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OGM : vers un affaiblissement de l’étiquetage en Europe ?

Par Eric MEUNIER

Publié le 18/05/2021

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Dans une lettre datée du 29 avril 2021, le vice-président de la Commission européenne, Maroš Šefčovič, explique que la Commission a l’intention de lancer « une action politique pour les plantes obtenues par mutagénèse dirigée et cisgénèse ». La lettre, adressée au gouvernement du Portugal, pays présidant actuellement le Conseil de l’Union européenne, permet de comprendre que ces plantes génétiquement modifiées ne seraient plus soumises à la législation OGM puisqu’elle précise que « les autres organismes resteront, à ce stade, soumis à la réglementation actuelle sur les OGM ».

L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de juillet 2018 repose sur un concept clair : les produits obtenus par des techniques de modification génétique « d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication ou recombinaison naturelle » donnent des OGM. Parmi ces techniques, celles « apparues ou développées principalement après 2001 » et n’ayant donc pas d’historique d’utilisation sans risque donnent des OGM soumis aux requis de la législation tels qu’une évaluation des risques, une autorisation, un étiquetage OGM, et une surveillance environnementale post-commercialisation.

Un projet politique clair

Trois années après cet arrêt et faisant fi de la notion d’historique d’utilisation sans risque, Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne, indique que cette dernière souhaite exempter des requis de la législation OGM les plantes obtenues par des techniques récentes de modification génétique différentes de la transgenèse [1]. En effet, en évoquant avec son propre langage « les plantes issues de la mutagénèse dirigée et de la cisgénèse », le vice-président englobe concrètement une grande partie des nouvelles techniques de modification génétique. À l’inverse, et uniquement le temps d’accumuler « les connaissances scientifiques nécessaires », il explique que la Commission envisage de continuer de soumettre à la législation OGM les animaux et micro-organismes génétiquement modifiés quelle que soit la technique utilisée, et les seuls OGM végétaux transgéniques [2].

L’objectif de cette action sera, au dire de Maroš Šefčovič, de viser à « assurer une surveillance réglementaire proportionnée des produits végétaux concernés en adaptant […] les procédures d’évaluation des risques et d’autorisation ainsi que les exigences en matière d’étiquetage et de traçabilité ». Tout le monde comprend qu’il s’agira d’exclure les plantes modifiées par des techniques autres que la transgenèse des requis de la législation OGM, et notamment l’étiquetage. Pour l’évaluation des risques, un autre document de travail des services de la Commission, sur la législation semences cette fois et rendu public également le 29 avril 2021, laisse justement entrevoir qu’elle pourrait être prise en charge par une future législation semences révisée prenant en compte des critères de durabilité [3].

Un changement de calendrier discret mais stratégique

Pour arriver à cette proposition, Maroš Šefčovič reprend le vocable utilisé par le Conseil de l’Union européenne. Ce dernier avait en effet commandé une étude à la Commission européenne sur les produits issus des « nouvelles techniques génomiques ». En ne parlant pas de nouvelles techniques de modification génétique, expression définie légalement, le Conseil de l’Union européenne a ouvert la porte à une nouvelle définition dans laquelle Maroš Šefčovič s’est engouffré. Ainsi, si les propres services de la Commission restent flous dans leur document de travail en parlant alternativement de techniques « apparues ou développées principalement après 2001 » ou de techniques « apparues ou développées après 2001 », le vice-président de la Commission fait lui un choix plus ferme. Il parle dans sa lettre au gouvernement portugais de techniques « qui sont apparues ou ont été développées depuis 2001 ». Le terme « principalement » utilisé par la CJUE a ici disparu.

Cette différence de calendrier pourrait paraître anodine mais elle change beaucoup de choses. À bien lire Maroš Šefčovič, la Commission cherche, en ne s’intéressant qu’aux seules techniques apparues strictement après 2001, à évacuer du débat la culture in vitro de cellules végétales, une technique développée commercialement surtout à partir du milieu des années 90 et qui est une étape de tous les protocoles de modification génétique développés aujourd’hui, à de rares exceptions près.

La « mutagénèse dirigée », une expression très englobante

Outre cette stratégie d’évacuer du débat la culture de cellules végétales in vitro, Maroš Šefčovič utilise également l’expression de mutagénèse dirigée. Selon le document de travail des services de la Commission [4], cette expression recouvre toutes techniques provoquant une mutation souhaitée dans un lieu visé du génome. Que cela soit réalisé en utilisant des nucléases comme Crispr, TALEN, méganucléases ou des petites séquences d’ADN nommées oligonucléotides, ces techniques sont dans la catégorie de mutagénèse dirigée quand elles donnent des mutations.

En proposant également une action concernant la cisgénèse, qui consiste à insérer dans le génome d’une espèce des séquences d’ADN provenant uniquement de la même espèce ou d’espèces avec lesquelles elle peut se croiser, l’action politique envisagée par la Commission européenne concernera bien toute technique développée avant ou après 2001 et visant à générer des mutations ou à insérer un cisgène. Dans le domaine végétal, il ne resterait donc, à lire la lettre du vice-président de la Commission européenne, que les végétaux transgéniques soumis à la législation OGM. Une approche qui nécessitera tout de même d’oublier que les techniques utilisant des nucléases passent la plupart du temps par une étape préalable de transgenèse pour que la protéine soit exprimée dans la cellule [5]

Des négociations à marche forcée

En préalable à son action politique, la Commission européenne annonce dans sa lettre à la présidence du Conseil de l’Union européenne qu’une analyse d’impact de son projet sera effectuée dans les mois à venir, avec « une nouvelle consultation de toutes les parties intéressées ». Aucun calendrier précis n’a été fourni par la Commission concernant la proposition en elle-même. Néanmoins, selon nos informations, la Commission ambitionne de terminer le travail avant la fin de son mandat en juin 2024. Un calendrier pour le moins serré puisque la procédure va impliquer un trilogue, c’est-à-dire des discussions et une décision faisant intervenir la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen. Or, ce dernier sera renouvelé en mai 2024 avec donc une campagne électorale qui devrait commencer début 2024. Le calendrier souhaité par la Commission laisse donc à penser que le trilogue devrait avoir abouti fin 2023, soit d’ici deux ans et demi.

Arguant que l’étude aurait mis en évidence « la lourdeur de l’évaluation des risques, les difficultés à détecter certains produits [issus des nouvelles techniques génomiques] et à tirer les bénéfices éventuels des nouveaux développements », la Commission européenne espère donc exempter ces produits de la législation OGM. Les discussions avec les responsables « Agriculture » des États membres ont d’ores et déjà commencé, les responsables « Environnement » n’étant pour l’instant pas prévus au programme…

[1Lettre du 29 avril 2021, signée du vice-président de la Commission européenne en charge des relations inter-institutionnelles et de la prospective, Maroš Šefčovič. Lettre de la Commission européenne au Portugal sur les nouveaux OGM

[2Le vice-président de la Commission précise également que les médicaments produits par des OGM « seront traités séparément, dans le contexte de la stratégie pharmaceutique de la Commission  ».

[3Inf’OGM publiera un article d’analyse de cette étude sous peu.

[4Document de travail, page 31

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