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Variétés rendues tolérantes aux herbicides : l’État joue la montre

Par Charlotte KRINKE

Publié le 29/03/2022

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En novembre 2021, l’État français était condamné à deux astreintes par le Conseil d’État dans le cadre du dossier concernant toutes les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH), quel que soit leur statut juridique au regard de la réglementation OGM. Ces condamnations visaient à l’obliger à mettre en œuvre les injonctions prononcées un an plus tôt par le Conseil d’État. Mais plus d’un mois après l’expiration du délai imposé, l’État semble toujours jouer la montre…

En décembre 2014, la Confédération paysanne et huit associations [1] ont demandé au Premier ministre de prononcer un moratoire sur l’utilisation et la commercialisation des semences et plants de variétés rendues tolérantes aux herbicides par mutagénèse (VrTH). Les organisations mettaient en avant l’augmentation des quantités d’herbicides utilisées, inhérentes à ces plantes, et l’absence totale d’évaluation des risques avant mise en culture commerciale. De plus, elles pointaient du doigt que la plupart de ces variétés pourraient être des OGM non déclarés, et donc cultivés illégalement… [2] [3] [4] [5] [6]

Le refus du Premier ministre de répondre à la demande de moratoire constitue le point de départ d’une procédure judiciaire toujours en cours devant le Conseil d’État et devant la Cour de justice de l’Union européenne (voir encadré) [7]. Cette procédure a déjà permis une première clarification de la portée de l’exemption de mutagénèse prévue dans la directive applicable aux OGM [8]. Mais, dans ce dossier, l’État français montre peu d’empressement pour appliquer les décisions de justice déjà rendues par le Conseil d’État [9].

Des injonctions adressées à l’État en 2020…

Tout commence avec la décision du 7 février 2020. Après avoir interrogé la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État y donnait raison à la Confédération paysanne et aux huit associations. Il considérait que l’État avait mal transposé le droit de l’Union européenne sur les OGM et, donc, que le droit français devait être révisé. L’État disposait d’un délai de 6 mois pour se mettre en conformité, soit avant le 8 août 2020 [10].

Le Conseil d’État prononçait également deux autres injonctions, elles aussi assorties d’un délai de 6 mois. D’abord, le gouvernement devait prendre des mesures pour mettre en œuvre les recommandations de l’Anses [11] dans son avis de novembre 2019 en matière d’évaluation des risques liés aux VrTH [12]. Ensuite, le gouvernement devait demander l’autorisation à la Commission européenne de prescrire des conditions de culture appropriées pour les cultures de VrTH.

… non mises en œuvre en novembre 2021

Mais, passé le délai imposé, l’État n’avait toujours pas mis en œuvre l’ensemble des injonctions. La Confédération paysanne et les huit associations décident alors d’introduire, le 12 octobre 2020, une requête en mesure d’exécution et d’astreinte devant le Conseil d’État.

Le Conseil d’État répond à la requête le 8 novembre 2021, délai normal pour une telle procédure mais qui aura néanmoins permis au gouvernement de gagner un an supplémentaire. Dans sa décision, le Conseil d’État constate effectivement que l’État n’a pas mis en œuvre en totalité les injonctions qu’il avait prononcées un an plus tôt. Concernant le statut juridique des divers procédés de mutagenèse relevant ou non du champ d’application de la réglementation OGM européenne, il saisit une nouvelle fois la Cour de justice de l’Union européenne de deux questions préjudicielles [13]. Concernant la réglementation des VrTH, le Conseil d’État décide de condamner l’État à deux astreintes. Il estime en effet que l’unique mesure qu’a prise l’État pour mettre en œuvre sa décision du 7 février 2020, en dehors du délai imposé, est insuffisante. Cette mesure est un décret du 16 octobre 2020 [14] qui doit permettre de s’assurer que les conseils délivrés aux agriculteurs sur les pratiques de désherbage en cas d’utilisation de VrTH feront l’objet d’une traçabilité, conformément à l’une de recommandations de l’Anses [15].

La première astreinte, d’un montant de 100 000 euros par semestre de retard, vise à contraindre l’État à adopter un plan d’action définissant les mesures retenues pour évaluer les risques liés aux VrTH pour la santé humaine et le milieu aquatique [16]. La seconde astreinte, d’un montant de 500 euros par jour de retard, vise à contraindre l’État à solliciter l’autorisation de la Commission européenne pour prescrire des conditions de culture appropriées pour les VrTH issues de mutagénèse utilisées en France [17].

Ces deux injonctions devaient être mises en œuvre au plus tard le 9 février 2022.

Début d’exécution, avec peu d’entrain

Cette fois, un début d’exécution semblait se dessiner plus rapidement. Ainsi, le 15 décembre 2021, le gouvernement a adopté une ordonnance, prévue un an plus tôt par la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, qui lui donne la base légale nécessaire pour prescrire des conditions particulières de culture des VrTH [18]. Mais l’ordonnance renvoie à des textes réglementaires ultérieurs pour préciser ces conditions de culture, les obligations de tenue du registre qui pèseront sur l’exploitant de ces variétés, ainsi que la liste des variétés concernées. Surtout, ces textes ultérieurs ne seront pris qu’une fois que la Commission européenne en aura autorisé la prescription. Le gouvernement français a sollicité cette autorisation le 8 mars 2022 (soit un mois après le délai défini par le Conseil d’État) devant la Commission et les autres États membres de l’Union européenne [19]. Si la Commission européenne accepte la demande de la France, ce qui tiendra pour partie à la solidité des arguments avancés par le gouvernement, il faudra ensuite convaincre les autres États membres qui auront à émettre un avis dans un délai déterminé [20]. La question des conditions de culture des VrTH va donc immanquablement faire l’objet de discussions au niveau européen. Une discussion nécessaire mais qui peut différer d’autant l’application des mesures projetées. Plus de sept ans après la saisine du Premier ministre, en 2014, et plus de deux ans après la première décision du Conseil d’État, la procédure pour obtenir l’autorisation de prescrire des conditions de culture particulières pour les VrTH ne fait que commencer…

Quant au plan d’action que devait adopter le gouvernement, s’il existe, il n’a pas été rendu public. Quels dispositifs l’État a-t-il prévu de mettre en place pour mettre en œuvre les recommandations de l’Anses ? A-t-il élaboré un plan de contrôle pour pouvoir mesurer le niveau de résidus d’herbicides dans les produits destinés à la consommation humaine à la base de tournesol et de colza, ou encore pour augmenter la surveillance des eaux de consommation humaine ? A-t-il prévu d’intégrer l’information sur le caractère VrTH dans le registre parcellaire graphique de la politique agricole commune ? A-t-il prévu d’indiquer les risques de repousses de plantes VrTH en communiquant les taux de levée et de dormance des variétés utilisées ? Malgré nos multiples sollicitations, le Ministère de l’agriculture n’a pas répondu à nos questions à l’heure où nous écrivons ces lignes.

En attendant de savoir si le Conseil d’État est convaincu par les mesures prises par l’État pour mettre en œuvre sa décision du 8 novembre 2021 (la procédure est toujours en cours), les semis de printemps de colza et de tournesol vont bientôt commencer… c’est le troisième printemps depuis la décision du Conseil d’État imposant à l’État de se mettre en conformité avec le droit européen, en février 2020.

Un dossier à forte connotation européenne


L’enjeu du dossier des variétés rendues tolérantes aux herbicides est européen. Cela s’explique d’abord par la dimension judiciaire. Dès sa première décision sur la question, en 2016, le Conseil d’État a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour lui demander de clarifier la portée de l’exemption de mutagénèse prévue dans la directive OGM [21]. En novembre 2021, le Conseil d’État a de nouveau saisi la CJUE [22]. Il s’agit encore une fois de préciser la portée de cette exemption alors que deux interprétations s’opposent : celle du Conseil d’État et celle de la Commission européenne, appuyée par le gouvernement français. En attendant la réponse de la CJUE, l’exécution par l’État de deux injonctions du Conseil d’État reste en suspens : celle de fixer la liste des techniques de mutagénèse donnant des OGM exemptés de la législation applicable, et celle d’identifier, au sein du catalogue commun, les variétés « qui y auraient été inscrites sans que soit conduite l’évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises ».

L’enjeu européen du dossier VrTH s’explique aussi par sa dimension politique. En effet, la Commission européenne s’est saisie de cette affaire pour défendre l’idée que la législation européenne applicable aux OGM comporterait une incertitude juridique et ne serait pas adaptée aux nouvelles techniques. Pour la Commission européenne, le terme de « mutagénèse » et les expressions « traditionnellement utilisées pour diverses applications » et « sécurité est avérée depuis longtemps » sont imprécis. Cette incertitude juridique est l’un des arguments mis en avant pour justifier son initiative pour un nouvel encadrement réglementaire des produits issus de certaines techniques de modification génétique (mutagénèse ciblée et cisgénèse). La Commission européenne espère obtenir cette nouvelle législation en 2023, en dépit des appels des organisations de la société civile pour suspendre son initiative en attendant la réponse de la CJUE à la saisine du Conseil d’État [23]. Le gouvernement français a déjà affirmé qu’il soutenait l’initiative de la Commission européenne [24].

Un calendrier politique accommodant pour l’État français ?

[1Les Amis de la Terre, CSFV 49, OGM-dangers, Fédération Nature et Progrès, Réseau Semences Paysannes, Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OGM 33, Vigilance OG2M.

[11L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

[14Décret relatif au conseil à l’utilisation de produits phytosanitaires et à la certification de leurs distributeurs et utilisateurs professionnels.

[15Le gouvernement soutenait que la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur visait elle aussi à mettre en œuvre la décision du Conseil d’État du 7 février 2020. L’article 44 de cette loi habilite le gouvernement à mettre en place les bases légales nécessaires pour fixer les conditions de traçabilité et d’utilisation des VrTH. Dans sa décision du 8 novembre 2021, le Conseil d’État n’est toutefois pas convaincu que cet article ait été adopté en lien avec sa décision du 7 février 2020, l’intervention du législateur n’étant par ailleurs pas nécessaire en raison des compétences dont dispose le ministre de l’Agriculture en vertu du Code rural et de la pêche maritime.

[16Article 1er de la décision du Conseil d’État du 8 novembre 2021.

[17Article 2 de la décision du Conseil d’État du 8 novembre 2021.

[18Ordonnance n° 2021-1659 du 15 décembre 2021 relative aux variétés rendues tolérantes aux herbicides. Le 9 mars 2022, le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation a présenté un projet de loi ratifiant l’ordonnance n°2021-1659 du 15 décembre 2021 relative aux variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH).

[19La demande a été présentée devant la section semences du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale, mis en place par la directive 2002/53.

Commission européenne, « Agenda de la section semences du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale », 8 mars 2022.

[20Le vote se déroulera au sein de la section semences du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale.

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