution

En Nouvelle-Zélande, la décision de soumettre les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique à la législation OGM résulte d’un arrêt de la Haute Cour de Wellington de 2014 [1]. C’était la première fois au niveau mondial qu’une juridiction se prononçait sur la classification juridique de ces nouvelles techniques. Dans l’affaire soumise à la Cour, deux techniques de modification étaient spécifiquement concernées (nucléase à doigt de zinc (ZFN-1) et TALEN). L’Agence de protection de l’environnement avait décidé, un an plus tôt, que ces techniques ne produisaient pas d’OGM [2]. Pour l’Agence, ces techniques n’impliquent pas l’insertion de matériel génétique étranger et s’apparentent donc à la mutagénèse chimique, une des techniques exemptées de la réglementation OGM néo-zélandaise.

La Haute Cour ne partage pas cette interprétation et annule donc la décision de l’Agence. Elle juge que la liste des techniques exemptées de la réglementation OGM est une liste fermée. Les techniques ZFN-1 et TALEN n’y étant pas citées, elles ne peuvent être exemptées. Il est intéressant de relever que ces deux techniques ne sont pas englobées sous le terme de mutagénèse. Elles sont, au contraire, considérées comme des techniques à part entière non exemptées, même si elles sont associées à la mutagenèse et à tout un ensemble d’autres techniques non réglementées OGM. 

L’arrêt de la Haute Cour a conduit le gouvernement néo-zélandais à réviser la réglementation d’une manière qui n’est pas sans rappeler l’arrêt qui sera rendu quelques années plus tard par la Cour de justice de l’Union européenne. Les nouvelles règles prévoient ainsi que les techniques de mutagénèse utilisées avant 1998 (date de l’adoption de la réglementation néo-zélandaise) produisent des organismes qui ne sont pas soumis à la réglementation, alors que celles développées ultérieurement produisent des OGM soumis à la réglementation [3]. Toutes les techniques de mutagénèse développées ultérieurement, y compris les nouvelles techniques de modification génétique, quelle que soit leur association à des techniques exclues à l’origine, sont donc réglementées comme des OGM.

La position du gouvernement néo-zélandais est cohérente avec l’approche de précaution qu’il défend en matière d’OGM de manière générale. Bien que le pays autorise l’importation d’OGM pour l’alimentation humaine et animale, aucune culture commerciale d’OGM n’y est autorisée. Le pays bénéficie ainsi d’une image « sans OGM ». Pour ce qui est des OGM issus des nouvelles techniques, le gouvernement explique son approche prudente par le fait que le pays est un exportateur de milliards de dollars de produits alimentaires et doit donc être attentif aux perceptions du marché ainsi qu’aux données scientifiques [4].

Afrique du Sud : une décision surprenante

Dans le cas de l’Afrique du Sud en revanche, décider de soumettre les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique à la réglementation OGM n’avait rien d’évident. Le pays figure en effet parmi les dix premiers producteurs mondiaux d’OGM. La superficie de production de maïs, de soja et de coton génétiquement modifiés est estimée à environ 2,8 millions d’hectares. Plus de 80 % des cultures de maïs, environ 95 % des cultures de soja et la totalité des cultures de coton sont génétiquement modifiées [5].

Pourtant, en octobre 2021, le ministère sud africain de l’Agriculture explique que « la loi sur les OGM définit un organisme génétiquement modifié (OGM) comme un organisme dont les gènes ou le matériel génétique ont été modifiés d’une manière qui ne se produit pas naturellement par reproduction ou par recombinaison naturelle, ou les deux » (on remarquera la similitude avec la définition européenne…). Il en conclut que le cadre de l’évaluation des risques qui existe pour les OGM doit s’appliquer aussi aux OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique [6].

Les décisions néo-zélandaises et sud-africaines rejoignent les conclusions de la Cour de justice de l’Union européenne en 2018 [7], suivie par le Conseil d’État français en 2020 [8]. Mais elles se situent à contre-courant de réglementations adoptées par un nombre croissant, bien que minoritaire, d’États qui réduisent les contraintes pesant sur ces nouvelles techniques et les produits qui en sont issus [9] [10] [11] [12]. Ces déréglementations sont la traduction juridique du discours tenu par l’agro-industrie selon lequel les nouvelles techniques seraient plus précises et permettraient donc d’obtenir des produits plus sûrs. Et comme ces techniques consisteraient à faire ce que fait la nature mais en plus vite, il n’y aurait aucun fondement scientifique à faire une distinction juridique entre les produits qui en sont issus et les produits dits conventionnels.

Il est donc peu surprenant que les décisions des gouvernements néo-zélandais et sud-africains ne plaisent pas à l’industrie qui promeut ces nouvelles techniques…

Attaque judiciaire en Afrique du Sud

En Afrique du Sud, l’industrie exerce une pression judiciaire sur le gouvernement, avec un recours formé auprès du ministre de l’Agriculture. À l’initiative de ce recours se trouvent la Chambre de commerce agricole (qui compte parmi ses membres Corteva, Bayer, Syngenta, BASF… [13]), l’association de l’industrie de semences Sansor (dont les membres sont entre autres Bayer, BASF, Rijk Zwaan [14]) et CropLife SA [15]. Ils alertent sur les conséquences néfastes de la décision de soumettre les « produits résultant des nouvelles technologies de sélection » à la réglementation OGM. L’industrie avance des arguments d’ordre économique (innovation, commerce international, coût d’accès au marché sud-africain…) mais surtout d’ordre environnemental. Dans un contexte de changement climatique, une réglementation « fondée sur la science pour les produits issus des NBT (NDLR : New breeding techniques) » serait un impératif pour garantir la sécurité alimentaire, faire face à la pression des ravageurs, etc. [16]. Comme s’il n’y avait qu’une seule science, dont ne relèvent évidemment pas les études scientifiques faisant état des risques des nouvelles techniques de modification génétique…

Une commission d’appel doit se prononcer dans les mois qui viennent sur le recours de l’industrie. Les organisations de la société civile, dont The African Centre for Biodiversity, ne doutent pas que si la décision de la commission ne va pas dans le sens de l’industrie, cette dernière saisira la Haute Cour.

Attaque médiatique en Nouvelle-Zélande

Dans la remise en cause de la décision du gouvernement néo-zélandais, c’est la parution, en 2021, du rapport de la Commission Productivité, une instance administrative indépendante composée d’économistes, qui constitue un événement important. Ce rapport, critiqué pour son manque d’équilibre par l’association GE Free New Zealand, préconise la révision de la réglementation OGM afin qu’elle soit « adapté(e) aux besoins et qu’(elle) soutien(ne) l’innovation nationale » [17].

Au mois de mars 2022, en réponse à ce rapport, le gouvernement néo-zélandais affirme qu’il a « longtemps considéré que la marque et la valeur de la Nouvelle-Zélande sont mieux respectées en maintenant une approche de  » prudence  » […] (mais) qu’il est opportun d’entamer des discussions informées sur l’utilisation des technologies GM par la Nouvelle-Zélande » [18].

Cette réponse a déclenché la publication d’une série de reportages dans plusieurs médias du pays, remettant à la une le rapport de 2021 et titrant sur le besoin des nouvelles techniques de modification génétique pour « sauver la planète », dans le contexte du changement climatique, etc. [19]. Une manière de biaiser la réflexion sur la réglementation des nouvelles techniques de modification génétique, et ce en faveur des préconisations du rapport de la Commission Productivité… D’ailleurs, lorsqu’il n’est pas présenté comme « récent », le rapport est qualifié de « révolutionnaire ». Un manque d’objectivité qui va plus loin encore puisque plusieurs médias ont publié le même jour, in extenso, un communiqué de l’entreprise BiotechNZ [20], qui souhaite voir la réglementation OGM révisée, et que la majorité d’entre eux accordent une large place aux propos de la directrice de l’entreprise. Rares sont ceux qui laissent entendre une voix critique, telle celle portée par l’association GE Free New Zealand. Pour elle, le rapport de la Commission Productivité répète le même mantra que celui utilisé il y a 25 ans pour la déréglementation des OGM issus de transgénèse, technologie qui a échoué, souligne l’association. GE Free New Zealand insiste : « (l)a Nouvelle-Zélande ne peut pas se permettre que l’industrie évite la précaution et la réglementation nécessaires […] (et il est) important que la marque Nouvelle-Zélande soit reconnue par les consommateurs internationaux pour ses aliments sûrs et naturels […] et sa réponse à la demande mondiale d’aliments sans OGM » [21].

Pour l’heure, cependant, la révision de la réglementation n’est pas à l’ordre du jour. Le ministre de l’Environnement, David Parker, a en effet déclaré que la discussion à venir sera limitée aux médicaments génétiquement modifiés, les aliments génétiquement modifiés suscitant, selon lui, toujours la méfiance [22].

[3Plus spécifiquement, le règlement indique que « aux fins de la loi, les organismes suivants ne doivent pas être considérés comme génétiquement modifiés : […] les organismes résultant d’une technique de mutagénèse faisant appel à des traitements chimiques ou radiologiques utilisée au plus tard le 29 juillet 1998 ».

« Hazardous Substances and New Organisms (Organisms Not Genetically Modified) Regulations 1998. »

[4« New Zealand Government, GMO regulations clarified », 5 avril 2016 (consulté le 28 avril 2022).

[6« Republic of South Africa, Public Notice – South Africa’s regulatory approach for new breeding techniques », 27 octobre 2021.

Notons que la législation sud-africaine applicable aux OGM ne comporte pas l’équivalent du considérant 17 de la directive 2001/18 sur la dissémination volontaire d’OGM dans l’environnement. Ce considérant, sur lequel s’est appuyée la Cour de justice de l’Union européenne en 2018, indique que « (l)a présente directive ne devrait pas s’appliquer aux organismes obtenus au moyen de certaines techniques de modification génétique qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps ».

[13Agbiz, Members (consulté le 26 avril 2022).

[14Sansor, Our members (consulté le 26 avril 2022).

[15CropLife SA est un groupement d’industriels qui promeut, entre autre, les biotechnologies agricoles. Dans son conseil exécutif siègent notamment des représentants de Syngenta, Bayer ou encore Corteva. Parmi ses membres, on trouve BASF SA, Bayer CropScience, Corteva AgriScience, Syngenta South Africa…

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