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La protection des lanceurs d’alerte adoptée par le Parlement français

Par Christophe NOISETTE

Publié le 21/03/2022

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Inf’OGM rend compte dans cet article de la discussion parlementaire autour de la loi pour la protection des lanceurs d’alerte. Le texte adopté par l’Assemblée nationale apportait des améliorations majeures par rapport aux textes existants… Mais le Sénat est revenu en arrière. La commission paritaire mixte, qui s’est réunie le 1er février, a finalement trouvé un accord qui rétablit l’essentiel des avancées adoptées en novembre par l’Assemblée nationale, se félicite la coalition pour la protection des lanceurs d’alerte [1] [2]. La loi a été définitivement adoptée le 16 février dernier. Attaquée par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel l’a finalement validée le 17 mars dernier (sauf pour un article).

Vous pourrez suivre, dans cet article, les différentes étapes du vote, ainsi que nos mises à jour successives.

Le 17 novembre 2021, les députés ont adopté, à l’unanimité et en première lecture, la proposition de loi qui vise à mieux protéger les lanceurs d’alerte. Cette loi, si elle est adoptée par le Sénat, leur permettrait notamment de signaler leur alerte directement auprès d’organismes extérieurs.

Actuellement, la personne doit prévenir, en premier lieu, son employeur. Un frein dans les signalements car beaucoup de lanceurs d’alertes craignent des représailles. Ces organismes « non seulement, auront l’obligation de prendre le sujet, mais auront des délais impartis pour traiter l’alerte », explique Sylvain Waserman, rapporteur de la loi et député MoDem.

Autre changement : la proposition de loi remplace l’expression de « manière désintéressée » par « sans contrepartie financière directe ». Car la notion de désintéressement est jugée ambiguë et peut mettre le lanceur d’alerte en difficulté en cas de recours pour obtenir des indemnités devant les prud’hommes. Enfin, en cas de représailles de l’employeur, les sanctions ont été renforcées : jusqu’à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende.

La Maison des Lanceurs d’Alerte, dans un communiqué de presse [3], considère qu’il s’agit « d’une avancée considérable pour les lanceurs d’alerte, dont les droits se trouvent renforcés », mais regrette « que le débat n’ait pas permis, conformément aux vœux de la coalition d’associations et de syndicats réunie par la Maison des Lanceurs d’Alerte et des députés présents en séance, de se doter d’une législation exemplaire et pousser encore plus loin les ambitions du texte ». Ainsi, par exemple, la Maison des Lanceurs d’Alerte appelle « le gouvernement à inscrire dans la proposition de loi la mise en place et le financement d’un fonds de soutien financier et psychologique. Car si la loi prévoit d’assister financièrement les lanceurs d’alerte devant affronter la justice, elle oublie toutes celles et tous ceux qui subissent d’autres types de représailles sans aller devant les tribunaux : le licenciement, la révocation, la mise à l’écart des réseaux professionnels ».

La Commission des lois du Sénat édulcore le texte adopté

Le Sénat, réuni en Commission des lois, le 15 décembre 2021, a sensiblement modifié le contenu du projet de loi adopté par l’Assemblée nationale. La Maison des Lanceurs d’Alerte a alors déclaré être inquiète face à « la suppression de dispositions parmi les plus progressistes ».

Les membres de la Commission des lois du Sénat ont modifié la définition même d’un lanceur d’alerte. Le texte adopté précédemment par les députés définit le lanceur d’alerte comme  » une personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général « , ou une violation d’un engagement international de la France. Après passage par cette commission, la notion de  » menace ou préjudice pour l’intérêt général  » a ainsi été remplacée par celle  » d’actes ou d’omissions allant à l’encontre des objectifs poursuivis par les règles de droit « .

La Commission des lois du Sénat est aussi revenue sur l’irresponsabilité pénale des lanceurs d’alerte. Elle a précisé qu’elle ne s’étendrait pas aux  » atteintes à la vie privée  » (par exemple, la violation de domicile) ou aux  » atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données « .

Et le Sénat continue le travail d’affaiblissement

Finalement, le Sénat, réuni en plénière le jeudi 20 janvier 2022, a amendé et affaiblit considérablement le texte adopté par l’Assemblée nationale. La Maison des Lanceurs d’Alerte estimait alors, dans son communiqué de presse, que « la majorité sénatoriale a confirmé être passée à côté des enjeux d’un texte pourtant d’intérêt général » [4]. Certes, reconnaît-elle, le Sénat a rétabli la définition de l’Assemblée nationale en réintégrant comme motif d’alerte les menaces et préjudices graves pour l’intérêt général, et non seulement les violations de la législation. Mais, le texte adopté par le Sénat présente de nombreux points d’inquiétudes. Ainsi, il « durcit les possibilités de divulgation d’une alerte à la presse, ce qui réduit les chances que l’alerte soit effectivement traitée » et encadre de façon plus stricte « les moyens d’obtenir les informations nécessaires à l’alerte (…), limitant ainsi les révélations possibles » (par exemple le lanceur d’alerte prouvant des maltraitances animales, telles que le broyage de poussins non rentables pour la filière, serait poursuivi pour intrusion dans une propriété privée). Il oblige également « les lanceurs d’alerte à rembourser la provision pour frais de justice s’ils n’obtiennent pas gain de cause même si leur alerte a été effectuée de bonne foi, ce qui est particulièrement dissuasif tant ce montant peut être élevé ».

Le texte sera soumis en commission mixte paritaire le 1er février 2022. Sur cette question cruciale pour la démocratie et la transparence de l’information, Inf’OGM, avec les autres associations et syndicats membres de la coalition pour la défense des lanceurs d’alerte, demandent « aux parlementaires [de ne pas passer] à côté de cette opportunité pour la France d’être exemplaire en matière de protection des lanceurs d’alerte. Cette directive (…) est une occasion exceptionnelle de doter la France d’une législation de référence, d’alimenter la renommée internationale qu’elle a acquise avec la loi Sapin II en matière de protection des lanceurs d’alerte. Pour ce faire, la commission mixte paritaire doit rétablir les avancées du texte de l’Assemblée nationale. Nous appelons aussi le gouvernement à garantir l’adoption de la loi avant la fin de la session parlementaire ».

Mais la commission paritaire mixte rétablit les avancées

Réunis le 1er février 2022, les députés et sénateurs ont donné “ un signal fort en faveur de la vigilance citoyenne ”, estime la coalition pour la protection des lanceurs d’alerte [5]. En effet, ils ont trouvé un accord qui rétablit l’essentiel des avancées adoptées en novembre par l’Assemblée nationale.

Concrètement, la loi permet désormais aux associations et syndicats de devenir « facilitateurs d’alerte » et de bénéficier de la protection accordée aux lanceurs d’alerte. Par ailleurs,  » le texte acte l’élargissement des possibilités accordées aux lanceurs d’alerte de divulguer leurs informations à la presse « . Enfin, troisième point important adopté lors de cette commission mixte : il a été mis fin à l’obligation pour les lanceurs d’alerte de saisir leur employeur en premier lieu avant d’envisager la saisine d’une autorité et impose à cette dernière un délai de réponse. Pour la coalition,  » le processus s’en trouve fluidifié et clarifié « .

La loi adoptée définitivement le 16 février 2022

Sans surprise, les députés puis les sénateurs ont adopté le texte proposé par la commission mixte paritaire [6].

Le Conseil constitutionnel valide la loi

Le Premier ministre, Jean Castex, avait saisi le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 17 mars 2022 [7], le Conseil constitutionnel considère que seul l’article 11 est contraire à la Constitution. Cet article prévoyait la possibilité de sanctionner par une amende civile les plaintes avec constitution de partie civile jugées abusives ou dilatoires. Pour la coalition, ce jugement ne remet donc pas en cause les avancées majeures de la loi.

[2Liste des organisations membres de la coalition : https://loi.mlalerte.org/qui-sommes-nous/

[4La Maison des Lanceurs d’Alerte, « Après le vote du Sénat, les parlementaires doivent saisir cette opportunité pour la France d’être exemplaire », communiqué de presse, 21 janvier 2022.

[5Coalition pour la protection des lanceurs d’alerte, « Les lanceurs d’alerte ne seront plus seuls », communiqué de presse, 1er février 2022.

[7Décision n° 2022-839 DC du 17 mars 2022 du Conseil constitutionnel.

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