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Animaux OGM et unisexes grâce à Crispr/Cas

Par Annick Bossu

Publié le 14/01/2022, modifié le 01/12/2023

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L’industrie de l’élevage de volailles verrait d’un bon œil de ne pas faire naître les encombrants mâles, au lieu de les tuer à la naissance. Pour les animaux de laboratoire, certaines expérimentations ne nécessitent qu’un seul sexe. Globalement, les mâles sont plus intéressants car ils peuvent, grâce à de multiples accouplements, engendrer de nouvelles portées tous les quelques jours, alors qu’une femelle a besoin de six à huit semaines pour en produire une. Cependant les femelles peuvent être préférées pour certaines expérimentations. Le sexe non désiré est détruit à la naissance. Des méthodes existent pour fausser le rapport mâle/femelle des animaux nouveaux-nés, comme le tri en laboratoire des spermatozoïdes en fonction de leur poids. Cependant, un article de Science évoque une « avancée » majeure : des chercheurs ont réussi à n’obtenir que des portées femelles ou mâles avec « une efficacité à 100% ».

La prouesse technique qui a permis d’aboutir à de tels résultats est « l’éditeur » de gènes Crispr/Cas, précisent Charlotte Douglas, généticienne moléculaire au Crick Institute (Royaume-Uni), et Peter Ellis, de l’université de Kent (Royaume-Uni), auteurs cités dans l’article publié dans Science [1]. Mais derrière ce terme réducteur, c’est bien de transgénèse dont il est question. Le complexe Crispr/Cas est employé ici comme une arme contre certains embryons. L’expérimentation a été réalisée chez les souris de laboratoire et a consisté à séparer les gènes des deux parties du système Crispr/Cas pour les placer de façon distincte sur les chromosomes sexuels.

Crispr /Cas pour ne faire naître qu’un sexe chez les souris

Le complexe Crispr/Cas9 comporte deux éléments : le complexe enzymatique Cas9 qui coupe l’ADN, permettant aux scientifiques de modifier des régions spécifiques, et l’ARN guide qui transporte le Cas9 au bon endroit du génome. Les chercheurs ont ciblé un gène (nommé Top1) essentiel à la réplication et à la réparation de l’ADN dans la cellule. Si ce gène est inactivé les cellules ne pourront se diviser et l’embryon mourra de façon précoce.

Pour n’obtenir que des femelles, les deux gènes des deux parties de Crispr/Cas construit pour cibler le gène Top1 sont séparés. Puis, le gène codant pour la partie Cas est inséré dans le chromosome Y du père et le gène codant pour l’ARN guide est inséré dans le chromosome X de la mère.

Après la fécondation, les mâles XY qui ont hérité des deux gènes Crispr pourront inactiver le gène ciblé Top1, responsable de la reproduction des cellules, et l’embryon mâle est détruit au stade 16 ou 32 cellules : l’implantation dans l’utérus n’a donc pas lieu. Ne naissent alors que les femelles. L’inverse se produit lorsque le complexe Cas a été fixé au chromosome X du mâle ; dans ce cas, aucun des embryons femelles ne se s’implante et la portée n’est constituée que de mâles.

Une technologie qui interroge

Les conséquences éventuelles de l’usage de Crispr/Cas sur les organismes qui ont reçu la moitié de son équipement génétique ne sont pas envisagées dans cet article. On peut cependant raisonnablement se poser des questions sur l’absence de risque de cet outil, notamment depuis que l’on connaît les orages génétiques qu’il crée (chromothripsie) [2] [3].

Le gène Top1 étant présent chez de nombreux animaux, cette approche devrait fonctionner chez d’autres espèces que la souris et, pour étendre cette technologie aux espèces animales n’ayant pas ce gène, les chercheurs se proposent d’explorer d’autres gènes sur les chromosomes sexuels qui pourraient être ciblés par le complexe Crispr/Cas.

L’article souligne que cette technique pourrait atténuer certains dilemmes éthiques : « le choix est fait avant la naissance de l’animal« , déclare ainsi Tak Mak, généticien au Princess Margaret Cancer Centre. Pour ses études sur le cancer du sein, il n’utilise que des souris femelles et il doit sacrifier tous les mâles nouveaux-nés. Cette nouvelle technologie « éliminera cette réalité désagréable et inefficace« , dit-il.

D’autres chercheurs, tel M. Wiles, sont pessimistes pour l’application de cette technologie en agriculture : « Malheureusement, c’est “mort dans l’œuf” pour la production alimentaire car le monde craint les OGM [organismes génétiquement modifiés]« , regrette-t-il.

Sue Leary, présidente d’une organisation à but non lucratif qui recherche des alternatives aux animaux dans la recherche, ne voit pas beaucoup d’avantages dans cette approche. « Vous ne pouvez pas résoudre un problème éthique avec un autre problème éthique, qui est le génie génétique« , explique-t-elle.

Peu de personnes semblent s’inquiéter du fait que cette technologie sera bientôt testée sur des humains. « Cette approche nécessite des modifications génétiques qui ne sont pas réalisables chez l’Homme« , souligne Ehud Qimron, de l’université de Tel Aviv, favorable à cette technique. Des précautions éthiques semblent être avancées pour l’espèce humaine, mais peut-on s’y fier ?

[1Pennisi, E., « Gene editing produces all-male or all-female litters of mice« , Science, Vol 374, Issue 6573.

[2« Chromothripsie : à la découverte des tempêtes génétiques », Octave Larmagnac-Matheron, 21 juin 2021.

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