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Nouvelles techniques : trop simples et trop complexes à la fois

Par Eric MEUNIER

Publié le 23/12/2021, modifié le 01/12/2023

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Pour l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA), les nouvelles techniques de modification génétique donnent des plantes trop simples pour pouvoir les différencier de plantes obtenues par des méthodes conventionnelles. Mais l’AESA affirme également que ces nouvelles techniques donneront des OGM tellement complexes que leur évaluation des risques sera difficile. Deux constats opposés qui, paradoxalement, alimentent la volonté de la Commission européenne de changer la réglementation OGM actuelle.

En février 2021, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA ou EFSA en anglais) publiait un avis sur l’évaluation des risques environnementaux liés aux OGM végétaux obtenus par biologie de synthèse [1]. Si le terme même de « biologie de synthèse » ne fait l’objet d’aucune définition officielle, l’AESA et la Commission européenne l’abordent comme un domaine visant à utiliser diverses technologies ou outils d’ingénierie pour « faciliter et accélérer le design, la fabrication et/ou la modification du matériel génétique d’organismes vivants ». Les techniques sont donc celles donnant des OGM mais leur utilisation empilée, nécessitant selon l’AESA des modélisations informatiques en amont du travail, conduit à les ranger sous le vocable de biologie de synthèse. En ajoutant ainsi un terme supplémentaire au sujet des OGM, AESA et Commission européenne éclairent le chemin suivi pour gérer l’encadrement à venir des nouvelles techniques de modification génétique. Un chemin qui s’illustre par un paradoxe étonnant à la base des propositions de révision de la loi en cours et à venir.

OGM non transgéniques : trop simples pour les étiqueter, trop complexes pour les évaluer

Une initiative lancée par la Commission européenne en septembre 2021 propose un nouvel encadrement réglementaire des OGM non transgéniques [2]. Elle justifie cette initiative par, notamment, la théorique incapacité à tracer ces OGM, affirmant, par exemple, que les modifications obtenues par mutagénèse dirigée peuvent « être également obtenues par mutations naturelles et des techniques d’amélioration conventionnelles ». La Commission européenne conclut, sur base d’un avis de l’AESA de 2012 [3] [4], que la mutagénèse dirigée présenterait de ce fait moins de risques que la transgénèse. Surtout, elle estime que les requis d’évaluation, d’autorisation, de traçabilité et d’étiquetage posent un défi pour ces OGM qu’il serait « difficile ou impossible de différencier de plantes améliorées conventionnellement ».

Cette impossibilité de distinguer OGM non transgéniques et plantes « améliorées conventionnellement » disparaît quand ces mêmes OGM sont analysés dans le dossier de la biologie de synthèse. Un dossier au nom différent mais avec les mêmes techniques. Dans son avis publié en février 2021, l’AESA écrit en effet que la biologie de synthèse est une approche interdisciplinaire qui combine ingénierie et biologie. Elle ne diffère donc en rien de ce qui est appelé OGM depuis les années 90, sinon dans le volume de modélisation informatique préalable aux travaux de modifications génétiques à réaliser. L’AESA précise d’ailleurs que « dans le cas des futures plantes obtenues par biologie de synthèse, les phénotypes pourraient être plus complexes (…) représentant un défi pour les approches actuelles d’évaluation des risques ». Et plus loin que « les approches de biologie de synthèse peuvent affecter différentes voies métaboliques, mener à de nombreux changements des caractéristiques agronomiques / phénotypiques et de composition des plantes GM ». Cette fois, ce n’est donc pas la similitude avec des « plantes améliorées conventionnellement » qui est mise en avant mais la complexité des produits obtenus par les nouvelles techniques de modification génétique. L’AESA résume que, pour l’évaluation des risques environnementaux liés à ces produits, « les requis du cadre réglementaire européen et les lignes directrices de l’AESA sont adéquates pour (…) les produits de biologie de synthèse à venir dans les dix prochaines années ». Elle précise néanmoins que certaines des informations requises « pourraient ne pas concerner tous les produits ».

Alors que la Commission européenne a annoncé, dans le cadre de son initiative de changement de l’encadrement réglementaire des OGM non transgéniques, que seraient maintenus « les objectifs de la législation actuelle quant à un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement », c’est bien cette dernière qui, comme nous allons le voir, fait l’objet de recommandations à la baisse de la part des experts européens !

Des OGM empilés à la fois transgéniques et mutés

Pour répondre à la Commission européenne, l’AESA a pris trois cas d’OGM théoriques. Théoriques car ces produits ne sont même pas sur le point de toquer à la porte de l’Union européenne mais « représentent les produits qui pourraient être développés sur base de l’état de l’art des approches de Biologie de synthèse avec un potentiel de commercialisation dans les dix années à venir ».

Le premier est un maïs doux modifié par transgenèse pour synthétiser de la vitamine B12. Cela nécessiterait environ une quinzaine de protéines. L’AESA souligne que reconstruire une telle voie de synthèse « est hautement complexe, nécessitant vraisemblablement d’intégrer des approches de biologie de synthèse » avec modélisation informatique pour sélectionner les constructions potentielles « les plus prometteuses », optimiser la régulation de l’expression génétique des transgènes pour atteindre les niveaux souhaités, ou encore modéliser le métabolisme des cellules pour identifier d’éventuels gènes natifs qui empêcheraient l’accumulation de la vitamine B12.

Le second cas est un blé sans gluten obtenu par mutagénèse à l’aide de Crispr/Cas9 « sans introduction de transgène ». Dans cet exemple, « le grand nombre de mutations nécessaires pour rendre ce blé sans gluten est bien au-delà de toutes plantes qui ont déjà été évaluées », précise l’AESA. L’approche de la biologie de synthèse permettrait alors d’identifier tous les gènes à cibler et d’éclairer le choix quant à la nature et la position des mutations à introduire dans chaque gène.

Le dernier exemple est un colza rendu résistant à des champignons. L’idée est d’introduire un transgène, codant une protéine mutée de résistance aux champignons, et de supprimer ou muter, à l’aide de Crispr/Cas9 par exemple, des séquences de gènes natifs qui rendent le colza sensible aux champignons. Selon l’AESA, la biologie de synthèse, du fait d’une modélisation de la protéine transgénique, est nécessaire pour identifier les mutations à introduire selon les pathogènes à cibler et pour choisir les gènes natifs à enlever ou à muter.

Les trois exemples pris par l’AESA sont donc des OGM obtenus en empilant insertion de transgènes, mutations et/ou délétions. La notion de biologie de synthèse intervient non du fait des techniques de modifications génétiques utilisées mais du fait des outils nécessaires pour modéliser les modifications à conduire.

Selon l’AESA, l’évaluation devra être « adaptée  »

Sur la base de ces trois cas théoriques, l’AESA fournit des réponses à la Commission européenne quant à ses possibilités d’évaluer les risques environnementaux associés. En effet, les experts européens concluent que pour les cas où « des caractéristiques complexes (…) ont été construites ou pour lesquels de multiples nouvelles caractéristiques ont été introduites », plusieurs requis actuels pour l’évaluation des risques devraient être adaptés. Par exemples, des paramètres jugés « pertinents à tester pour la caractérisation agronomique/phénotypique (des plantes GM) peuvent devoir être adaptés au cas par cas ». Central pour cette caractérisation, le concept même de comparateur « peut avoir à évoluer ». Les experts expliquent en effet que trouver une plante aussi proche génétiquement que possible peut devenir difficile. En conséquence, les tests statistiques et leur interprétation « peuvent avoir à évoluer », non seulement du fait de la trop grande distance séparant la plante modifiée et toute plante non modifiée pouvant servir de comparateur, mais également au vu de la « grande difficulté à établir une ligne claire entre le phénotype attendu, les effets pléiotropiques [5] et d’autres caractéristiques ».

Certains critères pourraient, eux, évoluer à la hausse, comme les impacts potentiels sur l’environnement à étudier. L’AESA considère en effet que « du fait de leur complexité et du nombre potentiel de voies métaboliques affectées, le comportement de ces plantes et leur impacts sur l’environnement seront vraisemblablement contexte-dépendant ». L’AESA envisage donc qu’il soit nécessaire d’analyser plus de cas de figures en fonction des environnements différents, une approche néanmoins prédite comme « comportant des défis dans sa mise en œuvre et son analyse ».

Dans les mois à venir, l’AESA publiera des avis sur l’évaluation des risques sanitaires des OGM obtenus par biologie de synthèse ou encore l’évaluation des micro-organismes génétiquement modifiés. Une chose est néanmoins acquise aujourd’hui : l’argumentaire de la Commission européenne repose sur un paradoxe. Pour elle, les nouvelles techniques de modification génétique donnent à la fois des OGM trop simples pour pouvoir être étiquetés et trop complexes pour pouvoir en évaluer les risques selon les règles existantes…

[3EFSA Journal, Scientific opinion addressing the safety assessment of plants developed through cisgenesis and intragenesis, EFSA Panel on Genetically Modified Organisms, Février 2012.

[5Pléiotropie : qualité d’un gène ou d’une protéine ayant la capacité de gouverner plusieurs caractères et de déterminer des effets différents ; ce type de gène contribue notamment à former divers traits.

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