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Essais en champ des OGM non transgéniques version Brexit

Par Charlotte KRINKE

Publié le 16/03/2022

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Le Royaume-Uni n’avait pas quitté l’Union européenne que déjà la modification de la législation applicable aux OGM était évoquée. Deux ans après le Brexit, l’annonce est devenue réalité. Avec la volonté affichée de stimuler l’innovation, le gouvernement a en effet déposé un projet de règlement qui vise à alléger les règles encadrant les essais en champ pour les OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique. Malgré l’opposition des associations anti-OGM et de l’agriculture biologique et un rapport sénatorial très critique, le projet a été définitivement adopté par le Parlement le 14 mars.

Le 20 janvier 2022, le gouvernement du Royaume-Uni a publié un projet de règlement [1] qui traduit une volonté depuis longtemps affichée : réduire les contraintes pesant sur les essais en champ pour les plantes issues des nouvelles techniques de modification génétique, les fameux nouveaux OGM. Pour le ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et de l’Agriculture, à l’origine du projet de règlement, il s’agit d’alléger le fardeau réglementaire pour la recherche et le développement et de stimuler l’innovation [2].

« Se libérer » du droit de l’Union européenne

Les règles qui s’appliquent actuellement au Royaume-Uni pour les essais en champ d’OGM sont issues du droit de l’Union européenne. Ainsi, ces essais relèvent-ils d’un régime d’autorisation et d’évaluation préalables. Ce régime implique une évaluation des risques environnementaux, une consultation publique et une information notamment sur la durée et la localisation de l’essai. Par ailleurs, une autorisation du Secrétaire d’État est nécessaire avant tout essai en champ.

Ces règles sont depuis longtemps jugées trop contraignantes par le gouvernement britannique. Dès octobre 2017, le ministre de l’Agriculture conservateur George Eustice (toujours en place) avait annoncé son intention de modifier la législation sur les OGM et critiqué en creux celle de l’Union européenne qui ne serait pas fondée sur la science et serait disproportionnée [3]. À la suite du Brexit, effectif depuis le 31 janvier 2020, le Gouvernement met cette annonce à exécution.

Un traitement très préférentiel…

Le projet de règlement qui a été adopté par le Parlement le 14 mars 2022 remplacera, au 5 avril 2022, le régime de l’autorisation par un simple régime de déclaration. Concrètement, cela signifie que seule une notification préalable au Secrétaire d’État sera nécessaire pour procéder à un essai en champ d’OGM.

Finies donc l’évaluation préalable des risques environnementaux et sanitaires et la consultation publique… Finie aussi l’information sur la localisation de l’essai. La notification au Secrétaire d’État devra certes être accompagnée d’un certain nombre d’informations (titre et but du projet, nom et coordonnées du responsable du projet, date et durée du projet, informations sur la plante concernée…) [4], mais la localisation, l’ampleur de l’essai et la description des mesures de précaution prévues pour minimiser ou éviter le transfert de gènes et d’autres risques sanitaires ou environnementaux n’en font pas partie.

L’absence de ces informations, combinée à l’absence d’évaluation préalable des risques sanitaires et environnementaux, inquiète particulièrement le secteur de l’agriculture biologique et les associations critiques envers les OGM. Pour Organic Farmer & Growers, « des évaluations des risques doivent être mises en place et des contrôles correctement effectués dans toutes les situations de sélection végétale, surtout quand les disséminations constituent un risque important ». Quant à l’association GM Freeze, elle relève que « les essais en champ d’OGM ont, dans de nombreux cas, conduit à la contamination de pollen, de graines et autres matériel végétal capable de se reproduire » et que « en l’absence de mesures de précaution obligatoires, les agriculteurs, les producteurs et les distributeurs de denrées alimentaires seront exposés à des perturbations commerciales importantes et à des coûts potentiellement exorbitants en cas de contamination des cultures conventionnelles ou biologiques de la même espèce ou d’une espèce étroitement apparentée. Une telle contamination pourrait entraîner une perte d’activité, la perte du statut biologique (le cas échéant) et des poursuites judiciaires ».

Le ministère de l’Agriculture minimise toutefois ces craintes. Selon lui, les plantes génétiquement modifiées concernées par son projet de règlement « ne posent pas de risques plus importants à la santé humaine et à l’environnement que leurs homologues issus de sélection traditionnelle ». La méthode par laquelle ces plantes ont été obtenues n’aurait aucun effet sur ces risques.

Dans un rapport publié le 10 février 2022 [5], les sénateurs étaient loin de partager cette vision et ce d’autant plus que les nouvelles règles reposent sur le principe de l’auto-déclaration. Selon eux, le ministère devrait réaliser et publier une évaluation de la mise en oeuvre concrète des nouvelles règles et de tout dommage environnemental, sanitaire ou économique.

… pour une sub-catégorie d’OGM aux contours très vagues

Les nouvelles règles ne s’appliqueront qu’en Angleterre (pas en Écosse, ni pays de Galles ni Irlande du Nord) et ne bénéficient qu’aux OGM issus des nouvelles techniques de modification génétique que le projet de règlement qualifie de « qualifying higher plant », une expression qui pourrait être traduite par « plante supérieure admissible ».

Pour le Gouvernement, ces « plantes supérieures » sont bien des OGM mais elles ne seraient génétiquement modifiées « que pour apporter des modifications qui auraient pu se produire naturellement ou qui auraient pu être obtenues par des méthodes de sélection conventionnelles ».

Avec cette définition, le gouvernement britannique choisit, comme les États-Unis, de fonder sa réglementation sur les caractéristiques génétiques et biochimiques de la seule modification génétique revendiquée du produit final plutôt que sur la méthode avec laquelle il a été fabriqué et les risques qu’elle peut générer (contrairement à l’UE… mais conformément aux projets non aboutis de la Commission européenne). Le Gouvernement reprend aussi à son compte l’affirmation de l’industrie des biotechnologies selon laquelle les nouvelles techniques de modification génétique permettent de reproduire ce que fait la nature mais seulement en plus rapide. Or cette affirmation n’a aucun fondement scientifique. Des études scientifiques démontrent en effet que les techniques de modification génétique, dont les nouvelles techniques, produisent aussi des effets non intentionnels [6] [7] [8] [9] qui ne se produisent pas de la même manière naturellement. De plus, seule la description génétique ou biochimique de la modification revendiquée est semblable à la description selon les mêmes critères de « ce que fait la nature », mais pas nécessairement la modification elle-même ni ses conséquences sur le reste du génome, de l’épigénome et des relations de l’organisme ainsi modifié avec l’environnement dans lequel il sera introduit. Les organismes issus de ces techniques sont donc inévitablement différents de leur équivalents non génétiquement modifiés et d’ailleurs à ce titre traçables et détectables. Affirmer le contraire a aussi des implications en termes de brevets. Car si les organismes issus des nouvelles techniques de modification génétique sont déclarés identiques à ce que produit la nature, la portée des brevets qui les couvrent s’étend-elle aux éléments naturels déclarés « semblables » ?

À l’absence de fondement scientifique s’ajoute une incertitude juridique. Le Gouvernement n’a pour le moment défini aucun critère permettant de déterminer si une modification génétique aurait pu se produire naturellement ou par des méthodes de sélection conventionnelles. Dans un système qui repose sur l’auto déclaration, disposer de critères de définition clairs paraît pourtant indispensable… Cet « oubli » était d’ailleurs déjà sévèrement critiqué par les sénateurs dans le rapport du 10 février 2022. Les sénateurs y relèvaient que la question des critères de définition avait déjà été soulevée lors de la phase de consultation publique du projet de règlement et que le Gouvernement ne pouvait donc pas ignorer qu’elle suscitait l’inquiétude du public. Les sénateurs demandaient « instamment au ministère de veiller à ce que des directives soient publiées en temps utile avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles […] afin de fournir des informations claires pour les chercheurs et ceux qui ont des inquiétudes au sujet de la nouvelle politique » [10]. Mais en vain donc car alors que le texte a été adopté le 14 mars, les directives n’ont toujours pas été publiées. Elles sont attendues d’ici la fin du mois d’avril.

Le ministère a annoncé que ce texte est la première étape d’un programme de réforme plus large de la réglementation applicable aux OGM. Mais il n’a pas précisé les contours de la réforme à venir. Gageons toutefois que son intention n’est pas de renforcer cette réglementation…

[1The Genetically Modified Organisms (Deliberate Release) (Amendment) (England) Regulations 2022.

[2Explanatory memorandum to the genetically modified organisms (deliberate release)(amendment)(England) regulations 2022.

[4Regulation 9B, The Genetically Modified Organisms (Deliberate Release) (Amendment) (England) Regulations 2022.

[5House of Lords, Secondary Legislation Scrutiny Comittee, Twenty Ninth Report, Instruments under the European Union (Withdrawal) Act 2018 : Published Draft Instrument, Février 2022.

[10House of Lords, Secondary Legislation Scrutiny Comittee, Twenty Ninth Report, Instruments under the European Union (Withdrawal) Act 2018 : Published Draft Instrument, Février 2022.

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