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Inde – PepsiCo perd ses droits sur la pomme de terre de marque Lay’s

Par Charlotte KRINKE

Publié le 28/12/2021

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Le 3 décembre 2021, l’Autorité indienne de protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs a annulé les droits de la multinationale PepsiCo sur l’une des variétés de pomme de terre les plus connues au monde : celle avec laquelle sont fabriquées les chips « Lay’s ». Une décision qui marque une victoire pour les agriculteurs indiens, mais qui résulte surtout d’une négligence administrative invraisemblable de la part de la multinationale.

Lorsqu’il s’agit d’évoquer les conflits entre les agriculteurs indiens et les multinationales, c’est généralement d’OGM, de brevets et de Monsanto dont il est question. Mais l’actualité récente s’illustre par un autre combat juridique, contre une autre multinationale américaine et un autre droit de propriété intellectuelle : celui opposant une organisation de défense des droits des agriculteurs contre le certificat d’obtention végétale (COV) détenu par PepsiCo India Holding, filiale indienne de PepsiCo Inc., sur la variété de pomme de terre FL-2027 servant à la fabrication des célèbres chips « Lay’s ».

L’attaquant attaqué

Ce COV avait été délivré à PepsiCo India Holding le 1er février 2016 par l’Autorité indienne de protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs. Sur le fondement de ce COV, l’entreprise a poursuivi, en 2018 et 2019, neuf agriculteurs de l’État du Gujarat, exigeant d’eux des dommages et intérêts aux montants exorbitants [1]. Elle estimait en effet que ces agriculteurs portaient atteinte à son droit exclusif en cultivant cette variété de pomme de terre sans autorisation. Les poursuites ont finalement été abandonnées par PepsiCo face à la pression gouvernementale et médiatique. Elles ont néanmoins donné lieu à une procédure de contestation de son COV sur la pomme de terre FL-2027 par les organisations de défense des droits des agriculteurs, dont l’Alliance pour une agriculture durable et holistique (ASHA), représentée par Mme Kavitha Kuruganti. C’est la procédure intentée par cette dernière qui a conduit l’Autorité de protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs à annuler le COV de PepsiCo le 3 décembre dernier [2].

Un certificat d’obtention végétale contraire à l’intérêt général

Si les raisons qui conduisent l’Autorité à annuler le droit de PepsiCo sur la variété de pomme de terre FL-2027 sont, comme nous allons le voir, principalement liées à la désinvolture de la multinationale, le jugement de l’Autorité met en avant plusieurs particularités du droit des obtentions végétales indien : la place du droit des agriculteurs et la possibilité de déclarer nul un COV si l’octroi de la protection est contraire à l’intérêt général [3].

Dans le cas précis du COV de PepsiCo sur la pomme de terre FL-2027, l’Autorité a jugé, pour la première fois, que le harcèlement et l’intimidation des agriculteurs doivent être considérés comme une question d’intérêt public. L’Autorité rappelle en effet clairement que la loi de protection des variétés végétales et des droits des agriculteurs de 2001 a pour objet de protéger les agriculteurs. Or, les neuf agriculteurs poursuivis par PepsiCo ont été sérieusement mis à l’épreuve, notamment en subissant la menace d’avoir à payer de lourdes pénalités financières sur la base d’une « prétendue atteinte » au droit d’obtention végétale de PepsiCo.

Cette atteinte est « prétendue » car, en vertu de la loi indienne, les agriculteurs ont le droit de conserver, d’utiliser, de semer à nouveau, d’échanger, de partager ou de vendre leurs produits de la ferme, y compris les semences d’une variété protégée par un COV, la seule condition étant qu’ils ne peuvent pas les vendre en tant que semences de la variété protégée [4]. Mais, surtout, il s’agit d’une « prétendue atteinte » au droit d’obtention de PepsiCo car, selon l’Autorité, la multinationale a intenté une action contre les agriculteurs indiens sur le fondement d’un COV illégal.

Des légèretés administratives lourdes de conséquences

Cette illégalité résulte de la légèreté avec laquelle la multinationale considère les obligations posées par le droit indien. Ainsi, dans son dossier de demande de protection, la multinationale a renseigné non pas une seule mais plusieurs dates de première commercialisation de la variété de pomme de terre FL-2027. Cette information est pourtant cruciale pour déterminer si la variété est nouvelle, déjà existante, ou si elle relève du domaine public et qu’elle ne peut alors pas faire l’objet d’une protection par un COV… C’est donc sur la base d’une information incorrecte que la multinationale, aidée par une administration au demeurant peu consciencieuse, s’est vue délivrer son COV – et s’en est prévalu pour poursuivre et intimider des agriculteurs indiens.

Surtout, PepsiCo n’est pas l’obtenteur de la variété de pomme de terre FL-2027. Normalement, la multinationale aurait alors dû fournir un document attestant que l’obtenteur de la variété, en l’occurrence Dr. Robert W. Hoopes, scientifique et obtenteur chez Recot Inc. (devenu ensuite Frito Lay North America – FLNA), lui avait effectivement cédé ses droits. La demande de PepsiCo en Inde comportait un formulaire censé attester que la multinationale détenait les droits nécessaires. Certes, ce formulaire s’ouvrait sur la formule « Je soussigné Dr Robert W. Hoopes ». Mais il était signé par le directeur des opérations de PespsiCo en Inde… Par ailleurs, le document auquel ce formulaire faisait référence était un contrat de cession non pas entre l’obtenteur et PepsiCo mais entre l’obtenteur et Recot Inc. Le contrat ne répondait qui plus est pas aux conditions exigées par la loi indienne. Des erreurs que l’administration indienne a négligé de faire remarquer à la multinationale et que PepsiCo a tenté de corriger à l’audience en affirmant que les droits sur la variété FL-2027 lui avaient été cédés oralement par Recot Inc. (FLNA). Compte-tenu de la valeur commerciale de la variété FL-2027, ces erreurs, surprenantes de la part d’une multinationale qui ne peut pourtant pas se cacher derrière un manque de moyens, pourraient être lourdes de conséquences s’il prenait l’envie à l’obtenteur de réclamer une part des bénéfices.

En attendant, c’est par l’annulation de son droit sur la pomme de terre FL-2027 que l’entreprise PepsiCo est punie de sa désinvolture. Au regard du droit indien, ni la cession des droits de l’obtenteur à Recot Inc./FLNA, ni la cession orale des droits de Recot Inc./FLNA à PepsiCo ne sont valides. PepsiCo ne pouvait donc pas prétendre à un COV sur cette variété de pomme de terre. Paradoxalement, les agriculteurs indiens tireront les avantages des libertés qu’a prises la multinationale avec la réglementation ainsi que de la négligence de l’administration…

[3The protection of plant varieties and farmers’ rights Act, Section 34 (h), 2001. L’Inde n’est pas partie à la convention de l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV), contrairement aux États membres de l’Union européenne, dont la France. Or, le paragraphe 2) de l’article 21 de cette convention stipule que les États parties ne peuvent pas prévoir des motifs d’annulation du droit de l’obtenteur autres que ceux prévus dans la convention. Selon la convention, le droit de l’obtenteur peut être déclaré nul s’il est avéré que les conditions de nouveauté et de distinction n’étaient pas effectivement remplies lors de l’octroi du droit d’obtenteur, que lorsque l’octroi du droit d’obtenteur a été essentiellement fondé sur les renseignements et documents fournis par l’obtenteur, les conditions d’homogénéité et de stabilité n’étaient pas effectivement remplies lors de l’octroi du droit d’obtenteur, ou que le droit d’obtenteur a été octroyé à une personne qui n’y avait pas droit, à moins qu’il ne soit transféré à la personne qui y a droit. La convention de l’UPOV comporte, certes, une référence à l’intérêt public, mais en tant que motif permettant de limiter l’exercice du droit d’obtenteur (article 17).

[4The protection of plant varieties and farmers’ rights Act, Section 39(1)(iv), 2001. En France, les variétés couvertes par un COV de seulement 34 espèces peuvent être reproduites à la ferme, moyennant le paiement d’une redevance aux semenciers (Contribution Volontaire Obligatoire), mais leurs semences ne peuvent pas être échangées ni vendues par ces agriculteurs. Les petits agriculteurs sont exonérés de ce paiement. Pour toutes les autres espèces, la reproduction à la ferme est interdite et l’agriculteur doit obligatoirement racheter chaque année les semences.

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