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Certificat d’obtention végétale : évoluer ou disparaître…

Par Frédéric PRAT, Louise Puel *

Publié le 13/05/2021

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Depuis 1961, les sélectionneurs peuvent se voir conférer un monopole d’exploitation sur les nouvelles variétés qu’ils créent en déposant sur celles-ci un certificat d’obtention végétale (COV). Or, l’étendue des droits que leur procure ce COV fait toujours débat. En témoignent aujourd’hui les discussions autour de la notion de «  variété essentiellement dérivée » qui animent l’Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV). Une notion introduite en 1991 avec l’émergence des premiers organismes génétiquement modifiées (OGM) et dont la définition est aujourd’hui débattue sur fond de conflit entre sélectionneurs autour des « nouvelles techniques de sélection génomique » [1].

Le certificat d’obtention végétale (COV) est un droit de propriété industrielle déposé sur une variété végétale qui confère à son titulaire des droits exclusifs de produire, reproduire, conditionner, vendre et commercialiser les semences et plants de cette variété.

Protection de l’obtenteur contre le plagiat de sa variété

Mais selon les termes de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales dans sa version de 1991 (dite « Convention UPOV 91 ») [2], ces droits ne se limitent pas à la variété initialement couverte par le COV. Ils s’exercent aussi sur les variétés qui sont « essentiellement dérivées » de celle-ci [3]. Autrement dit, sur les variétés qui se distinguent de la variété protégée tout en y restant conformes dans l’expression des caractères essentiels résultant de son génotype (voir encadré ci-dessous). Celles-ci peuvent être obtenues – nous dit la convention – « par exemple, par sélection d’un mutant naturel ou induit ou d’un variant somaclonal [4], sélection d’un individu variant parmi les plantes de la variété initiale, rétrocroisements ou transformation par génie génétique  » [5]. La définition de «  variété essentiellement dérivée  » est actuellement contenue dans les Notes explicatives sur les variétés essentiellement dérivées selon l’Acte de 1991 de la Convention UPOV [6]. Claire à l’époque où la transgenèse ne permettait l’ajout que d’un seul caractère nouveau dans une variété donnée, elle est désormais sujette à de multiples controverses avec le développement de nouvelles techniques génétiques permettant l’empilement de nombreux nouveaux traits dans une même variété. Or, la notion est fondamentale pour délimiter les contours des droits du titulaire du COV. Car si un sélectionneur souhaite produire, reproduire ou commercialiser une variété essentiellement dérivée, il doit obtenir l’autorisation de l’obtenteur de la variété initiale dont elle dérive. Et ce, même si aucun COV n’a été directement déposé sur la variété dérivée.

Variété essentiellement dérivée : kézako ?

Selon l’Acte de 1991 de l’UPOV, à l’article 14, 5), b) : « Une variété est réputée essentiellement dérivée d’une autre variété (« variété initiale ») si :

i) elle est principalement dérivée de la variété initiale, ou d’une variété qui est elle-même principalement dérivée de la variété initiale, tout en conservant les expressions des caractères essentiels qui résultent du génotype ou de la combinaison de génotypes de la variété initiale ;

ii) elle se distingue nettement de la variété initiale ;

et iii) sauf en ce qui concerne les différences résultant de la dérivation, elle est conforme à la variété initiale dans l’expression des caractères essentiels qui résultent du génotype ou de la combinaison de génotypes de la variété initiale.
 »

Lobbying pour un élargissement tentaculaire de la protection

Au dire des obtenteurs de variétés, le manque de clarté dans la définition des variétés essentiellement dérivées conduirait à une situation d’insécurité juridique qui briderait leurs velléités d’innovation en matière végétale. Ceux-ci ont donc poussé l’UPOV à créer un groupe de travail ad hoc avec pour mandat de réviser les notes explicatives sur les variétés essentiellement dérivées [7]. Composé de treize pays membres volontaires, de l’Union européenne, de six organisations d’obtenteurs et de l’ONG APBREBES [8] (sous le statut d’observateur), ce nouveau groupe de travail s’est réuni en décembre 2020 [9], en février 2021 [10] et en avril 2021 [11]. Et ce, dans l’optique de parvenir à une révision définitive du texte d’ici l’hiver 2021 [12]. Ces deux réunions ont mis en lumière un accaparement des débats [13] par les principales organisations internationales d’obtenteurs (CIOPORA[Communauté internationale des obtenteurs de plantes ornementales et fruitières à reproduction asexuée.]], Euroseeds, CropLife, ISF [14], APSA [15], AFSTA [16] et SAA [17]). Celles-ci ont été invitées à présenter un exposé commun [18] destiné à servir de base à la révision des notes explicatives. Elles y revendiquent un élargissement de la notion de variété essentiellement dérivée, afin de protéger leurs droits face au développement des nouvelles techniques de modification génétique, qui « permettent désormais des modifications multiples des variétés initiales, en une seule dérivation, et risquent donc de porter atteinte à la protection de la variété initiale ». Elles proposent donc une nouvelle définition qui permette de qualifier de variétés essentiellement dérivées des variétés présentant des différences même substantielles par rapport à la variété initiale dont elles dérivent (au niveau des caractères essentiels notamment : la couleur du fruit, du légume ou de la fleur par exemple). Si une telle définition venait à être adoptée, le lien entre une variété dérivée et sa variété initiale se réduirait à une simple similarité génétique : de fait, toutes les variétés obtenues à partir de nouvelles techniques de modification génétique seraient considérées comme essentiellement dérivées, toutes couvertes donc par des COV de la variété initiale [19].

Conflit sous-jacent entre deux régimes de propriété industrielle sur le vivant

Le COV constituerait ainsi un « rempart » contre la multiplication foisonnante de variétés « plagiées ». Mais aussi contre l’accaparement des bénéfices par les seules grandes entreprises des biotechnologies, qui peuvent aujourd’hui – via de nouvelles techniques de modification génétique brevetées – insérer des empilements de gènes brevetés dans une variété protégée par un COV. Or, la notion de « variété essentiellement dérivée » a été insérée dans la convention UPOV lors de sa révision en 1991 justement dans le but de renforcer les droits des obtenteurs face au développement de la transgenèse et la mise sur le marché de nouvelles variétés génétiquement modifiées obtenues par dérivation de variétés initiales protégées par des COV. Si cette définition n’est pas élargie tel que le demandent aujourd’hui les sélectionneurs, ces derniers ne pourront revendiquer aucun monopole d’exploitation sur les variétés dont un nombre important de caractères essentiels auront été modifiés via les nouvelles techniques de modification génétique, et qui, de ce fait, ne tombent pas dans le régime des variétés essentiellement dérivées (voir encadré ci-dessous).

Un partage de licences entre brevets et COV

Le régime des variétés essentiellement dérivées constitue jusqu’à aujourd’hui le point de rencontre entre les droits des obtenteurs et ceux des titulaires de brevets. Il permet en effet de garantir au sélectionneur-obtenteur des bénéfices tirés de l’exploitation exclusive de la variété essentiellement dérivée, tout en payant des droits de licence à l’entreprise qui a introduit un nouveau gène breveté dans la variété initiale, créant ainsi une variété essentiellement dérivée. Concrètement, ce partage se traduit de la façon suivante : le titulaire du brevet concède à l’obtenteur une licence d’exploitation de ses gènes brevetés, en échange d’une contrepartie financière. À l’inverse, si le détendeur du brevet souhaite lui-même commercialiser la variété ainsi dérivée et les semences et plants associés, il doit acheter un droit de licence au titulaire du COV.

Sans élargissement de la définition de «  variété essentiellement dérivée », le fragile équilibre dans le partage des profits générés par l’exploitation de variétés contenant des gènes ou des informations génétiques brevetés est menacé. Les grandes multinationales des biotechnologies propriétaires des brevets (et seules à même financièrement de développer des empilements de gênes suffisamment stables pour aboutir à une variété commercialisable) sortiraient gagnantes de ce rapport de force. Le débat autour de la notion de « variété essentiellement dérivée » ne se résume donc pas à une simple « guerre » concurrentielle entre sélectionneurs. Il met en exergue la tension croissante entre deux régimes de propriété industrielle. Sentant l’édifice du COV tout entier chanceler face au brevetage généralisé du vivant, les sélectionneurs jouent ici leur dernière carte. Une nouvelle illustration de l’absurdité des systèmes de propriété industrielle sur le vivant ?

[1Nouvelle dénomination proposée par le Conseil européen pour faire face aux ambiguïtés de l’acronyme anglais NBT (New Breeding Techniques), jusqu’ici employé par l’industrie.

[2La version de 1991 a été ratifiée par la France en 2012 : https://www.upov.int/edocs/pubdocs/fr/upov_pub_221.pdf

[3Acte de 1991 de l’UPOV, article 14, 5), a), i.

[4La variation somaclonale consiste en la reproduction de nouvelles plantes par régénération de cellules végétales (soma) multipliées sans croisement (clonale) in vitro. Ces cultures in vitro ne produisent pas des clones tous identiques mais génèrent au contraire de nombreuses variations ou mutations génétiques qui sont sélectionnées puis stabilisées et multipliées par les obtenteurs lorsqu’elles présentent un intérêt commercial.

[5Acte de 1991 de l’UPOV, article 14, 5), c).

[7UPOV – session d’automne 2020 (26-27 octobre 2020), voir : http://ressources.semencespaysannes.org/veille/fiche-veille-3214.html

[8Association for Plant Breeding for the Benefit of Society.

[9UPOV : 1e réunion du groupe de travail sur les variétés essentiellement dérivées (WG-EDV/1) – 8 décembre 2020, Genève, voir http://ressources.semencespaysannes.org/veille/fiche-veille-3337.html

[10UPOV : 2e réunion du groupe de travail sur les variétés essentiellement dérivées (WG-EDV/2) – 4 février 2021, Genève, voir http://ressources.semencespaysannes.org/veille/fiche-veille-3368.html

[11UPOV : 3e réunion du groupe de travail sur les variétés essentiellement dérivées (WG-EDV/2) – 27 avril 2021, Genève : https://www.upov.int/meetings/fr/details.jsp?meeting_id=61750

[12Le Bureau de l’UPOV a été chargé d’élaborer un projet de texte préliminaire de révision des notes explicatives, examiné lors de la troisième réunion du groupe de travail, le 27 avril 2021.

[13UPOV : 1e réunion du groupe de travail sur les variétés essentiellement dérivées (WG-EDV/1), article cité.

[14Fédération internationale des semences.

[15Association des semenciers d’Asie et du Pacifique.

[16Association africaine du commerce des semences.

[17Association américaine des semences.

[18UPOV : 2e réunion du groupe de travail sur les variétés essentiellement dérivées (WG-EDV/2), article cité.

[19M. A Kock, « Essentially derived varieties in view of new breeding technologies – Plant breeders’ rights at a crossroads », GRUR International, volume 70, dossier 1, janvier 2021, p. 11-27 https://academic.oup.com/grurint/article-abstract/70/1/11/6030001?redirectedFrom=fulltext

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