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Oligonucléotide : modifier génétiquement ou tracer les aliments ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 18/05/2022

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Aspergées sur des aliments, des molécules appelées oligonucléotides pourraient servir de code-barres dans une chaîne de transformation pour en assurer la traçabilité. Paradoxalement, ces petites séquences génétiques que sont les oligonucléotides sont également utilisées pour provoquer des mutations dans des génomes d’organismes vivants.

Depuis une dizaine d’années, les oligonucléotides synthétisés artificiellement ont fait leur apparition dans le débat sur les OGM. Ils peuvent être utilisés pour modifier génétiquement des végétaux. On parle alors de « mutagénèse dirigée par oligonucléotides ». Cette technique, comme l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne en 2018, donne des produits soumis aux requis de la législation OGM. La Commission européenne a proposé aux États membres de modifier la directive 2001/18 pour exempter les produits issus des nouvelles techniques de mutagénèse. Parmi les arguments avancés, la Commission européenne fait valoir que la traçabilité de ces OGM serait trop compliquée : les mutations obtenues seraient non différenciables de ce que la nature ou les techniques de sélection traditionnelle peuvent produire. Paradoxalement, l’entreprise SafeTraces – précédemment appelée DNATrek – propose des oligonucléotides pour assurer la traçabilité de produits dans la chaîne alimentaire. En 2020, elle a déposé une demande d’autorisation dans l’Union européenne pour pouvoir commercialiser de tels oligonucléotides en tant qu’additifs alimentaires [1].

Les oligonucléotides, codes-barres biologiques d’aliments

Dans le dossier déposé en Europe, l’entreprise SafeTraces propose « une nouvelle classe de fonction liée à l’utilisation volontaire d’oligonucléotides à des fins de traçabilité » [2]. Selon la Commission européenne qui relaye les dires de SafeTraces, ces oligonucléotides aspergés sur des aliments, peuvent « permettre la traçabilité en fournissant un code unique qui peut être relié à une base de données contenant un ensemble d’informations comme la date de récolte, le numéro de lot ou le lieu d’empaquetage ».

Traitée selon une procédure établie par un règlement spécifique européen [3], la demande d’autorisation est en attente de l’avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) qui doit se prononcer au plus tard le 23 février 2023. Interrogée mi-avril par Inf’OGM, l’AESA nous a répondu que, pour l’instant, toutes les données publiques sont disponibles sur son site. Elle s’est donné jusqu’au 3 juin pour répondre à notre demande d’accès au document [4]. Pour l’instant, on ne trouve donc que le mandat donné par la Commission européenne ainsi qu’une correspondance de bonne réception et validation du dossier. Mais la demande déposée n’est pas librement consultable.

Un dossier déposé en 2016 aux États-Unis permet d’en savoir plus [5]. Dans celui-ci, l’entreprise explique que ces oligonucléotides sont produits en copiant des séquences génétiques de champignons ou de plantes. Elle fait valoir que ce type de traceur « parce qu’il est ajouté à l’aliment, et non à son emballage, ne peut être séparé de l’aliment, accidentellement ou intentionnellement ». Pour elle, cette technique, « offre des avantages dans la gestion de la chaîne d’approvisionnement […] simplifie et accélère les enquêtes de traçabilité et les actions de rappel, ce qui permet de traiter les problèmes de sécurité alimentaire à la source et de limiter l’exposition à la responsabilité ». Surtout, SafeTraces promeut son produit en arguant que « la traçabilité est importante pour la « transparence« , en rendant les informations sur la chaîne d’approvisionnement plus facilement accessibles. Cette transparence est de plus en plus exigée par les clients, les consommateurs et les organismes de réglementation gouvernementaux ». L’entreprise explique que ces oligonucléotides traceurs pourraient « identifier l’origine d’un produit (lieu, variété, date, producteur, certification, etc.), les manipulateurs intermédiaires (identité, emplacement, heure/date, opération, etc.), les transformateurs (identité, opération, méthodes et matériaux, heure/date, etc.) et la disposition finale pour la vente au détail (par exemple, autorisation du vendeur) ». Il s’agirait finalement pour ces oligonucléotides d’agir comme un code-barres renvoyant à une base de données contenant toutes ces informations.

Quels risques associés ?

L’entreprise s’est prévalue aux États-Unis d’une absence totale de risque de sa technologie. À l’appui, pas d’études ou d’analyses mais un rappel à une législation qui établit que les oligonucléotides, peu importe lesquels, sont d’emblée « présumés sans risque ».

En Europe, l’AESA tentera probablement de répondre à la question des risques sanitaires et environnementaux. Par exemple, de tels oligonucléotides peuvent-ils induire des effets aux animaux les consommant ? Qu’en est-il de leur dispersion dans l’environnement en cas de rejets dans la nature d’une pomme, poire ou tout aliment non consommé ? Aspergés sur un produit, auront-ils la capacité de pénétrer dans les cellules, voire d’induire une modification génétique de l’aliment si les cellules de ce dernier se multiplient encore ? Des questions qui se posent d’autant plus que des oligonucléotides sont aujourd’hui utilisés pour induire des mutations dans des cellules isolées et cultivées in vitro (la technique de mutagénèse dirigée par oligonucléotides).

Alors que la Commission européenne défend qu’une mutagénèse utilisant des oligonucléotides donnerait des OGM non traçables [6], d’autres oligonucléotides pourraient être autorisés commercialement pour assurer la traçabilité d’aliments dans une chaîne de transformation.

[1Demande référencée sous le numéro de dossier EFSA-Q-2020-00518.

[2Mandat de la Commission européenne à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA), juillet 2020.

[3Règlement (CE) n°1331/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 établissant une procédure d’autorisation uniforme pour les additifs, enzymes et arômes alimentaires (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE), .

[4Le cas échéant, Inf’OGM renseignera alors ses lecteurs sur le contenu à réception du dossier.

[5SafeTraces, NOSB petition 2016.

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