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Les brevets, objets de dissension entre les entreprises

Par Eric MEUNIER

Publié le 15/04/2021

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Dans une réponse fournie par le gouvernement français à un questionnaire de la Commission européenne sur les nouvelles techniques de modification génétique, le thème des brevets est largement abordé dans le chapitre « inconvénients ». Il estime que les différences entre brevet et certificat d’obtention végétale vont être un des points de clivage entre les entreprises dans le débat sur ces nouvelles techniques.

Le document fourni par le gouvernement français à la Commission européenne détaille son analyse du dossier des nouvelles techniques de modification génétique. Après avoir abordé le contenu de cette réponse sur les questions techniques de traçabilité [1] puis les questions plus larges des inconvénients et avantages associés à leur utilisation [2], Inf’OGM présente ici l’analyse faite par le gouvernement des inconvénients et avantages associés aux brevets couvrant ces techniques.

Des inconvénients des brevets…

La problématique du brevet est inhérente au dossier des nouvelles techniques. Comme le rappelle le gouvernement, les techniques de modification génétique sont brevetables au regard du droit européen et français à la condition que les procédés soient nouveaux, inventifs, applicables industriellement et surtout, s’il ne s’agit pas de procédés essentiellement biologiques. Mais ces brevets sur les procédés s’étendent également aux produits obtenus par ces procédés. Dès lors, la liste des inconvénients liés au brevet fournie par le gouvernement est à lire avec attention. Pour cela, il est important d’avoir en mémoire que le gouvernement français et les acteurs semenciers français, comme européens, prétendent privilégier la propriété intellectuelle conférée par le Certificat d’Obtention Végétale (COV) plutôt que par le brevet. Pour le gouvernement, le COV correspond aux spécificités et aux besoins de l’innovation agricole. Il garantit ainsi aux obtenteurs, contrairement au brevet, un accès libre aux ressources génétiques pour la création de nouvelles variétés. Le gouvernement estime que le COV garantit le progrès génétique, reconnaît le droit des agriculteurs à produire et utiliser des semences de ferme, et encourage le progrès génétique par l’accès libre et gratuit au fond génétique tout en assurant une rémunération des investissements faits par les sélectionneurs. On notera que la présentation faite par le gouvernement est néanmoins peu précise puisque seules 34 espèces cultivées [3] sont effectivement autorisées à être utilisées comme semences de ferme par les agriculteurs, et contre rémunération de l’obtenteur !

Côté brevet, les inconvénients sont nombreux pour le gouvernement. Le premier concerne l’étendue des brevets. Si, dans certains cas comme cela est précisé, la mutation revendiquée ne pouvait être distinguée de mutations spontanées, il existe un risque que des revendications liées à des brevets délivrés pour des produits issus de nouvelles techniques de modifications génétiques (NTMG) s’étendent à des produits équivalents issus de procédés essentiellement biologiques. Une situation qui empirerait en cas de multiplication de ces brevets car, pour le gouvernement, cela pourrait mettre en danger l’accès à la biodiversité nécessaire pour créer de nouvelles variétés. L’utilisation d’un caractère d’intérêt pourrait par exemple être limitée au seul titulaire du brevet, alors que, précise le gouvernement, le matériel génétique est disponible pour tous dans la nature et pourrait donc être intégré dans un processus classique de sélection. Il détaille donc qu’en France, une loi prévoit de restreindre l’étendue de tels brevets de manière à ce que la protection conférée par un brevet sur une matière biologique dotée de certaines propriétés dues à l’invention ne s’étende pas aux matières biologiques dotées de ces mêmes propriétés mais obtenues indépendamment de la matière biologique brevetée et par procédé essentiellement biologique, ni aux matières biologiques obtenues à partir de ces dernières, par reproduction ou multiplication. On soulignera ici que si cette limitation de l’étendue d’un brevet est prévue pour les matières biologiques, elle ne l’est pas pour les brevets portant sur des informations génétiques (comme une séquence de génome enregistrée dans un ordinateur) suite à l’opposition du gouvernement, en 2016, à un amendement à la loi biodiversité destiné à interdire ce nouveau procédé de biopiraterie. La réelle limite de cette disposition ne devrait donc pas être très… limitative.

Cet inconvénient a un corollaire pour le gouvernement. Les brevets obtenus peuvent venir remettre en cause l’exception du sélectionneur prévue par le régime du COV comme nous l’avons vu. Sur le papier, une variété ne peut pas être brevetée. Mais le gouvernement souligne que si l’utilisation des NTMG se généralisait pour créer des mutations, et si les mutations obtenues par ces techniques étaient brevetées, le nombre de modifications qui seraient progressivement introduites rendrait impossible la réutilisation de variétés commerciales par les obtenteurs. Sauf à éliminer les mutations introduites par NTMG, ce qui, pour le gouvernement, deviendrait pratiquement impossible quand leur nombre sera trop important.

Autre conséquence, outre le frein que les brevets constituent pour les PME comme nous l’avons déjà vu dans un précédent article [4], les sélectionneurs se retrouveront également dans une situation compliquée par manque de transparence. En effet, le gouvernement détaille que ces sélectionneurs qui, pour leurs programmes de sélection, utilisent des variétés incluant une caractéristique brevetée, doivent en être informés pour déterminer leur liberté d’opérer et prendre les mesures nécessaires si la caractéristique brevetée est présente dans les nouvelles variétés qu’ils auraient créées. Mais l’absence d’information sur la présence de brevets aboutit à un véritable champ de mines comme le nommait en son temps un groupe de travail du Comité économique, éthique et social au sein du Haut Conseil des biotechnologies (HCB). En effet, il n’existe aucune obligation d’information sur les brevets portant sur des traits, de gènes ou des informations génétiques contenus dans les variétés commercialisées… C’est pourquoi, le gouvernement, qui s’y est opposé en 2016, estime désormais qu’en cas de multiplication des brevets dans le domaine de la sélection végétale, une amélioration de l’information sur les brevets dans les variétés commercialisées serait nécessaire afin que les sélectionneurs puissent correctement déterminer leur liberté d’exploitation.

Une dernière conséquence est soulevée par le gouvernement, l’augmentation du prix des semences. Cette fois, c’est la concentration de l’industrie semencière sur certaines espèces qui est au cœur du problème. Une concentration due notamment aux brevets et qui pourrait être susceptible, selon le gouvernement, de provoquer une augmentation du prix des semences, référence scientifique fournie par le gouvernement à l’appui [5].

…et de leurs avantages

Les avantages de ce régime de propriété intellectuelle listés par le gouvernement sont assez peu nombreux. Il liste quatre bénéfices potentiels. Ces bénéfices, qui n’ont rien de propres aux biotechnologies, consistent par exemple à assurer un retour sur investissement. Il permettent également d’avoir connaissance d’une innovation ou encore, à l’instar du COV, que cette dernière tombe dans le domaine public à expiration du brevet… Un dernier avantage est plus détaillé par le gouvernement, celui des informations sur les produits issus de ces nouvelles techniques. Pour le gouvernement, ces informations contenues dans les brevets en font une source d’informations sur les modifications génétiques effectuées sur les produits développés. Des informations qui, précise-t-il, peuvent être utiles aux autorités compétentes dans la perspective de développer des méthodes de détection pour mettre en place des contrôles, à condition de pouvoir faire le lien entre les brevets et les produits effectivement commercialisés.

Cette analyse que le gouvernement français fait du dossier des nouvelles techniques, et qu’Inf’OGM vient de relater dans cette série de trois articles [6] [7], a été adressée à la Commission européenne en juin 2020. Tous les États membres de l’Union européenne avait été invités à faire de même depuis fin 2019. Sur la base de ces réponses, la Commission publiera fin avril une étude sur le statut réglementaire des nouveaux OGM demandée par le Conseil de l’Union européenne.

[334 espèces sont en effet concernées en France : il s’agit de plantes fourragères (pois chiche, lupin jaune, luzerne, pois fourrager, quatre espèces de trèfle, deux espèces de ray-Grass, gesse, féverole et vesce commune), de céréales (avoine, orge, riz, alpiste des canaries, seigle, triticale, blé, blé dur, épeautre), des pommes de terre, et des plantes oléagineuses et à fibres (colza, navette, lin oléagineux, à l’exclusion du lin textile, soja), cinq plantes à usage de cultures intermédiaires piège à nitrates, une espèce de haricot et une de lentille, voir : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFARTI000029323647

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