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OGM – Crispr/Cas peut « éclater » les génomes

Par Eric MEUNIER

Publié le 28/10/2021, modifié le 20/02/2024

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En juillet 2021, le journal scientifique Nature Biotechnology rapporte qu’une des utilisations de Crispr/Cas peut induire des effets « extrêmement dommageables » dans les génomes. Connu sous le nom de chromothripsie, cet effet a été décrit récemment tant pour des organismes animaux que végétaux. En juillet 2021 également, le cours en bourse d’entreprises utilisant Crispr chutait.

Mi-juillet 2021, un article d’actualité et de synthèse paru dans dans le journal Nature Biotechnology [1] décrivait un effet négatif de l’utilisation de Crispr/Cas. Il ne s’agit pas cette fois de mutations hors du site de modification génétique ciblé, ni de persistance de séquence d’ADN dans un génome mais d’une « forme extrêmement dommageable de réarrangement génomique » selon le journaliste Cormac Sheridan. Cet effet, nommé chromothripsie, a été décrit à plusieurs reprises dans des articles scientifiques.

Crispr/Cas, générateur de chromothripsie

Le complexe protéique Crispr/Cas est utilisé pour induire des coupures dans une molécule d’ADN. Ces coupures peuvent concerner un seul des deux brins de l’ADN ou les deux brins. On parle alors de coupure double-brin. Dans ce dernier cas, une telle coupure peut induire une chromothripsie, nom donné à un « éclatement de chromosomes individuels et […] reconstitution ultérieure des morceaux dans un ordre aléatoire ». L’article publié par Nature Biotechnology précise logiquement que la plupart des cellules qui subissent un tel effet ne sont pas viables. Mais certaines peuvent l’être ! Dans ce cas, des protéines oncogéniques, c’est-à-dire capables de provoquer des cancers, peuvent être exprimées. Des séquences génétiques peuvent de leur côté voir leur expression dérégulée, ce qui peut « poser des problèmes ». Dans le cas de l’utilisation de Crispr/Cas en thérapie génique, « les implications cliniques, s’il y en a, restent méconnues » mais « aucune des entreprises leader dans le développement clinique de thérapie avec Crispr/Cas ne semblent avoir pris en compte ce problème » indique Cormac Sheridan.

Cet effet n’est pas le premier observé rappelle le journaliste. Crispr/Cas peut aussi induire de larges délétions de séquences génétiques par exemple, ou avoir une action sur l’expression de la protéine P53 impliquée dans la suppression de tumeurs. Un état des lieux qui interpelle Ben Kleinstiver de l’école médicale de Harvard, interrogé par le journaliste. Selon lui, si les coupures double-brin ont lieu naturellement, « la différence est qu’ici, nous provoquons intentionnellement des coupures double-brin dans les cellules […] nous le faisons activement avec les technologies d’édition du génome, je pense donc qu’il incombe à la communauté scientifique d’étudier et en comprendre les effets secondaires génotoxiques ».

Si l’article publié dans Nature Biotechnology rend compte d’observations sur cellules animales, le même phénomène a déjà été décrit chez les végétaux. Dans un chapitre de synthèse récemment publié [2], Yves Bertheau explique, référence scientifique à l’appui, qu’un effet de chromothripsie peut être dû à des étapes techniques de préparation de cellules végétales en vue d’une modification génétique ou de régénération de plantes après l’étape de modification.

Quelle prise en compte de cet effet négatif ?

Fyodor Urnov, de l’université de Berkeley, un autre chercheur interviewé, estime de son côté que « notre défi est de ne pas succomber à la paralysie épistémique face à ces débuts d’inquiétudes […] Vous pouvez publier mille papiers dans Nature à propos d’inquiétudes précliniques, aucun ne prédira les réels soucis sanitaires qui apparaîtront ». Une approche pour le moins étonnante si elle devait aboutir à convaincre des législateurs à ne plus conduire d’analyses de risques avant la commercialisation d’un produit obtenu par Crispr/Cas.

Cette prise de distance face à un potentiel risque se retrouve également du côté des entreprises interrogées par Cormac Sheridan. Julie Ferguson, d’Intellia, a ainsi affirmé que l’entreprise utilise « diverses évaluations moléculaires sophistiquées mises en place pour détecter les variants structurels chromosomiques » et précise ne pas avoir, à ce jour, observé d’effets liés aux modifications génétiques induites. Cristi Barnett, d’Editas Medecine, affirme également ne pas considérer que ce problème « soit spécifiquement problématique dans la perspetive de produire des médicaments basés sur Crispr ».

Tout le monde ne partageait pourtant pas cet optimisme d’Intellia ou Editas Medecine. Le média en ligne britannique GMWatch note [3] que, selon le site Seeking Alpha, la valeur boursière d’entreprises utilisant Crispr a chuté en juillet 2021, période de publication de l’article de Nature Biotechnology. GMWatch fait le lien entre la publication de l’article de Cormac Sheridan et les variations des cours en bourse, exposant que « l’impact à long terme de l’édition de gènes sur la santé pourrait ne pas être connu avant 2040 environ […] Compte tenu des perspectives incertaines, les investisseurs seraient bien avisés de réévaluer leurs positions dans les entreprises qui emploient la cassure du double brin d’ADN pour modifier le génome ».

[1« CRISPR therapies march into clinic, but genotoxicity concerns linger », Cormac Sheridan, Nature Biotechnology, Vol39, Juillet 2021, pp897–907

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