n°164 - juillet /septembre 2021Interview / débat contradictoire

Réduction de la biodiversité : augmentation des pandémies !

Par Inf’OGM

Publié le 09/09/2021

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La réduction de la diversité biologique a des conséquences de grande ampleur au niveau écologique, mais aussi au niveau de la santé. Elle serait une cause majeure de l’émergence de certaines pandémies. Benjamin Roche, chercheur en biologie à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), répond à nos questions.

Inf’OGM – La pandémie actuelle est-elle un phénomène isolé ou est-elle appelée à se reproduire ?

Benjamin Roche – La pandémie actuelle était quelque chose d’attendu. En effet, les émergences de zoonoses [1] se sont multipliées ces dernières années, avec par exemple Ebola, les différents coronavirus, la grippe aviaire, etc. Or on sait que ces émergences de zoonoses sont étroitement liées aux modifications d’écosystèmes qui résultent des activités humaines, notamment la perte de biodiversité qui est principalement due à la déforestation ou le commerce d’animaux sauvages. Si notre impact sur les écosystèmes reste le même, il n’y a pas de raisons de ne pas avoir d’autres pandémies.

Concrètement, avant le 20e siècle, on avait une pandémie tous les 100 ans. Depuis le début du 20e siècle, on en a déjà eu six (grippe espagnole, grippe asiatique, HIV, Zika, grippe H1N1, SARS-CoV-2). Aujourd’hui, on estime que cinq zoonoses émergent chez l’homme chaque année (mais leur capacité de transmission interhumaine n’est pas toujours efficace).

Cependant, les maladies infectieuses ont diminué. Cela semble paradoxal, non ?

Beaucoup de maladies historiques ont diminué (rougeole en Occident par exemple), certaines sont restées très présentes (paludisme en Afrique), certaines se sont plus transmises (par exemple la maladie de Lyme) et certaines nouvelles sont apparues (VIH ou Covid).

En quoi une biodiversité appauvrie peut favoriser l’apparition de nouveaux virus ?

Il faut comprendre que pour un microbe donné, toutes les espèces n’ont pas la même capacité à le transmettre. Certaines espèces vont pouvoir très bien le transmettre, d’autres en sont incapables. Du coup, lorsque la biodiversité est importante, il y a beaucoup d’espèces qui ne peuvent pas transmettre les différents microbes. Ces espèces ne pouvant pas être infectées sont appelées des espèces cul-de-sac. En effet, l’objectif du pathogène est de se transmettre, donc il a tendance à se spécialiser sur les espèces les plus abondantes, qui sont censées être les dernières à disparaître. Par ailleurs, l’observation montre que lorsque l’on perd de la biodiversité, globalement on perd plutôt ces espèces cul-de-sac. Donc, quand on a une biodiversité appauvrie, on se retrouve avec majoritairement des espèces pouvant transmettre ces microbes de façon efficace. On appelle cela l’effet de dilution parce qu’une forte biodiversité « dilue » le niveau de transmission des microbes dans la faune sauvage. Ainsi, la biodiversité ne joue plus un rôle régulateur sur les pathogènes. De plus, les processus causes de cette perte de biodiversité, comme le commerce d’animaux sauvages ou la déforestation, amènent les populations humaines à être plus en contact avec cette faune sauvage de plus en plus infectée par les pathogènes à cause de la diminution de l’effet de dilution. On a donc le cocktail parfait pour avoir un microbe qui touche l’espèce humaine. Bien que tout ne soit pas encore clair sur l’émergence du SARS-CoV-2, il est tout à fait possible qu’un tel scénario se soit passé.

En quoi la co-évolution est-elle une garantie d’un équilibre naturel ?

Il existe une forte corrélation entre le nombre d’espèces animales et le nombre d’espèces de microbes. Leurs génomes respectifs sont le fruit d’une longue co-évolution qui est toujours en action. Ainsi, lorsque des espèces animales disparaissent, certaines espèces de microbes peuvent aussi disparaître. Mais, en même temps, les espèces disparues laissent une place vide que d’autres microbes vont prendre, et qui vont s’adapter à ce nouvel écosystème. On peut avoir des effets en cascade très importants lorsque l’on impacte les écosystèmes, visibles sur le court terme mais dont on peut avoir du mal à imaginer les conséquences sur le long terme. Pour prendre l’exemple des microbes, certains vont plus se transmettre sur le court terme (parce qu’on supprime l’effet de dilution) et certains autres vont pouvoir, sur le long terme, s’adapter à de nouvelles espèces (par exemple l’homme).

Et en quoi la déforestation est-elle une cause de pandémie ?

La déforestation est une des principales raisons de la perte de biodiversité, ce qui enlève l’effet de dilution. De plus, la déforestation fait que les populations humaines sont de plus en plus en contact avec la faune sauvage par disparition de son lieu de vie. C’est le cocktail parfait que j’ai évoqué précédemment.

Existe-t-il un lien entre les élevages industriels et les pandémies ?

Cela peut effectivement jouer un rôle, mais rien n’est démontré actuellement. Certains élevages permettent d’augmenter la circulation de certains microbes, donc mécaniquement cela augmente le risque. Après, cela dépend du type d’élevage. Pour la grippe aviaire par exemple, il faut des conditions assez spécifiques, parce que le système immunitaire des oiseaux est très différent de celui de l’homme, ce qui complique l’adaptation du microbe à l’homme. Par contre, d’autres espèces animales, comme les porcs ou les visons, ont des récepteurs immunitaires plus proches de celui de l’homme : un élevage industriel de ces animaux est donc plus problématique pour l’homme.

Pourquoi ce virus s’est-il répandu si rapidement ?

La connectivité mondiale a bien sûr énormément joué. Comme toutes les pandémies, l’apparition de cas dans un endroit très connecté fait démarrer la propagation mondiale extrêmement vite. C’était le cas de Wuhan cette fois-ci, c’était le cas de Mexico City pour la pandémie de grippe de 2009. Un point qui a fortement compliqué le contrôle initial de la Covid est la forte proportion de cas asymptomatiques, où seulement environ 20% des personnes infectées développent des symptômes. Si on combine le fait que ce virus était nouveau avec le fait que beaucoup de personnes le transmettent sans même le savoir, le virus a pu circuler à un niveau important pendant un temps suffisamment long avant d’être identifié par les autorités.

Que faudrait-il faire pour éviter les nouvelles pandémies ?

Il y a de nombreuses pistes qui sont développées dans le rapport de l’IPBES, la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. Il faut d’abord enlever le flou institutionnel autour de ces questions, car l’émergence des zoonoses n’est pas clairement le rôle de l’OMS, la FAO ou l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). C’est ce qui commence à être résolu avec l’approche « One Health », portée justement par l’OMS, la FAO et l’OIE dont l’objectif est « de concrétiser une vision globale de la santé publique, incorporant les santés humaine, animale et environnementale dans une même réflexion. En faisant dialoguer écologues, vétérinaires et médecins, et en encourageant les recherches et les politiques reposant sur la pluridisciplinarité, cette approche tente de décloisonner ces trois compartiments. Cette initiative doit permettre de repenser la biodiversité et la faune sauvage, non comme un risque, mais comme un levier d’action pour la santé des humains et des animaux domestiqués… ». Ce conseil d’experts est important car il faut pouvoir développer des stratégies qui allient la réduction de risques zoonotiques, qui passe souvent par de la protection environnementale, et les activités socio-économiques, qui peuvent pâtir de ces stratégies (le développement de l’agriculture, essentielle à la production de nourriture pour les populations, est un bon exemple). L’OMS a commencé à faire un pas dans ce sens en recommandant d’interdire le commerce d’animaux sauvages vivants, qui a été identifié comme l’un des facteurs de risques les plus importants. Il est important que la prévention des pandémies ne passent pas que par le développement de vaccins ou de thérapies. La prévention s’effectue également en amont de l’émergence chez l’homme, c’est-à-dire à l’interface entre animal et homme, mais également à l’intérieur des communautés animales elles-mêmes (par exemple en développant des stratégies de conservation de la biodiversité).

Quelle leçon tirez-vous de cette pandémie ?

La leçon à retenir de cette pandémie, c’est qu’elle était malheureusement prévisible, et attendue depuis de nombreuses années. Il est donc important de développer des vraies stratégies de prévention intégrées, en se préparant à l’arrivée d’un pathogène chez l’homme, mais aussi en développant des stratégies permettant de limiter le risque de propagation depuis le compartiment animal vers les populations humaines.

[1Une zoonose est une maladie infectieuse ou parasitaire (due à un agent pathogène – virus, bactérie, protozoaire, parasite, champignon) transmissible d’un animal vertébré (chien, vache, poule, cochon…) à l’Humain. Les zoonoses peuvent se transmettre directement, ou indirectement par la consommation de produits animaux (œufs, lait, viande). Inversement, l’Humain peut aussi transmettre des maladies aux animaux.

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