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Interprofession semences : vers quelle ouverture ?

Par Frédéric PRAT

Publié le 02/03/2021

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Le 27 janvier, le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis) a confirmé qu’il ouvrait ses rangs à tous les acteurs de ce qu’il appelle «  la filière semences », dont la Confédération paysanne et la Coordination rurale. Autrefois représentant les seules semences commerciales, la nouvelle interprofession, rebaptisée Semae, entend inclure les semences fermières et paysannes…

C’est au cours d’une grand messe en visio conférence, qui a réuni plus de 500 personnes, que le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (Gnis, voir encadré ci-dessous) a précisé son projet d’ouverture à tous les acteurs de la filière semences en France.

Le Gnis/Semae : l’interprofession semences et plants


Créé en 1962, l’interprofession des semences et plants (antérieurement Gnis, aujourd’hui Semae) veut regrouper tous les acteurs des secteurs semences et plants. Jusqu’à présent, il s’agissait exclusivement des semences commerciales (ni fermières, ni paysannes).

L’interprofession s’organise en huit sections réparties par groupes d’espèces, chaque section étant organisée en collèges (agriculteurs-multiplicateurs, agriculteurs-utilisateurs et univers jardin, entreprises de distribution, entreprises de production, entreprises de sélection) [1]. Une neuvième section, nommée « diversité des semences et plants », va être créée (voir ci-dessous).

Les décisions sont prises à la majorité dans les collèges, et le Conseil d’administration de l’interprofession, composé des vice-présidents et présidents de chaque section, ainsi que de représentants des syndicats agricoles, prend ses décisions à l’unanimité des sections.

Par ailleurs, l’État délègue à Semae, comme auparavant au Gnis, deux missions de service public au travers du SOC, Service Officiel de Contrôle et de Certification : le contrôle de la qualité au niveau de la production des semences commercialisées (pas de la commercialisation) et celui de la certification des semences.

Le changement de nom de Gnis à Semae a été officialisé par le Décret n°2021-965 du 20 juillet 2021 remplaçant la dénomination du Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plants (GNIS) par celle de Semae.

Inclure des voix discordantes

Les objectifs affichés de cette évolution ? Mieux répondre aux attentes des citoyens, des consommateurs et des clients ; innover pour accompagner les acteurs vers la transition agroécologique ; protéger, enrichir et diffuser la biodiversité ; et renforcer la compétitivité et l’attractivité de la filière [2]. Les trois premiers objectifs découlent du « plan semences » pour la France, demandé au Gnis en 2017 par le ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Travert, pour les États généraux de l’alimentation (EGAlim). À cette occasion, le Modef et la Confédération paysanne, deux syndicats minoritaires, avaient également proposé leur propre plan semences [3] : si des similitudes pouvaient apparaître dans les intentions affichées, comme la nécessité de fournir des variétés adaptées à l’agriculture biologique et plus généralement de tendre vers un modèle agroécologique, Inf’OGM avait détaillé les revendications des syndicats minoritaires non reprises par le Gnis [4] : transparence sur les méthodes d’obtention des variétés et les droits de propriété intellectuelle, autorisation de semences de ferme non taxées et pour toutes les espèces, non obligation des caractères « distinct, homogène et stable » [5]… Les syndicats minoritaires demandaient donc une ouverture du Gnis aux semences paysannes et fermières [6], ce que Semae revendique aujourd’hui. Mais ils demandaient aussi la reconnaissance des droits des paysans sur leurs semences de ferme et paysannes, ce qui ne semble toujours pas acquis : ravalement de façade ?

Le nouveau nom Semae n’est pas un acronyme. Il évoque, pour le CA de l’ex-Gnis, d’abord le verbe « semer », puis, dans la terminaison « ae », les notions d’agroécologie, ou d’agriculture et environnement. Plus concrètement ? Les changements promis touchent essentiellement à deux points structurels : la création d’une neuvième section dans l’interprofession nommée « Diversité des semences et des plants  » ; et la pérennisation d’un comité des enjeux sociétaux, mis en place début mars 2020.

La nouvelle section diversité des semences et plants ambitionne d’accueillir « tous les acteurs de la semence : paysanne, de ferme, en sélection participative, des paysans sélectionneurs… cette section sera pour tous, et pour partager entre tous » a déclaré Claude Tabel, administrateur de Semae (et président de l’Union française des semenciers – UFS – qui regroupe les principaux représentants de l’industrie semencière). Il poursuit : « Elle fonctionnera comme n’importe quelle section du Gnis, sera organisée en collèges, décidera de sa feuille de route, définira son budget et ses moyens et nommera ses président et vice-président. Ces postes seront réservés aux nouveaux entrants, de façon à être certains que ces derniers soient représentés au CA de Semae » [7]. « Quid de la place par exemple de Kokopelli, association qui commercialise des semences hors catalogue ? » s’est interrogé le public lors de la séance finale question-réponse de la visio-conférence. « Kokopelli peut très bien venir dans la Semae, avec un soucis d’ouverture et de dialogue » a affirmé le président de Semae. On verra dans l’article suivant [8] la fin de non recevoir opposée par Kokopelli.

Un décret spécifique pour formaliser cette ouverture

François Desprez, président de Semae (et membre de l’UFS), rappelle que cette volonté d’ouverture à d’autre syndicats minoritaires a déjà été annoncée par la publication d’un décret spécifique, le 31 juillet 2020 [9]. Celui-ci dispose que peuvent siéger au Gnis des « représentants des agriculteurs utilisateurs de semences et de plants désignés par chacune des organisations syndicales [représentatives], dans la limite de deux représentants pour chacune d’elles et selon des modalités fixées par délibération du conseil d’administration dans le règlement intérieur du groupement ». Jusqu’alors uniquement représentés par deux représentants de la Fnsea, le collège des utilisateurs de semences sera désormais « représentés par cinq membres au sein du CA, dont deux sont désignés par la FNSEA, un par les Jeunes agriculteurs (JA), un par la Coordination rurale et un par la Confédération paysanne ». Avec l’ajout de la nouvelle section « Diversité des semences et plants », le nouveau CA de Semae devrait donc être composé de 18 membres issus des différentes sections, auxquels s’ajouteront 5 membres représentants les utilisateurs de semences (issus, donc, de quatre syndicats agricoles), soit un total de 23 administrateurs. En espérant, comme cela a été indiqué en réponse à une question du public de la conférence de presse du 27 janvier, que des femmes pourront rejoindre ce cercle actuellement exclusivement masculin.

En septembre dernier, la FNSEA et les JA ont désigné leurs représentants et, précise François Desprez, « nous sommes dans l’attente de la désignation par la Confédération paysanne et par la Coordination rurale [10] de leur administrateur qui sont les bienvenus parmi nous ».

Quant aux sections, celles qui le souhaitent pourront aussi intégrer dans leurs collèges des représentants des syndicats minoritaires, comme dans la section pomme de terre, où, précise son président Jean-François Roussel, un membre de la Coordination rurale a déjà été accueilli au sein du collège utilisateur.

Seconde innovation, ou plutôt officialisation puisqu’il a été créé début 2020, l’apparition d’un « comité des enjeux sociétaux ». Pierre-Benoît Joly, sociologue (qui suit de près le débat OGM depuis les années 2000), et par ailleurs président du Centre Inrae de Toulouse, en est son président. Il a eu « carte blanche pour s’organiser et choisir autour de lui les membres du comité pour éclairer les travaux des membres du CA ». Il s’agit d’un comité d’experts avec pour mandat de répondre à des saisines du CA de Semae ou de s’auto-saisir : « on espère qu’il aura une vision critique du travail du Semae, avec des intervenants extérieurs possible, et il remettra son rapport au CA ».

Par ailleurs, afin de décloisonner les sections actuellement segmentées et différenciées pour la plupart selon le type de cultures, Semae se dotera de quatre nouvelles commissions transversales, qui viendront s’ajouter à la commission déjà existante sur l’agriculture biologique. Il s’agit des commissions communication, réglementation, études et perspectives, et enfin innovation.

Un des futurs maîtres mots sera donc la transparence, comme « moyen de mettre un terme à un mauvais procès, celui d’être le lobby de quelques grandes entreprises semencières ou multinationales ».

L’interprofession s’empresse aussi de répondre à certaines critiques qui s’élevaient contre la délégation d’une mission de service public au Service officiel de contrôle et de Certification (SOC), organe intégré à l’interprofession. L’ambiguïté qui en résulte [11] sera levée par la signature d’une convention officielle entre le ministère de l’Agriculture et Semae sous la forme d’un « contrat d’objectifs et de performance » confiant à l’interprofession semencière la mission de contrôler ses propres professionnels sous un « contrôle officiel » matérialisé par la direction du SOC confiée à une fonctionnaire nommée par le gouvernement.

Des intérêts financiers sous-jacents

L’une des questions du public posées à l’issue de la conférence de presse du 27 janvier concernait la place de « l’innovation high tech » (OGM, « nouvelles techniques de modification génétique »). « Toutes les technologies peuvent apporter des solutions, il faut parler finalité et non technologies », a botté en touche Claude Tabel… en précisant toutefois : « Si les solutions ne peuvent venir qu’avec des solutions d’édition génomiques, pourquoi s’en passer si c’est un besoin sociétal très fort ? ».

François Desprez a également évoqué l’intérêt de l’ouverture du Gnis en prenant l’exemple de la filière de céréales à paille, où 50 % des semences sont des semences de ferme : la future présence du syndicat des trieurs à façon (Staff) [12] et de la coordination nationale de défense des semences de ferme (CNDSF) sera, selon lui, bénéfique pour fixer les règles des cotisations volontaires obligatoires (CVO) prélevées sur les semences de ferme pour « rémunérer la recherche » dans cette filière [13]. Car l’implication dans les interprofessions a aussi de grosses incidences financières pour les paysans (via notamment ces CVO [14] – payées lors de la livraison des récoltes issues de semences de ferme) et pour les organisations adhérentes (cotisations et accès aux financements publics et privés captés par les interprofessions). Pour rappel, le budget du Gnis s’élève à 42 millions d’euros, entièrement financés par ces CVO. D’après Claude Tabel, 70 % de ce budget sert au contrôle et à la certification. Les négociations autour des CVO sont donc aussi un enjeu de cette ouverture [15].

Quelles sont les réponses des syndicats et autres acteurs à cette ouverture affichée de l’interprofession ? La suite de notre enquête dans l’article suivant [16].

[1Un schéma résume cet organisation sur le site de Semae : https://www.gnis.fr/instances-decision/

[6Inf’OGM avait suscité dans ses colonnes un débat entre le Gnis et le Réseau semences paysannes sur ces positions divergentes, voir Inf’OGM, « Débat Gnis / RSP : dialogue de sourds sur la sélection variétale », Inf’OGM, 25 février 2015

[7L’intégralité de la matinée du 27 janvier peut-être visionnée ici. Sauf mention contraire, les citations en sont extraites.

[9Décret n° 2020-961 du 31 juillet 2020 modifiant la composition du conseil d’administration du Groupement national interprofessionnel des semences, graines et plantes (GNIS).

[10Entre temps, la Coordination rurale a désigné son délégué, voir Frédéric PRAT, « Ouverture de l’interprofession Semae : des réactions contrastées », Inf’OGM, 2 mars 2021

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