Pour vendre des semences et plants de variétés végétales « en vue d’une exploitation commerciale », donc en général à des professionnels qui vivent totalement ou partiellement de la vente de la récolte de ces semences ou des produits qui en sont issus, les variétés doivent être inscrites au Catalogue officiel des espèces et variétés végétales ; pour la vente (ou le troc, le don) à des amateurs, ce n’est a priori pas nécessaire, même si l’issue définitive de la saga de la clarification juridique se fait toujours attendre [2].
Inscrire gratuitement des variétés anciennes
Problème : l’inscription des variétés au Catalogue et leur maintien coûte plus ou moins cher selon les espèces et les listes concernées (voir encadré ci-dessous) (jusqu’à 15 000 euros pour l’inscription et l’examen DHS et VATE pour la betterave plus 10 000 euros de maintien pour 25 ans [3]). Mais pour les « variétés de conservation » ou dites « sans valeur intrinsèque », il n’y a alors qu’un droit administratif unique de 284 euros à payer, et un droit de maintien de 180 euros/an les cinq premières années, puis 450 euros par an jusqu’à 25 ans, 90 euros au-delà [4]. Mais pour le moment, l’inscription est gratuite, car les examens techniques sont pris en charge soit par le ministère de l’Agriculture (liste c variété de conservation), soit par la section potagères de Semae (liste d) [5], sous condition que l’obtenteur le demande.
Variétés « de conservation » et variétés « sans valeur intrinsèque » : des listes particulières
Depuis 2010, le Catalogue officiel français comporte, conformément à la réglementation européenne, deux nouvelles listes :
• La liste des variétés naturellement adaptées aux conditions locales et régionales et menacées d’érosion génétique, dites « variétés de conservation » [6], qui concerne à la fois les grandes cultures (liste C) et les espèces potagères (liste c). Ces dernières doivent présenter un intérêt pour la préservation des ressources phytogénétiques. En juillet 2021, 18 variétés en tout y sont inscrites , contre 12 un an auparavant [7]. L’évaluation de ces variétés comporte des allègements en matière de tests DHS (distinction, homogénéité, stabilité) et il n’y a aucune évaluation obligatoire des caractères agronomiques, technologiques et environnementaux [8]. Aucun examen officiel n’est requis sous réserve de fournir un certain nombre d’informations agronomiques. Lorsqu’une variété de conservation est admise, la France détermine la ou les régions dans lesquelles la variété est cultivée traditionnellement et auxquelles elle est naturellement adaptée. C’est dans cette région que se fait la sélection conservatrice et la multiplication de semences. Des restrictions sur les quantités de semences autorisées à la mise en marché sont prévues. Elles sont commercialisées sous forme de semences certifiées ou standard. À noter que ces dernières années, la région de conservation se fait de plus en plus vaste : ainsi il n’est pas rare de croiser la région « France » dans l’aire géographique à respecter !
• La liste des variétés « dont la récolte est principalement destinée à l’autoconsommation ou commercialisées pour une utilisation particulière » (dites, « sans valeur intrinsèques ») ne concerne que les espèces potagères et englobe l’ancienne liste française des variétés pour amateurs pour les variétés anciennes. La commercialisation de leurs semences ou plants n’est pas réservée aux seuls jardiniers amateurs. Cette liste (liste d) comporte, elle aussi, des allègements en matière de tests DHS. Aucun examen officiel n’est non plus requis sous réserve de fournir un certain nombre d’informations agronomiques. Les restrictions quantitatives portent sur le conditionnement : seule la vente en petits sachets ou petites boîtes est possible ce qui renchérit le prix de vente. Il existe 319 variétés de ce type (dont 87 de tomates) sur la liste française en juillet 2021 (contre 341 un an auparavant). Semae explique cette baisse par les coûts de maintien – au-delà des frais d’inscription - non compensés par les recettes. Les coûts d’inscription d’une variété sur cette liste sont pris en charge par Semae.
Source : Variétés « de conservation » et variétés « sans valeur intrinsèque » : des listes particulières (Pourquoi une inscription obligatoire des variétés dans un Catalogue officiel ? du 1er juillet 2020, actualisé par Inf’OGM, notamment pour le nombre de variétés en juillet 2021).
Le nombre des variétés anciennes de légumes inscrites au Catalogue est en diminution, les radiations augmentant faute de repreneurs pour leur maintenance dont les coûts, notamment en travail de maintenance, sont élevés. D’où la mise en place de l’idée d’un fonds de soutien par Semae en 2017, concrétisée en septembre 2020 sous la forme d’un accord interprofessionnel.
32 variétés anciennes soutenues pour rester ou entrer au Catalogue
Début 2021, 32 variétés anciennes ont été sélectionnées (sur 36 dossiers présentés) par la Section « Semences potagères et florales » de Semae [9]. Les critères étaient les suivants : être une variété ancienne de légumes en voie de radiation du Catalogue officiel (cinq variétés retenues) ; avoir un niveau de commercialisation insuffisant pour couvrir les frais de maintenance (16 variétés retenues, qui n’avaient qu’un seul mainteneur) ; avoir une valeur patrimoniale et culturelle en France et avoir été cultivée historiquement sur le territoire français. Les variétés patrimoniales de légumes pour lesquelles a été initiée une démarche d’inscription au Catalogue officiel pouvaient également être soutenues (sept variétés retenues).
Ces dossiers, qui émanent de neuf déposants [10], concernent douze espèces légumières : chou, pois potager, carotte, haricot, oignon, tomate, cardon, céleri, laitue, mâche, pastèque et radis [11].
Le montant annuel du Fonds de soutien (autour de 70 000 euros) varie chaque année, en fonction des dossiers éligibles. Il a fait l’objet d’un accord interprofessionnel pour une durée de cinq ans. Les variétés légumières peuvent être issues des listes a, b, c ou d du Catalogue officiel [12]. Chaque variété est aidée à hauteur de 750 à 3500 euros en tout pour cinq ans, en fonction de son mode de reproduction et de sa maintenance, avec éventuels « défauts à corriger » (voir tableau ci-dessous).
Avec simple maintenance | 750 € | 1 500 € |
Avec défaut à corriger | 1 500 € | 3 500 € |
Artisans semenciers : entre intéressés...
Inf’OGM a interrogé plusieurs artisans semenciers sur ce programme de Semae, dont certains en sont bénéficiaires et d’autres non [13]. Rappelons que légalement, les semenciers qui vendent pour des usages amateurs n’ont pas besoin d’une inscription au Catalogue officiel de leurs variétés si les quantités sont vendues en petits volumes et la mention d’exploitation non commerciale apparaît sur le contenant [14]. Dès lors, quel intérêt de payer pour inscrire tout de même sa variété au Catalogue ?
Pour certains, il s’agit de « remettre de la méthode dans la maintenance des variétés », « retrouver de la rigueur dans la sélection conservatrice », « répondre à l’attente du consommateur », car il y a « beaucoup d’erreurs et d’approximations dans la description des variétés ». Permettre aux acteurs privés d’être rigoureux sur la maintenance de variété du domaine public, alors que les pouvoirs publics se sont désengagés, est un des atouts de ce programme à leurs yeux. D’autant plus qu’ils ont pu proposer les variétés à maintenir.
Certains de ces acteurs reconnaissent le Catalogue comme un « outil nécessaire, efficace, rigoureux ». Par ailleurs, la participation à la commission de Semae permet « des échanges (techniques, pratiques, humains) et des débats qui s’avèrent constructifs ». « Et puis, ça nous permet de rentrer dans les aspects légaux ».
La pertinence du montant des aides (voir le tableau ci-dessus) est difficile à évaluer, mais les bénéficiaires s’accordent à dire que, vu les faibles sommes allouées, il s’agit essentiellement d’une reconnaissance de leur travail. Un semencier estime par exemple « le coût de la restauration d’une variété entre 1000 et 1500 euros par année de culture, pour un travail qui, selon l’hétérogénéité des semences de départ, peut prendre de un à sept ans pour rendre à la variété une homogénéité suffisante pour être commercialisable » (soit un coût maximal de 10 000 euros, à comparer au 3 500 euros au maximum octroyés par Semae). Et ce semencier d’ajouter que les contrôles variétaux du Geves constituent une aide indirecte supplémentaire pour réaliser ce travail. Enfin, pour ce semencier, le Catalogue « fixe clairement les différences entre les variétés nouvelles et celles déjà cultivées. (…) En tant qu’éleveur sélectionneur de variétés nouvelles je souhaite protéger mon travail pour éviter de me le faire "pirater". Pour cela, un système tel que celui des catalogues variétaux est bien utile voire indispensable. En tout cas je ne connais pas à ce jour d’autres moyens de faire reconnaître le travail de sélection et d’innovation variétale ».
L’Union pour les Ressources Génétiques du Centre-Val de Loire (URGC) participe aussi à ce programme Semae, mais n’a pas encore « suffisamment de recul pour savoir si [les sommes allouées] sont suffisantes ou non pour couvrir l’ensemble des coûts ou surcoûts que représente cette activité pour les mainteneurs de variétés anciennes ». Elle salue « la profonde évolution de l’interprofession des semences et plants et son ambition générale d’ouverture à toutes les formes et tous les usages des semences, et en particulier la création du fonds d’aide à la maintenance des variétés du domaine public ». Et espère que la 9e section du Semae « Diversité des semences et plants » qu’elle va intégrer dans le collège Sélection & Maintenance « puisse contribuer positivement à la valorisation et l’utilisation durable de la biodiversité cultivée en complément du fonds d’aide à la maintenance » [15].
… et très critiques
Pour d’autres semencier, inscrire sa variété au Catalogue n’a aucun intérêt. L’obligation d’une description DHS, même allégée, rentre en contradiction avec la notion même de variété population, évolutive au gré du contexte de production… « La biodiversité ne peut se contenir dans des catalogues ! Elle est vivante, évolutive et dynamique ». Le « Catalogue est un carcan et nous empêche de vendre des variétés évolutives », « le développement des variétés DHS du Catalogue a entraîné la perte des variétés anciennes », « il faut remettre de l’hétérogénéité dans les variétés... »… Et comme la vente (l’échange ou le troc…) de ces semences est légale si les quantités vendues et la mention d’exploitation non commerciale apparaît sur le contenant, nul besoin d’une quelconque inscription des variétés au Catalogue… Pour eux, Semae s’achète à peu de frais une belle image de sauveteur de variétés anciennes… Ces semenciers font partie, à l’instar de l’entreprise Kokopelli, de ceux qui ont refusé d’entrer récemment dans l’interprofession Semae [16].
Par ailleurs, catalogue ou pas, les artisans semenciers s’accordent sur un autre point : les règles de contrôle sanitaire sont beaucoup plus contraignantes qu’une inscription au catalogue ! En effet, en même temps que le législateur inscrivait dans la loi le droit de vendre des variétés du domaine public (jusqu’alors zone grise du droit pour certain, droit déjà acquis pour d’autres), il a obligé ces variétés à respecter « les règles sanitaires relatives à [leur] sélection et à [leur] production » [17]. Le Service officiel de contrôle et de certification des semences et plants (SOC) abrité par Semae, se charge de ces contrôles, vécus bien souvent comme un carcan par les artisans semenciers. Comme en a d’ailleurs récemment témoigné un des administrateurs d’Inf’OGM, lui-même artisan semencier, dans nos colonnes [18].
Il est indéniable qu’avec ce programme de variétés anciennes, Semae se met en phase avec la demande des consommateurs de légumes locaux et plus goûteux… Mais 32 variétés concernées, sur les milliers de variétés non inscrites, semble une goutte d’eau destinée à le rester au vu des coûts et du budget alloué. Par ailleurs, la norme de 10 % de hors-type acceptée pour les variétés des listes c et d semble être difficile à respecter pour les artisans semenciers et certains souhaitent donc l’assouplir. Une réunion d’échanges et d’information pour tous les acteurs concernés par le travail de maintenance aura lieu fin septembre.
Mais d’ores et déjà, Semae appelle les « entreprises, structures ou personnes qui réalisent le travail de maintenance de variétés du domaine public » à déposer leurs nouveaux dossiers pour la prochaine sélection qui aura lieu le 22 novembre 2021 [19].