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In vivo / in vitro : une différence majeure selon l’AESA

Par Eric MEUNIER

Publié le 14/12/2021

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Dans un avis publié en novembre 2021, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA / EFSA) a décrit une différence majeure entre la mutagénèse mise en œuvre in vitro sur des cellules et la mutagénèse mise en œuvre in vivo sur plante entière, par exemple. Pourtant, elle conclut que ces deux méthodes ne doivent pas être distinguées. Ce faisant, elle « valide » une affirmation similaire de la Commission européenne, énoncée sans base scientifique un an plus tôt.

Selon la Commission européenne, la mutagénèse mise en œuvre sur culture de cellules isolées (in vitro) bénéficie d’un historique d’utilisation sans risque au même titre que la mutagenèse plus ancienne appliquée sur plante entière (in vivo). Les produits issus de la mutagenèse in vitro sont donc considérés comme exemptés des requis de la loi par la Commission. C’est pourquoi, en août 2020, elle s’est opposée au projet de décret du gouvernement français visant à réglementer comme OGM les plantes obtenues par cette technique in vitro [1] qui avait été rédigé conformément à une décision du Conseil d’État de février 2020 et de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) de juillet 2018. Paradoxalement, la Commission européenne n’a jamais produit une liste de plantes mutées in vitro et commercialisées permettant d’établir un long historique d’utilisation sans risque et justifier ainsi l’exemption [2]. Elle affirme simplement que la mutagénèse mise en œuvre sur culture de cellules isolées in vitro est un continuum de la mutagénèse mise en œuvre sur plante entière (in vivo) et qu’elle bénéficie donc de l’historique d’utilisation sans risque de cette dernière.

Pour appuyer cette affirmation, elle a demandé à l’Agence européenne de sécurité des aliments (AESA), le 20 mai 2020, « de lui fournir une description détaillée des techniques de mutagénèse aléatoire mises en œuvre in vivo et in vitro ; d’évaluer si les modifications génétiques obtenues par des techniques de mutagénèse aléatoire et les mécanismes moléculaires sont différents selon que la technique est mise en œuvre in vivo ou in vitro ; d’évaluer si les mécanismes moléculaires sous-tendant les techniques de mutagénèse aléatoire sont différents selon que les techniques sont mises en œuvre in vivo ou in vitro ; d’évaluer si les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro nécessitent d’être considérées comme des techniques différentes comparées aux techniques de mutagénèse aléatoire in vivo ou si, au contraire, elles doivent être considérées comme un continuum ». Le 11 novembre dernier, l’AESA a publié son avis [3].

Une différence majeure entre in vivo et in vitro

Dans cet avis, l’AESA considère que la mutagénèse aléatoire consiste à utiliser soit des procédés physiques comme des irradiations, soit des produits chimiques pour provoquer des modifications génétiques. Elle est mise en œuvre in vivo lorsque le matériel végétal utilisé est une plante entière ou une partie de plante. Les mêmes procédés peuvent être appliqués in vitro à des cellules isolées. In vitro toujours, on peut utiliser aussi de manière efficace d’autres agents mutagènes physiques, comme la température, la pression… ou chimiques, comme l’oxydoréduction du milieu. Sous l’effet des substances chimiques utilisées, les cellules se séparent des tissus végétaux d’origine et se mettent en suspension dans le liquide destiné à les nourrir, puis se multiplient avant de s’agglomérer sous forme de cal. Ce n’est qu’à cette étape qu’elles se transforment en cellules embryonnaires pouvant donner naissance à de nouvelles plantes. Chacune de ces étapes, depuis l’isolement des cellules jusqu’à leur régénération en plantes entières, nécessite la mise en œuvre d’étapes ou techniques connexes elles aussi mutagènes [4], techniques qui ne sont pas utilisées in vivo. L’AESA n’évoque pas tous ces « détails » techniques qui distinguent pourtant la mutagenèse in vitro et in vivo.

Sur la base d’une définition fournie par la Commission européenne, l’AESA souligne néanmoins une différence selon que la mutagenèse est appliquée in vivo ou in vitro, à savoir la quantité de modifications génétiques obtenues. Elle explique ainsi que la mise en culture in vitro de cellules et leur multiplication induit une « diversité génétique retrouvée dans la descendance des plantes régénérées […] qui peut être exploitée pour augmenter la diversité génétique au sein d’une population de cellules ». Cette diversité est le fait de mutations et épimutations induites par la simple mise en culture in vitro de cellules. On parle de variation somaclonale. Or, l’AESA affirme ensuite que cette « variation somaclonale peut être couplée aux techniques de mutagénèse aléatoire lorsque mises en œuvre in vitro pour augmenter encore plus la fréquence de mutations ». Bien que clairement énoncée par les experts, une telle différence majeure de quantité de mutations obtenues n’est pas reprise plus avant par l’AESA dans son avis. Cette augmentation des modifications génétiques est pourtant une des raisons soulignées par la CJUE pour justifier la nécessité de soumettre ces techniques à l’application de la réglementation OGM [5].

Au contraire, le reste de l’avis de l’AESA est construit de manière à conclure à une absence de différences. L’AESA prend ainsi soin à expliquer, par exemple, que le type de mutations est le même que la technique soit mise en œuvre in vivo ou in vitro. Ce faisant, elle se comporte à l’image d’un expert qui constaterait dans un court paragraphe qu’il y a plus de gouttes d’eau dans un fleuve en cru que dans un ruisseau mais prendrait plusieurs pages à expliquer que la nature chimique d’une goutte d’eau étant la même dans le ruisseau et dans le fleuve en cru, il est non justifié de différencier les deux. Or, la quantité importe. Elle peut être à l’origine de nouvelles caractéristiques phénotypiques dans les plantes. Prendre en compte le nombre de mutations obtenues n’est donc en rien une aberration comme l’ont soulignés le Comité scientifique du Haut Conseil des Biotechnologies (HCB) en 2019 [6] et le Conseil d’État français le 11 novembre 2021 [7].

Une conclusion au service de la Commission européenne ?

En conclusion, l’AESA estime donc que « la même mutation et le trait dérivé dans une espèce végétale peuvent être obtenus potentiellement en utilisant des mutagénèses aléatoires in vivo et in vitro et les mutants obtenus seraient indistinguables ». Pour elle, « une distinction entre plantes obtenues par des approches in vitro ou in vivo n’est pas justifiée ». Cette formulation est possible pour l’AESA car elle se concentre sur la seule mutation revendiquée et non sur l’ensemble des modifications génétiques résultant de chaque procédé de mutagenèse utilisé, alors même que la question de la quantité est pourtant soulevée dans le contenu de l’avis. Par ailleurs, l’AESA prend le parti pris de n’aborder comme nature de la modification génétique que les mutations. Nul part dans son rapport ne sont évoquées les épimutations. Ces dernières consistent non pas en un changement de base composant l’ADN mais en un changement de l’état chimique de ces bases. Cette absence dans l’avis de l’AESA est étonnant car la réalité des épimutations n’est pas contestée. En France, le Comité scientifique du HCB les avait par exemple intégrées dans son commentaire du 29 juin 2020 sur le projet de décret français [8]. Il écrivait notamment que « les variations somaclonales sont donc le résultat de modifications génétiques et épigénétiques dont la fréquence d’occurrence est augmentée par la culture in vitro »…

Mais l’avis de l’AESA ainsi rédigé permet de ne pas donner tort à la Commission européenne. En effet, comme nous l’avons vu, cette dernière n’a pas attendu la réponse de l’AESA pour affirmer, dès août 2020, deux mois après avoir mandaté l’AESA, que les techniques de mutagénèse aléatoire mises en œuvre sur culture cellulaires in vitro sont un « continuum » de techniques de mutagénèse aléatoire mises en œuvre in vivo.

Un historique d’utilisation toujours absent

En août 2020, dans sa réponse au projet de décret de la France, la Commission européenne avait essayé de fournir deux exemples de plantes modifiées génétiquement par mutagénèse sur culture cellulaire in vitro et commercialisées depuis longtemps. Mais ces derniers s’étaient avérés non pertinents puisqu’il s’agissait de plantes à destination ornementale (œillet et chrysanthèmes) et non alimentaire, donc sans historique d’utilisation commerciale sans risque pour la santé [9]. Par ailleurs, l’œillet n’était pas issu d’une mutagénèse aléatoire mise en œuvre in vitro sur culture de cellules.

Sur cette question de l’historique d’utilisation, l’avis de l’AESA ne diffère pas vraiment de celui de la Commission. Les experts européens donnent, certes, beaucoup d’informations sur les débuts de la mutagénèse aléatoire, mais il est cependant rare que le matériel végétal utilisé soit précisé. Plus encore, aucune information n’est donnée sur les dates de mise sur le marché ou d’autres utilisations en milieu ouvert d’éventuels produits obtenus par mutagénèse aléatoire sur culture cellulaire in vitro. Pour des exemples renseignés de plantes modifiées génétiquement par mutagénèse aléatoire sur culture de cellules in vitro, au mieux peut-on lire dans l’exemple du riz que « d’autres riz mutés (…) ont également été obtenus par utilisation de mutagènes physiques (…) parfois en combinaison avec des techniques de culture in vitro ». Or, il s’agit du point clef du débat en cours comme l’a encore souligné le Conseil d’État français qui, le 7 février 2020, affirmait qu’il ressort « des pièces du dossier que tant les techniques ou méthodes dites « dirigées » ou « d’édition du génome » que les techniques de mutagénèse aléatoire in vitro soumettant des cellules de plantes à des agents mutagènes chimiques ou physiques (…) sont apparues postérieurement à la date d’adoption de la directive 2001/18/CE ou se sont principalement développées depuis cette date ».

L’AESA n’a donc pas établit un historique d’utilisation sans risque des OGM obtenus par mutagénèse aléatoire sur culture de cellules in vitro. Au contraire, elle note que « différents matériels végétaux peuvent être utilisés en mutagénèse chimique, allant de la plante entière aux culture de cellules in vitro. Les semences représentent le matériel végétal le plus utilisé. Cependant, l’application de mutagène in vitro à des explants est devenu plus courante ces dernières années ». Or, la définition utilisée par l’AESA de la mutagénèse aléatoire in vitro concerne des cellules végétales soumises à des agents mutagènes, suivi d’une régénération de plantes entières. Certes, le terme « explant » créé un flou. Mais on peut néanmoins lire dans cette phrase, rapprochée de la définition utilisée, que, selon l’AESA, l’utilisation courante de techniques de mutagénèse mises en œuvre sur culture de cellules in vitro est récente.

Dans leur rapport de trente pages, les experts de l’AESA décrivent donc une différence fondamentale entre la mutagénèse sur plante entière ou bourgeon in vivo et celle sur culture de cellules in vitro. Ils renseignent également que cette dernière est d’une mise en œuvre récente, datant de « ces dernières années ». Pourtant, le résumé et la conclusion de leurs avis affirment l’inverse, l’AESA écrivant qu’une « distinction entre plantes obtenues par des approches in vivo ou in vitro n’est pas justifiée », rejoignant ainsi la Commission européenne qui n’avait pas attendu ses experts pour affirmer, un an plus tôt, un continuum et donc une absence de différence…

[2ibid.

[3

Avis de l'AESA sur in vivo et in vitro
Avis de l’AESA sur in vivo et in vitro

[5Point 48 de l’arrêt de la CJUE du 25 juillet 2018 : « le développement de ces techniques/méthodes nouvelles permet de produire des variétés génétiquement modifiées à un rythme et dans des proportions sans commune mesure avec ceux résultant de l’application de méthodes traditionnelles de mutagenèse aléatoire ».

https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=1B27A980FCEBFAA659EFAAA0AAE768A8?text=&docid=204387&pageIndex=0&doclang=FR&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=532821

[8cf. note 6

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