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Plantes OGM usines à vaccins : entre promesses et réalité

Par Annick Bossu

Publié le 12/11/2021

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Depuis le début des années 80, des plantes sont étudiées et transformées pour leur faire produire des médicaments [1] et des vaccins. Cependant, à l’heure actuelle, aucun vaccin humain d’origine végétale n’a été approuvé sur le marché [2]. Au prétexte que seuls les vaccins pourraient mettre fin à la pandémie de Covid, la recherche en ce domaine a bénéficié de financements importants. Des vaccins d’origine végétale sont ainsi en cours d’essais précliniques ou cliniques. Comment modifie-t-on les plantes de façon à leur faire produire des vaccins ? La technologie utilisant Crispr/Cas est expérimentée. Où en est-on ?

Les vaccins contre la Covid sur le marché sont de trois types [3] : à virus inactivé, à ARN messager, à ADN. Un autre type est à l’étude, ce sont des vaccins dits « à protéines recombinantes » ou « vaccins sous-unitaires ». Ils sont composés, le plus souvent, de protéines virales isolées, mais parfois regroupées en une particule sans contenu évoquant un virus, appelée particule pseudo-virale (VPL pour virus like particule en anglais). Ces protéines, isolées ou regroupées, susciteront une réaction du système immunitaire. Elles constituent l’antigène susceptible de faire produire des anticorps à l’organisme vacciné.

Pour produire ces protéines, des cellules génétiquement modifiées sont utilisées. En fait, l’ADN de ces cellules est recombiné avec l’ADN codant certaines protéines virales , d’où le terme de protéines recombinantes. Les cellules productrices peuvent être des bactéries, des levures, des cellules d’insectes ou encore de mammifères, cultivées dans des fermenteurs et de façon industrielle. Un exemple classique de ce type de vaccin (à protéines isolées) est celui contre l’hépatite B commercialisé depuis 1986, alors que contre la Covid, ces vaccins sont en phase 2 d’essais cliniques (exemple : Sanofi-GSK).

Cette forme de production coûte cher par ses équipements et par certaines étapes techniques, dont celle de purification de la protéine recombinante. En effet, les cellules transgéniques sont cassées après culture et la protéine recombinante doit alors être séparée des cellules de manière à ce qu’aucun résidu cellulaire ne soit présent dans le vaccin.

Face à ces problèmes économiques de production, les plantes ou « systèmes végétaux » sont perçues comme des bioréacteurs permettant de produire à moindre coût des vaccins, « avec le défi d’une accélération de la production à grande échelle », et celui « de faciliter les exigences réglementaires », sans compter que « les systèmes végétaux impliquent des processus de production et de contrôle de la qualité moins compliqués que ceux des cellules de mammifères et de bactéries » [4]. Traduisons : les plantes ou cultures de cellules végétales ne véhiculeraient pas de pathogènes pour les mammifères.

Contre la Covid, des vaccins végétaux à particules pseudo-virales sont à l’étude. La société canadienne Medicago développe un tel vaccin en phase 3 d’essais cliniques.

L’article scientifique publié dans la revue Plants début septembre 2021 présente cette approche, qui combinerait l’utilisation de plantes et l’outil promu dans tous les domaines agricoles ou médicaux depuis quelques années, Crispr/Cas.

Des techniques mises en place depuis les années 80…

Depuis une trentaine d’années, certaines plantes telles que le tabac, le riz, le maïs, la pomme de terre, la laitue, la carotte, l’épinard et la luzerne sont expérimentées pour produire des molécules thérapeutiques ou des vaccins. Le but recherché est d’obtenir une plante fabriquant un vaccin (ou d’autres molécules thérapeutiques) de façon stable et pérenne.

La technologie utilisée est la transgénèse. Elle consiste à introduire une construction génétique contenant le gène d’intérêt, ici celui qui code pour la molécule vaccinale choisie, dans des cellules végétales ou des protoplastes [5] cultivés in vitro. Pour introduire cette construction transgénique dans les cellules, la transgénèse par Agrobacterium tumefaciens, une bactérie du sol qui infecte spontanément les plantes, a d’abord été privilégiée. Une partie de leur ADN (ADN-T) est ainsi modifiée avec la construction génétique permettant la synthèse de la protéine vaccinale. Après culture de ces cellules végétales transgéniques, certaines peuvent être régénérées en plantes transgéniques entières. Celles-ci seront multipliées par reproduction sexuée ou végétative si elles produisent suffisamment de molécules vaccinales. Cependant, le développement de ces lignées prend du temps et peut être compliqué par l’extinction des gènes, les dommages causés au génome de l’hôte ou la possibilité d’hybridation avec des cultures non transgéniques. Pourtant, dans la littérature scientifique, il est dit que les cultures céréalières sont intéressantes pour la production de ce type de vaccins « car ceux-ci produits dans les graines sont stables sur de longues périodes de stockage » [6]. Mais le fait qu’elles soient des plantes alimentaires rend le risque de contamination trop élevé.

Cette technique relevant de la transgénèse est soumise aux contraintes réglementaires issues de la législation sur les OGM. 

… aux technologies plus récentes

Mis en place au début des années 2000, des protocoles techniques consistent à faire produire de façon transitoire (quelques jours ou semaines) la protéine recombinante vaccinale par des plantes.

Un des outils utilisés peut être un virus végétal dit « à ARN » (de la mosaïque du tabac par exemple). Ces virus ont pour patrimoine génétique une molécule d’ARN et non d’ADN. Dans ce génome est insérée une séquence d’ARN codant une protéine antigénique choisie. Ces virus ont une grande capacité d’infection et de réplication dans la plante cible et donc, potentiellement, un rendement plus élevé de production de la protéine recombinante désirée qui sera utilisée comme vaccin. La plante est donc infectée avec ce virus recombinant qui s’y multiplie et fait produire la protéine en question. Après quelques semaines, les plantes sont sacrifiées et la protéine extraite. Le tabac Nicotiana benthamiana se prête particulièrement à cette technologie car son « système immunitaire s’est affaibli au cours des temps » [7] (il peut « accueillir » de nombreux virus). La luzerne est aussi utilisée.

Une autre façon de faire produire de manière transitoire une protéine d’intérêt, ici antigénique, est l’agro-infiltration utilisant la bactérie Agrobacterium. Ces bactéries sont modifiées génétiquement pour porter dans leur ADN-T un gène codant la protéine vaccinale et sont ensuite cultivées en masse dans un milieu liquide dans lequel les plantes sont immergées, l’ensemble étant soumis pendant quelques instants à une dépression. Ainsi, les bactéries envahissent les espaces intercellulaires et peuvent transférer leur ADN-T avec le gène d’intérêt aux cellules des feuilles. Les plantes sont alors replacées en serre où le gène va s’exprimer pendant 5 à 6 jours avant leur récolte. Puis vient la phase d’extraction et de purification de la protéine recombinante. Cette méthode rapide est particulièrement utilisée pour les maladies dont l’agent infectieux varie beaucoup, comme la grippe ou la Covid, car plus rapide pour produire la protéine souhaitée.

L’ article publié dans la revue Plants ci-dessus mentionné présente l’outil Crispr/Cas comme une avancée technologique susceptible d’améliorer encore, par sa précision, les protocoles de production de protéines recombinantes par les plantes et donc leur volume de production. L’idée serait de modifier génétiquement les plantes sans vecteur (Agrobacterium ou vecteur viral) avec Crispr/cas.

Outre ces « avantages » techniques, les auteurs de ce même article estiment que Crispr/Cas présente un avantage supplémentaire, celui de donner des plantes qui ne seraient pas réglementées comme donnant des OGM, et d’échapper ainsi aux contraintes juridiques. Une erreur factuelle pour ce qui concerne l’Union européenne, mais surtout, qui laisse de côté que l’utilisation de Crispr/cas est conditionnée à une transgénèse préalable.

Les auteurs reconnaissent que des raisons techniques liées aux connaissances incomplètes de la biologie des plantes et de leur grande variabilité freinent encore le travail. Ils font état d’incertitudes en affirmant que « le remplacement du gène cible par édition génomique reste un très grand défi » [8].

Faire produire des vaccins par des plantes mutées sans transgène, c’est-à-dire crispérisées, n’est donc pas encore une réalité.

Faire produire des vaccins à particules pseudo-virales par des plantes

Ces particules (VLP) miment le virus par leur taille et leurs motifs antigéniques mais elles n’ont pas de génome, donc n’ont rien à répliquer dans les cellules humaines où elles s’introduisent. Ces vaccins induisent une forte immunité par anticorps, ce qui justifie leur choix comme potentiels vaccins.

Les premières VLP ont été obtenues dans des levures génétiquement modifiées par transgenèse ou par l’intermédiaire d’un virus recombiné dans des cellules d’insectes. Des vaccins humains à VLP sont ainsi produits dans des levures (contre le virus de l’hépatite B et le papillomavirus). Mais ces VLP posent parfois des problèmes de sécurité sanitaire ou manquent d’efficacité.

Aux dires de leurs promoteurs, les VLP produites dans les plantes n’auraient pas ce problème sanitaire. Surtout, elles seraient plus efficaces lorsque la protéine vaccinale souhaitée a une structure complexe et la réponse immunitaire serait alors plus forte.

On procède en infectant des plantes (Nicotiana le plus souvent) par des virus végétaux viraux ou par Agrobacterium, les deux étant génétiquement modifiés de façon à faire produire à la plante la protéine vaccinale choisie. Dans le cas de la Covid, il s’agit de la protéine Spike de l’enveloppe car les autres protéines virales ne sont pas spécifiques du virus Sras Cov 2 [9]. Les plantes, infiltrées avec le vecteur modifié, produiront dans leurs cellules des protéines antigéniques qui s’assembleront spontanément en VLP produites par la plante de façon transitoire.

C’est ce que font deux entreprises dans le cadre du programme Blue Angel de la DARPA (l’agence étasunienne de recherche prospective pour l’armée), l’une au Québec (Medicago [10]) qui produit un vaccin contre la grippe H1N1 non encore homologué et qui travaille sur un vaccin contre la Covid (stade 3 des essais cliniques) dont « la nature précise des VLP reste confidentielle » [11], l’autre aux États-Unis (entreprise iBio).

Préparer génétiquement les plantes à devenir des usines à vaccins

L’article scientifique de la revue Plants est intéressant en ce qu’il témoigne de la complexité de ces travaux. Une complexité qui heurte les éventuelles simplifications de discours comme celui visant à affirmer « on va produire rapidement et efficacement des vaccins avec des plantes ». L’article explique à plusieurs reprises que ces plantes ont dû faire l’objet de modifications génétiques préalables afin de pouvoir remplir un rôle d’usine de production. Deux exemples sont donnés que nous allons expliquer.

Une première modification génétique vise à inhiber chez les plantes leurs voies de glycosylation des protéines : les végétaux produisent en effet des polymères de saccharides (sucres) qui leur sont spécifiques et dont il est nécessaire de se débarrasser lors de la production de molécules qui seront injectées à des animaux. Cette modification génétique consiste donc à inactiver deux séquences génétiques végétales impliquées dans cette voie de glycosylation [12].

Un second exemple de modification génétique concerne les plants de tabac comme Nicotiana. Cette fois, il s’agit d’éliminer des molécules toxiques comme la nicotine. Les auteurs de l’article expliquent que l’outil Crispr/Cas-9 peut être utilisé pour inhiber la synthèse de nicotine. Cette approche pourrait être mise en œuvre pour gagner du temps et donc, comme l’affirment les auteurs, de l’argent.

Une production à grande échelle des vaccins végétaux ?

Les promoteurs de tels vaccins imaginent facilement que ces plantes soient mises en culture au champ (une autre espèce de Nicotiana serait utilisée) [13]. Mais nous n’en sommes pas encore là pour des raisons évidentes de risques de contamination, notamment des plantes alimentaires. Pour le moment, ce sont donc dans d’immenses serres que des plants de Nicotiana b. produisant les VLP vaccinales (programme Blue Angel de la Darpa – Caliber Biotherapeutics aux États-Unis) sont cultivés sous éclairage artificiel et hors sol.

Des vaccins non injectables mais consommables par voie orale sont aussi à l’étude. Ils seraient produits de façon durable dans les chloroplastes des plantes maraîchères (salade, épinard …) et grâce aux nanotechnologies [14]. Chimère ? Jusqu’à quand ?

Ainsi, les laboratoires ayant choisi de transformer les plantes en usines de productions pharmaceutiques se heurtent à de nombreuses difficultés. Celles-ci sont de nature biologique : en effet, on est encore loin du passage de la plante considérée dans son entité à la « plateforme végétale » … à usage humain.

[2Citiulo F, Crosatti C, Cattivelli L, Biselli C. Frontiers in the Standardization of the Plant Platform for High Scale Production of Vaccines. Plants. 2021 ; 10(9):1828. https://doi.org/10.3390/plants10091828

[4Citiulo F, Crosatti C, Cattivelli L, Biselli C. Frontiers in the Standardization of the Plant Platform for High Scale Production of Vaccines. Plants. 2021 ; 10(9):1828. https://doi.org/10.3390/plants10091828

[5Les protoplastes sont des cellules végétales débarrassées de leur paroi – mais pas de leur membrane.

[8Frontiers in the Standardization… ibid

[9Trends in Plant Science, Vol : 25, Issue : 7, Page : 635-643, https://doi.org/10.1016/j.tplants.2020.04.009

[10Site Medicago, ibid.

[11Trends in Plant Science, ibid

[13Frontiers in the Standardization… ibid

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