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Contribution Volontaire Obligatoire : un oxymore à fort enjeu

Par Frédéric PRAT

Publié le 02/03/2021

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Une Contribution Volontaire Obligatoire (CVO) est une taxe monétaire volontaire, décidée et acceptée par les membres d’une organisation interprofessionnelle agréée, que le gouvernement peut décider d’étendre obligatoirement à tous les membres de la même profession, qu’ils soient ou non adhérents de l’organisation interprofessionnelle. Chaque CVO est liée à un objectif précis (promotion, recherche, contrôle qualité…). L’interprofession semences n’échappe pas à la règle.

Pour 21 espèces [1], selon la réglementation européenne [2], il est possible de ressemer une partie de la récolte issue d’une variété couverte par un certificat d’obtention végétale (COV) à condition de « rémunérer l’obtenteur » de ce COV. En France, cela passe par une contribution d’abord « volontaire », suite à un accord interprofessionnel, puis rendue « obligatoire » par décret pour tous les agriculteurs qu’ils soient ou non membres de l’interprofession et que le Gnis a baptisé « contribution à la rémunération de la recherche » [3]. Pour répondre aux récriminations des semenciers qui estimaient être victimes de la « concurrence déloyale » des semences de ferme, le Gouvernement a choisi d’étendre cette contribution volontaire obligatoire (CVO) plutôt que de maintenir une interdiction d’utilisation des semences de ferme qu’il est incapable de faire respecter. C’est pourquoi, le 1er août 2014, un décret français a ajouté 13 espèces [4] à celles déjà prévues dans la réglementation européenne.

Pour les céréales à paille [5], la CVO est prélevée lors de la facturation de la récolte par l’organisme collecteur [6] qui la reverse à l’interprofession des semenciers, l’ex-Gnis, devenue aujourd’hui Semae [7]. Ce dernier commence par allouer aux vendeurs de semences la somme nécessaire au remboursement des agriculteurs qui ont acheté des semences certifiées. Cette CVO n’est ainsi payée que par les agriculteurs ayant utilisé leurs propres semences de ferme.

Le solde est reversé pour 85 % à la Société coopérative d’intérêt collectif agricole anonyme des sélectionneurs obtenteurs (SICASOV) [8] qui le répartit entre les semenciers au prorata des quantités de semences produites et commercialisées par chacun d’entre eux. Les 15 % restants viennent alimenter le Fonds de soutien à l’obtention végétale (FSOV) qui finance des programmes de recherche en amélioration végétale associant la recherche publique à des opérateurs privés (soit des obtenteurs, soit des producteurs de semences).

L’ouverture de Semae changera-t-elle la CVO ?

Les négociations autour des CVO sont un enjeu de la récente ouverture de l’interprofession semences [9]. En effet, depuis la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt (LAAF du 13 octobre 2014 [10]), la représentativité syndicale dans les accords interprofessionnels a été précisée : lorsqu’il y a un doute sur les volumes concernés (de production, commercialisation ou transformation), ce qui est le cas sur les semences paysannes et de ferme, « l’organisation interprofessionnelle est regardée comme représentative si elle représente deux tiers de ces opérateurs ou de leur chiffre d’affaires. Pour la production, ces conditions sont présumées respectées lorsque des organisations syndicales d’exploitants agricoles représentant au total au moins 70 % des voix aux élections des chambres d’agriculture participent à l’organisation interprofessionnelle, directement ou par l’intermédiaire d’associations spécialisées adhérentes à ces organisations » [11]. Si l’ouverture de Semae est sincère, les collèges des producteurs de semences dans les différentes sections devraient donc, eux aussi, – tout comme les représentants des utilisateurs dans le CA – s’ouvrir aux syndicats paysans minoritaires, puisque ce sont surtout leurs membres qui produisent des semences de ferme et paysannes.

Sachant qu’aux dernières élections des chambres d’agriculture, en 2019, la FNSEA et les JA ont recueillis autour de 55 % des voix des chefs d’exploitations, contre 20 % pour la Coordination rurale (CR) et 19 % pour la Confédération paysanne (CP), l’interprofession devrait donc, à terme, avoir besoin des voix de la CR et de la CP pour reconduire la CVO prélevée sur les seules semences de ferme et en fixer le montant. Pour cela, les collèges producteurs doivent donc s’ouvrir. Mais pour François Burgaud, de Semae, « la difficulté est que beaucoup de ces acteurs ne sont pas regroupés au sein d’organisations. C’est pour cela que le CA de Semae a décidé de créer une 9e section organisée en 5 collèges comme les autres et dont les Président et Vice-président siègeront au CA« .

Un membre de Semae rappelle que les CVO de chaque section génèrent un budget important, orienté en partie vers des expérimentations sur la production de semences, en partie sur des opérations de communication, notamment vers les écoles, et qu’une partie sert également à financer un soutien aux semences potagères du domaine public [12]. « Comment sera financée cette nouvelle section « Diversité des semences et des plants » ? » s’interroge-t-il.

Une CVO illégitime ?

La Confédération paysanne conteste l’existence même d’une taxe sur une variété car, argumente Guy Kastler, membre de la commission semences de ce syndicat, la notion même de variétés «  est un concept virtuel qui n’existe pas dans la réalité : toutes les plantes étant des organismes vivants par définition non stables, elles ne peuvent donc pas donner des populations totalement homogènes. Il est donc impossible de cultiver une variété. Par ailleurs, les semences de ferme donnent une récolte différente de la variété initiale, mais ayant acquis au fur et à mesure des générations successives, de nombreux nouveaux caractères d’adaptation locale ». On comprend que dès lors, revendiquer des droits de propriété intellectuelle sur une « variété » perd vite de son sens…

[1Des céréales (avoine, orge, riz, alpiste des Canaries, seigle, triticale, blé tendre, blé dur, épeautre), les pommes de terres, des oléagineux et des plantes à fibres (colza, navette, lin oléagineux), enfin des plantes fourragères (pois chiche, lupin jaune, luzerne, pois fourrager, trèfle d’Alexandrie, trèfle de Perse, féverole et vesce commune).

[2Le règlement CE n° 2100/94.

[3Mise en place en 2001 pour le blé tendre, cette CVO a été étendue en 2014 au blé dur, à l’orge, à l’avoine, au triticale, à l’épeautre, au riz et aux pommes de terre.

[4Cinq espèces fourragères (trèfle violet, trèfle incarnat, ray grass d’Italie, ray grass hybride, gesses), une espèce oléagineuse (soja), deux Cipan (cultures intermédiaires pièges à nitrates : moutarde blanche, avoine rude), trois espèces protéagineuses (pois protéagineux, lupin blanc, lupin bleu) et deux espèces potagères (lentille, haricot)

[5Blé, orge, avoine, triticale, épeautre, riz.

[6Pour « empêcher toute spéculation sur le prix du pain », toute vente de blé doit se faire en France par l’intermédiaire d’un organisme stockeur agréé qui est le seul à pouvoir établir la facture, en prélevant au passage diverses taxes et autres cotisations obligatoires.

[8La SICASOV (Société coopérative d’intérêt collectif agricole anonyme des sélectionneurs obtenteurs) a été créée en 1976 par les détenteurs publics et privés de droits intellectuels pour gérer à moindre coût leurs droits sur les variétés végétales protégées.

[11Art. 17 de la LAAF qui modifie l’article L. 632-4.

[1228 nouvelles variétés de semences potagères du domaine public viennent ainsi d’accéder à fonds de soutien, voir https://www.arboriculture-fruitiere.com/articles/vie-de-filiere/legumes-un-fonds-de-soutien-la-maintenance-des-varietes-du-domaine-public

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