n°163 - avril / juin 2021

Le Protocole de Cartagena sous pression

Par Zoé JACQUINOT

Publié le 22/07/2021

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En 2018, les « gene drive files » sont publiés. L’ONG Corporate Europe Observatory (CEO) met alors en évidence comment certaines discussions au sein de la Convention sur la diversité biologique (CDB) ont été influencées par l’action de groupes de lobbies défendant les intérêts des industries des biotechnologies.

Les documents révélés dans les « gene drive files » ont permis à CEO de mettre en évidence un grand nombre de pratiques problématiques mises en place par des lobbies pro-biotech [1]. Ces pratiques ciblaient l’élaboration de lignes directrices sur l’évaluation des risques, ainsi que les discussions liées au forçage génétique et à la biologie de synthèse.

Diversité des pratiques d’influence

Un exemple : la Fondation Bill et Melinda Gates a payé l’entreprise de lobbying Emerging AG plus d’un million de dollar pour influencer en 2017 une consultation en ligne de la CDB sur le forçage génétique afin de contrer l’appel international à un moratoire sur cette technique controversée.

Autre exemple : la plateforme PRRI (Public Research Regulation Initiative) a coordonné des cercles d’industriels, de chercheurs et de représentants officiels grâce notamment à des listes mails dédiées. Différents moyens ont été utilisés pour peser dans les débats : organisation de consultations en ligne durant les négociations, entretiens en face-à-face avec des représentants, mise à disposition d’une équipe support aux délégations pour les réunions officielles et mise en place d’un groupe d’étudiants chargés de défendre la position des industriels aux différents évènements. Les intérêts représentés dans ces cercles étaient ceux de Bayer, Monsanto ou encore CropLife, parmi d’autres.

De même, CEO a mis en évidence une perméabilité entre les politiques et les entreprises : un groupe de représentants officiels issus de pays pro-biotech (dont les État-Unis, le Canada et les Pays-Bas) a notamment collaboré avec les industriels et leurs lobbies en vue d’influencer les prises de décision.

Lutte contre les conflits d’intérêts

En réaction à cette affaire, a été adoptée en 2018, lors de la Conférence des Parties (CoP) de Sharm El Sheik (Égypte), une procédure ayant pour but de prévenir et gérer les conflits d’intérêts au sein des groupes d’expert [2].

Elle vise à renforcer « la transparence et (…) assurer l’intégrité scientifique et l’indépendance des travaux des groupes d’experts », avec un formulaire de déclaration d’intérêts. Un premier pas vers plus de transparence pour les décisions concernant la protection de la biodiversité et les biotechnologies mais qui reste assez modeste. En effet, la notion de conflit d’intérêt dans la décision est très large [3]. Elle repose sur deux critères : l’existence d’un intérêt et l’influence que cet intérêt peut avoir sur l’exercice impartial et objectif de la fonction. Mais l’intérêt de référence avec lequel il pourrait y avoir conflit n’est pas précisé, donnant une grande marge de manœuvre et d’appréciation.

De plus, l’existence d’un conflit d’intérêt n’empêche pas la nomination d’un expert, la décision précise même qu’il n’est pas toujours possible de l’éviter [4] !

Durant les échanges qui ont lieu au sein de la CDB et du Protocole de Cartagena, les négociations et aussi les discussions et le travail préparatoire dans des groupes de travail et d’experts, chaque point de vue doit pouvoir être exprimé et défendu de manière juste et égale. Dans les faits, il apparaît que cette égalité n’existe pas malgré la tentative d’en gérer certaines dérives avec la lutte contre les conflits d’intérêts. La diversité des pratiques d’influence dépasse les seuls conflits d’intérêt.

[2Décision de la CoP 14 relative à la prévention et à la gestion des conflits d’intérêts au sein des groupes d’experts : https://www.cbd.int/doc/decisions/cop-14/cop-14-dec-33-fr.pdf

[4« Cependant, (…) dans les situations où les possibilités sont limitées de constituer un groupe d’experts ayant toute la gamme de connaissances spécialisées requises pour lui permettre d’exécuter son mandat de manière efficace sans inclure des experts individuels qui, quoique hautement qualifiés, peuvent se trouver en situation de conflit d’intérêts potentiel, le Bureau, sur les conseils du Secrétariat, peut inclure de tels experts ». Le texte précise ensuite des conditions.

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